Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "La Tribune" le 7 novembre 2008, sur l'avenir des relations transatlantiques suite à l'élection de Barack Obama au poste de président des Etats-Unis d'Amérique.

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Média : La Tribune

Texte intégral

Q - L'élection d'Obama a réjoui la planète : ne faut-il pas craindre une désillusion lorsqu'il sera aux commandes ?
R - Le futur président sera d'abord attendu sur les dossiers intérieurs. Mais ne boudons pas notre plaisir d'avoir comme président des Etats-Unis un homme sympathique et bien attentionné.
Q - Est-il réaliste de promouvoir une nouvelle relation entre l'Europe et les Etats-Unis ?
R - L'Europe a accepté lundi lors d'une réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères à Marseille, une proposition française concernant les relations transatlantiques. Il s'agit d'un document, une "boîte à outils pour une nouvelle ère". Je serai à Washington mardi prochain et ferai également une conférence dans le centre de recherche de la Brooking Institution autour de ce socle de convictions communes à tous les Européens. Ce document témoigne de la forte volonté de l'Europe d'être présente sur tous les grands dossiers internationaux. Depuis Kissinger et sa fameuse expression "l'Europe, quel numéro de téléphone ?", je peux vous assurer que les choses ont bien changé ! Il est aujourd'hui possible d'appeler la présidence de l'Europe. Et que ce soit lors de la guerre en Géorgie ou de la crise financière, on a pu voir à quel point l'Europe existe. C'est vrai que le rôle des Etats-Unis n'est pas ordinaire. Mais à présent, nous voulons dire à Barack Obama que le rôle de l'Europe n'est pas ordinaire non plus.
Q - Que proposez-vous à la future administration Obama ?
R - Dans ce document de 6 pages, nous réaffirmons l'existence politique forte de l'Europe, et le principe du multilatéralisme. Nous réaffirmons aussi la nécessité d'une réforme des Nations unies, déjà entamée, et l'élargissement du G8 à un G14 avec notamment l'entrée de la Chine et de l'Inde. Suivent une série de sujets clés, tels le Moyen-Orient avec la nécessité de construire une fois pour toutes un Etat palestinien, l'Irak, l'Afghanistan, la Russie et la Chine.
Q - Visiblement, les divergences sont fortes avec Barack Obama sur la question afghane.
R - Il n'y aura pas de solution militaire en Afghanistan. La politique de sécurisation est certes nécessaire, mais il faut une solution politique et surtout aider le gouvernement Karzaï à assumer ses propres responsabilités. Est-ce que Barack Obama en est convaincu ? Ce n'est pas très clair. Il ne faut pas se faire d'illusions : il aura une attitude ferme de dirigeant américain. Il a déjà annoncé vouloir installer en Afghanistan deux bataillons supplémentaires retirés d'Irak. Je comprends la tentation légitime d'assurer plus de sécurité, pour que le gouvernement afghan puisse prendre ses affaires en main.
Q - En Irak, peut-on considérer que la situation s'est améliorée ?
R - Incontestablement, la situation sécuritaire est meilleure. A nous tous d'encourager ces évolutions. Pour ma part, je me bats pour que les entreprises françaises, Degrémont, Total, Suez et les autres reprennent leurs activités dans ce pays. Il y a de formidables opportunités, le pétrole bien sûr, mais aussi l'eau, l'urbanisme, les infrastructures, la santé, etc. C'est très important pour que ce pays retrouve le chemin de la croissance. En même temps, tout n'est pas réglé. Il faut travailler avec les Irakiens à une solution politique durable.
Q - Le Sommet du G20 le 15 novembre pour un nouveau Bretton Woods n'arrive-t-il pas trop tôt, Barack Obama n'était pas encore en poste ?
R - La crise n'attend pas. Comme il se doit, Barack Obama sera consulté par George W. Bush et des membres des équipes d'Obama seront sans doute dans les couloirs. Mais ce sommet est une bonne opportunité. Il y a une réflexion française que nous cherchons à partager avec nos partenaires européens et les grands pays d'Asie seront au rendez-vous.
Q - Que faut-il attendre de cette réunion ?
R - Des principes, des décisions et un calendrier. Des principes sur une réforme du système financier avec plus de régulation, un renforcement des mécanismes de supervision de toutes les institutions, plus de responsabilité et plus de transparence, la mise en oeuvre d'un système de prévention et d'alerte précoce des risques et, enfin, un rôle accru du FMI. Lors de ce sommet, les chefs d'Etat aborderont aussi la question des agences de notation et des normes comptables... Enfin, l'Europe souhaite que les décisions qu'elle a prises contre la crise, telles que les mesures de stabilisation du marché, inspirent la réflexion du G20. Personnellement, j'attends aussi de cette réunion de Washington des propositions envers les pays en développement, particulièrement les plus pauvres.
Q - Qu'attendez-vous du nouveau président américain en matière de développement ?
R - Nous avons tous souscrit aux Objectifs ambitieux du Millénaire. Nous savons bien qu'aux Etats-Unis comme en Europe, tout n'est pas possible tout de suite. Mais je suis certain que Barack Obama visera à plus de solidarité. Sur cette voie, il nous trouvera toujours comme partenaires dans l'action.
Q - Cette semaine, l'Union pour la Méditerranée a été mise sur les rails. Ne craignez-vous pas que la structure qui vient d'être créée soit un peu lourde ?
R - Le choix de Barcelone pour le siège de Union pour la Méditerranée démontre que la continuité de la démarche européenne depuis le lancement du Processus de Barcelone, il y a treize ans. Tous les pays arabes saut la Libye y participent. Il est formidable qu'on ait bâti une institution internationale avec des pays dont certains se font la guerre. Tout en affirmant leurs divergences, les quarante-trois pays adhèrent à l'institution. Un Secrétariat général a été confié à la Palestine, Etat qui n'a pas encore été constitué, et un Secrétariat général adjoint à Israël et nous avons mis en place six secrétaires généraux adjoints. Les groupes de travail commencent déjà se réunir.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2008