Interview de M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, dans "Les Nouvelles de Tahiti" du 21 novembre 2008, sur la réforme de l'indemnité temporaire de retraite (ITR) accordée aux fonctionnaires retraités dans les régions ultramarines.

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Média : Les Nouvelles de Tahiti

Texte intégral

Les Nouvelles de Tahiti : La réforme de l'I.T.R. a été adoptée mardi soir au Sénat. Vous n'avez pas été convaincu par les arguments des opposants ?
Yves Jégo : J'ai écouté toutes les propositions et vous remarquerez que j'ai refusé aussi des amendements de durcissement de la Commission des Affaires sociales du Sénat. Elle voulait faire en six ans ce que nous proposons de faire en vingt ans ! De l'autre côté, il y a eu effectivement des amendements pour retarder d'un an la réforme. Ceux-ci ont été repoussés par une très forte majorité de sénateurs. J'avoue d'ailleurs ne pas comprendre en quoi retarder cette réforme exigée je le rappelle depuis 5 ans par la Cour des Comptes, changerait quoi que ce soit ? Cela a été rappelé au Sénat. Chaque année depuis 2002 cette réforme était retardée. Il faut bien un jour décider.
Les Nouvelles de Tahiti : Il vous a été reproché de n'avoir consulté que les syndicats nationaux à Paris et non les syndicats en Outre-Mer.
Yves Jégo : C'est un faux procès. A chaque déplacement j'ai reçu les organisations syndicales. Ensuite, évidemment, les négociations sur le texte se sont déroulées avec les syndicats nationaux. C'est une réforme nationale. Tous les syndicats qui ont été partie prenante à cette négociation en septembre sont d'ailleurs représentés Outre-Mer, en particulier en Polynésie. Contrairement à ce qui a été affirmé au Sénat, la négociation a eu lieu rue Oudinot bien avant le Conseil des Ministres (ndlr : les syndicats ont été reçus les 16 et 24 septembre. Le texte a été adopté à l'Elysée le 13 octobre). La meilleure preuve est que le projet initial était de supprimer l'I.T.R. en six ans pour tous ceux qui allaient prendre leur retraite. A l'arrivée, grâce aux négociations et je dois le dire à la ténacité des syndicats, nous avons abouti à un projet qui va transformer, en douceur, en vingt ans l'I.T.R.. Cette avantage deviendra alors une véritable retraite complémentaire pour l'Outre-Mer. Vous imaginez bien que la C.F.D.T n'aurait pas approuvée cette réforme si elle n'avait pas été assise sur une véritable négociation !
Les Nouvelles de Tahiti : Les manifestations contre l'I.T.R. se sont multipliées ces derniers jours en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. C'est pourquoi vous recevez une intersyndicale de ces deux collectivités ce jeudi. Jean-Claude Mailly, de FO, considère que la réunion « ne peut être qu'un leurre destiné à apaiser les esprit ». Allez-vous faire des gestes ?
Yves Jégo : Que des syndicats refusent la réforme c'est leur droit. Que d'autres, comme la C.F.D.T, l'approuvent c'est aussi un droit qu'il faut respecter. Le dialogue social c'est faire un pas l'un vers l'autre. C'est ce qu'a fait le Gouvernement vis-à-vis des syndicats en septembre, je vous l'ai dit, puis des parlementaires en novembre. Il n'y a eu ni brutalité ni précipitation sur un sujet dont on parle depuis 18 ans et qui a fait l'objet de dizaines de rapports. Il est un moment où il faut bien décider. Le Gouvernement a d'ailleurs parfaitement respecté le rôle des parlementaires en acceptant plusieurs amendements qui vont avoir des conséquences positives pour le Pacifique. Je donnerai des détails sur ces avancées aux syndicats qui répondront à mon invitation ce jeudi. La réforme est désormais votée par le Parlement. Elle s'appliquera donc à la date prévue tout en préservant de grands avantages financiers pour tous les fonctionnaires en retraites ou qui le seront dans les 10 prochaines années. J'invite maintenant les syndicats qui le voudront à un nouveau dialogue fructueux pour construire le système de retraite complémentaire qui remplacera l'I.T.R..
Les Nouvelles de Tahiti : Gaston Flosse a tenu des propos très durs contre vous. Employant deux fois le mot « indigène », il vous a accusé de vous attaquer finalement surtout aux populations d'Outre-Mer...
Yves Jégo : Je respecte les élus mais j'avoue que j'ai été très choqué par l'outrance des propos. Tout ce qui est excessif est insignifiant, aussi, je ne veux pas tomber dans ce piège grossier pour me laisser entraîner dans une polémique. Avec cette réforme, il s'agit tout simplement de transformer un système injuste en un système juste. En écoutant les attaques qui me visaient personnellement et de façon caricaturale je me disais que la violence masque souvent l'absence d'arguments sérieux et je pensais aux milliers de fonctionnaires des Antilles et de Guyane qui ne bénéficient pas de cet avantage et qui, grâce à notre réforme, vont pouvoir obtenir la future retraite complémentaire .
Les Nouvelles de Tahiti : Avant l'intersyndicale vous allez également recevoir les députés UMP du Pacifique. Pourquoi pas les sénateurs ?
Yves Jégo : Je vais recevoir ceux qui ont demandé à me voir ! Les députés du Pacifique, Gael Yanno, Pierre Frogier, Michel Bulliard et Bruno Sandras ont fait un travail intelligent, ils ont été à l'origine de plusieurs amendements, notamment de celui qui va permettre d'apporter des réponses concrètes aux revendications syndicales pour ceux qui prendront leur retraite dans les prochaines années en Polynésie. Je recevrai aussi Gaston Tong Sang qui mène depuis le début une action déterminée pour améliorer le dispositif et faire prendre en compte les spécificités polynésiennes.
Les Nouvelles de Tahiti : Quel sera le montant des économies réalisées par l'Etat grâce à la réforme de l'I.T.R. ? Richard Tuheiava a insisté pour une réaffectation des économies Outre-Mer. Dominique Leclerc, qui souhaitait l'extinction du dispositif en 2015, préconise lui-même un réinvestissement Outre-Mer des économies réalisées.
Yves Jégo : Rappelons la réalité des chiffres : en Polynésie, le coût annuel de l'I.T.R. pour l'Etat est de 88 millions d'euros versés au profit d'environ 6900 Polynésiens sur les 250 000 habitants du territoire ! En fait, dans les dix prochaines années, la réforme ne touchera que quelques centaines de bénéficiaires qui garderont tous un avantage conséquent toute leur vie. On estime les économies entre 15 et 20 % dans dix ans. Ces sommes étant d'ailleurs réinvesties en grande partie dans un Fond de Développement Exceptionnel de l'Outre-Mer. Vous le voyez, nous sommes très loin de la disparition d'une manne qui mettrait en péril le territoire ! J'ajoute que les sommes écrêtées étaient en grande partie soit placées en bourse soit renvoyées vers la métropole. Il n'y aura donc pas d'impact visible sur l'économie locale.
Les Nouvelles de Tahiti : Pourtant, l'Assemblée nationale a adopté un amendement prévoyant un redéploiement de ces crédits en faveur de programmes pédagogiques inscrits au budget général...
Yves Jégo : J'ai vu cela... Mais le budget de l'Etat est un et indivisible. Je rappelle que le budget de l'Outre-Mer passe de 15 milliards d'euros en 2008 à 16,5 milliards d'euros en 2009. C'est la plus forte augmentation depuis 20 ans au moins. C'est bien la preuve que l'Etat veut mettre plus de moyens tout en ayant le courage de moderniser les systèmes aussi injustes ou critiqués que l'était l'I.T.R..
Les Nouvelles de Tahiti : Le sénateur calédonien Simon Loueckhote appelle à une remise à plat des dispositifs. Seulement une partie des collectivités bénéficient de l'I.T.R.. Tout comme seuls les originaires des DOM bénéficient des congés bonifiés...
Yves Jégo : Il a raison. Faire la reforme de l'I.T.R. c'est apporter aux Antillais et à la Guyane la garantie qu'ils bénéficieront aussi d'une retraite complémentaire. Tout comme demain, faire la reforme des congés bonifiés ce sera permettre aux fonctionnaires issus du Pacifique de bénéficier de cet avantage. Il y a d'un coté ceux qui disent « Tout va mal ne changeons rien », c'est tellement facile ! Et de l'autre ceux qui ont le courage de dire réformons. Le monde change ; réformons ce qui est injuste pour le rendre plus juste ; C'est exactement ce que nous faisons partout à la demande de Nicolas Sarkozy. Aucune réforme n'est simple ni facile. Est ce une raison pour ne jamais remettre en cause aucune injustice ?
Les Nouvelles de Tahiti : Le sénateur polynésien Richard Tuheiava a rappelé qu'avec l'implantation du centre d'expérimentation du Pacifique, un modèle social artificiel imposé par la métropole a vu le jour en Polynésie. Il est reproché au Gouvernement de remettre en cause ce modèle sans en proposer un autre...
Yves Jégo : Le jeune sénateur devrait s'en prendre d'abord sur cette question du passé à son collègue et nouvel ami Gaston Flosse qui a porté cette politique pendant des années sans rien y trouver à redire. Il y a un passé. L'Etat l'assume. Nous apportons des réponses notamment par la Dotation Globale de Développement Economique (DGDE). Notre modèle pour l'Outre-Mer est simple : le développement économique autonome et une assistance renforcée de l'Etat pour tout ce qui produit de la richesse, de la croissance et de l'emploi. Nous allons présenter une stratégie globale de croissance pour nos outre-mers. Pour la Polynésie, je veux augmenter les recettes du tourisme en modifiant, par exemple, la législation sur les mariages. Je veux aider à l'implantation d'entreprises de nouvelles technologies en défiscalisant, par exemple, un câble qui va amener du haut débit, en mobilisant le fonds de restructuration des armées pour créer des sites d'accueil pour ces entreprises. Je veux aider la perliculture et la pêche... L'objectif est d'augmenter tous les transferts de l'Etat productifs de richesse et de croissance et de ne pas laisser dériver les dépenses, comme l'I.T.R., qui servent des intérêts trop catégoriels. Faut-il rappeler qu'en 12 ans le coût pour le budget de l'Etat de l'I.T.R. a doublé ? Tout ceci au profit exclusif des seules retraites de la fonction publique (6 900 bénéficiaires en 2007) et pour quel résultat économique ? Quand je vois la misère dans laquelle vivent de nombreux retraités du privé en Polynésie, je me dis que garantir à un retraité de l'Etat qui partira en retraite dans dix ans de garder à vie presque 1 million de francs pacifique par an, en plus de sa pension normale, reste un avantage extrêmement important !
Les Nouvelles de Tahiti : En terme de communication, n'aurait-il pas mieux valu faire adopter la LODEOM et présenter la stratégie de croissance de l'Outre-Mer avant de s'attaquer à la réforme de l'I.T.R. ?
Yves Jégo : Ca fait dix-huit ans que l'on attend cette réforme. La Cour des comptes nous y a obligés. Faut-il raisonner en terme de communication ou en terme d'efficacité ? Rappelons que dans le domaine économique, c'est la Polynésie qui est responsable de son devenir économique. L'Etat ne fait qu'accompagner des projets pour peu qu'ils existent. Je viens de monter au créneau auprès de Christine Lagarde sur la défiscalisation de l'hôtel le Brando sur Tetiaroa. L'Etat accompagne les projets porteurs d'emplois et de croissance. Mais il faut qu'il y en ait... Est-ce la faute de l'Etat si depuis 4 ans l'instabilité politique désorganise toute perspective pour le territoire ? J'ai quelque fois le sentiment que certains de ceux qui crient le plus fort dans la classe politique aujourd'hui cherchent, en fait, à faire oublier leur immense responsabilité dans la situation actuelle en cherchant à faire passer l'Etat pour responsable de tout ce qui ne marcherait pas. Mais à écouter les Polynésiens, j'ai le sentiment qu'ils sont de moins en moins dupes de ce petit jeu !
Les Nouvelles de Tahiti : Hormis l'amendement Leclerc, adopté au Sénat, pour faciliter la découverte des fausses déclaration de résidence, la loi ne prévoit pas de dispositions de contrôles contre les fraudeurs. Certains souhaitaient par exemple la mise en place d'un guichet où retirer sa pension...
Yves Jégo : Il y aura d'abord une barrière de lutte contre les dérives avec l'exigence des quinze ans d'exercice Outre-Mer et/ou des liens matériels et moraux avec le territoire pour bénéficier de l'I.T.R. et ceci dès 2009. Le risque de fraude va être limité. Je reste ouvert à toutes les autres suggestions. Nous sommes déterminés d'ailleurs à renforcer les contrôles mais aussi, et je le dirai aux syndicats, à faciliter la vie de ceux qui doivent pour des raisons impérieuses quitter le territoire. Par contre je ne suis pas sûr que contraindre 6 900 personnes à une humiliante file d'attente chaque mois à un guichet où ils percevraient leur I.T.R. soit une bonne idée pour lutter contre quelques dizaines de fraudeurs ?
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 21 novembre 2008