Interview de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, à France Info le 5 novembre 2008, sur l'élection du Barack Obama comme président des Etats-Unis et la future politique étrangère américaine.

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Circonstance : Résultat de l'élection présidentielle aux Etats-Unis d'Amérique le 5 novembre 2008

Média : France Info

Texte intégral

Q - L'élection de Barack Obama, c'est un moment historique, c'est le changement, le vent d'espoir que vous retenez aujourd'hui avec son arrivée à la Maison Blanche ?
R - C'est d'abord une grande joie. C'est une véritable histoire d'amour entre les Français et Barack Obama et c'est donc comme une fête personnelle, presque familiale.
Nous avons, en effet, le sentiment très profond de retrouver l'Amérique que nous aimons.
Q - Vous dites que nous avons besoin de son dynamisme pour changer la politique, la manière de faire de la politique, pour changer les mentalités ?
R - Nous avons besoin de son dynamisme. Nous avons besoin de son inventivité, de son militantisme, de son obstination et Barack Obama, quant à lui, a besoin de nous, de l'Europe. Il y aura, je crois, des rapports qui seront différents, des rapports de partenaires et non des rapports d'amour-haine ou de détestation, avec de longues périodes de silence.
Je crois que tout va pouvoir se mettre en place puisque Barack Obama le souhaite et que nous avons-nous même préparé en Europe un certain nombre de documents sur les grands problèmes du monde qui tracent le chemin vers un partenariat renouvelé.
Il y a je crois une véritable connivence entre Nicolas Sarkozy et Barack Obama. Il y a même un style commun, une génération commune et tout cela ne manquera pas de produire des effets. C'est à la fois la fin d'une certaine suprématie et d'un isolement américain et le début des devoirs partagés. Mais ce n'est certainement pas l'abaissement de l'Amérique, le plus grand pays du monde.
Bien sûr, Barack Obama aura des décisions à prendre dans le domaine intérieur, parce qu'il y a d'abord des gens très démoralisés et une crise très importante. Il faudra qu'il agisse vite mais de manière réfléchie, comme il sait le faire. Il y a une sorte de gravité dans sa détermination et dans cette manière de prendre des risques. C'est un homme très réfléchi en réalité.
Q - Si je vous suis bien, aujourd'hui nous allons avoir en France des relations privilégiées avec l'Amérique. Pourtant sur certains sujets - je pense notamment au protectionnisme économique -, il va tout de même être un peu difficile d'accorder nos violons ?
R - Je n'ai pas le sentiment qu'il soit protectionniste. J'ai le sentiment au contraire qu'il est favorable au libre échange et qu'il veut que le multilatéralisme en général, et pas seulement sur le plan économique, soit la règle. En tout cas beaucoup plus que son prédécesseur.
Je ne pense pas que ce sera plus difficile. Je pense qu'il y aura davantage de confiance. Il nous l'a demandé et il aura besoin de l'Europe. Je connais déjà les rapports entre le président Sarkozy et le président Barack Obama. L'Europe est là pour, d'une manière extrêmement amicale, discuter. Nous n'aurons pas forcément raison, les Américains n'auront pas forcément raison, mais enfin ce sera facile.
Si vous voulez un autre exemple, voyez ce qui se passera le 15...
Q - Le 15 justement, est-ce qu'il y aura un ou deux présidents ? Faudra-t-il négocier avec George Bush, tenir compte également de la voix de Barack Obama qui ne sera pas encore entré en fonction ?
R - C'est un peu délicat, mais il fallait nous dépêcher parce que la crise est grave, profonde et urgente à régler. En effet, ce sera le président Bush, toujours en fonction jusqu'au 20 janvier, qui sera présent à cette réunion. J'espère, mais c'est au président Bush d'en décider, que les représentants de la nouvelle administration seront là et que nous pourrons travailler ensemble.
En tout cas, même si cette proposition de Nicolas Sarkozy étonnait beaucoup de monde il y a un mois et demi, il y aura avec un G20, associant aussi les pays émergents, une réflexion sur les instruments nécessaires de régulation de la finance. Je suis persuadé qu'avec le président Obama les choses se poursuivront de bonne manière, dans la rapidité et la détermination.
Q - Barack Obama a dit tout à l'heure à Chicago qu'il voulait envoyer un message au monde, que l'Amérique envoie un message au monde. Est-ce que vous pensez que le monde aujourd'hui - la France mais également le reste du monde - a la capacité d'entendre ce message ?
R - Non seulement de l'entendre mais le reste du monde attend ce message.
Dans certains endroits, dans les pays pauvres, en particulier en Afrique, ce sera un peu long à faire passer. Mais justement, lorsque je disais que Barack Obama est un militant, je voulais dire qu'il sait ce qu'est la pauvreté. Il a passé dans ces milieux pauvres une partie de sa vie et on pourra compter sur lui pour le développement, en particulier en Afrique.
Evidemment, nous revenons de loin. L'Amérique représentait une détermination un peu solitaire et le contraire du multilatéralisme, c'est-à-dire décider ensemble et surtout décider dans le dialogue. Mais cela va changer.
Je suis persuadé que ce ne sera pas un dialogue forcené. Il y aura également des réflexions sur les engagements militaires américains et Barack Obama sera sans nul doute un président réfléchi. Il ne va pas tout bouleverser, ni se conduire comme un gauchiste. Le dialogue, il l'a dit plusieurs fois, sera sa méthode, et cela 'est formidable.
Q - Vous parlez des guerres, Bernard Kouchner, ce sera ma dernière question. Sur l'Irak, sur l'Afghanistan, la France et les Etats-Unis, vous en êtes persuadé aujourd'hui, vont avoir la même vision des choses ?
R - Nous proposons un certain nombre de choses. Je vous l'ai dit, nous avons rédigé un document pour un partenariat transatlantique et nous allons le proposer à nos amis américains et à la nouvelle administration, en particulier justement sur les thèmes de l'Irak, de l'Afghanistan, de l'Iran, du Moyen-Orient, des rapports avec la Russie et avec la Chine.
Je pense que nous nous déterminerons autour de positions communes.
C'est une grande joie. C'était une histoire d'amour reniée, qui est maintenant renouée.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2008