Texte intégral
Q - Barack Obama a été élu pour être le prochain président des Etats Unis... Cette nouvelle donne va-t-elle permettre de réparer les dégâts américains créés en Europe ?
R - Je l'espère, grâce notamment à ce fantastique espoir né d'une élection véritablement mondiale. Nous sommes tous...
Q - Américains ?
R - D'une certaine façon, oui. Mais je l'avais déjà écrit, dans d'autres circonstances, le 11 septembre 2001. Nous étions tous Américains, vous avez tout à fait raison. Nous formons un ensemble. Ce n'est pas seulement un formidable événement, ici aux Etats-Unis, mais également en Europe et bien sûr à Paris où il y avait de nombreux supporters quant à cette victoire.
Q- Et qu'attendez-vous de spécial, notamment à Paris, même si vous n'avez pas été des partisans pro-américains au cours de ces huit dernières années d'administration Bush ?
R - Vous avez raison, mais cela a changé avec l'arrivée du président Sarkozy. Nous attendons un dialogue et un partenariat. Un dialogue avec le reste du monde concernant la situation de l'Afghanistan, de l'Iran... Je sais que ce n'est pas facile d'établir un partenariat entre l'Europe et les Etats Unis. Il ne s'agit plus seulement de faire partie de la décision finale mais de pouvoir agir tous ensemble.
Q - C'est donc la fin de l'unilatéralisme, c'est ce que vous êtes en train de dire ?
R - Exactement, ce qui implique donc plus de multilatéralisme.
Q - Quand Barack Obama prendra la fonction de président des Etats-Unis en janvier prochain et quand il demandera à la France, par exemple, d'envoyer plus de troupes en Afghanistan, la France le fera-t-elle ?
R - Je ne sais pas, ce que je peux vous dire c'est que nous l'avons déjà fait. Ils nous ont demandé et nous avons répondu par l'affirmative.
Q - "Ils", l'Administration Bush ?
R - Oui, l'Administration Bush parce que je crois que nous devons ensemble considérer une stratégie et nous poser des questions comme : pourquoi avoir recours à une solution militaire ? Dans quelles perspectives ? Nous devons offrir la meilleure solution pour nos amis afghans, mais nous le considérerons ensemble. Vous savez que vingt-cinq membres de l'Union européenne sont engagés actuellement en Afghanistan. C'est une charge qui est assumée collectivement.
Q - Pensez-vous que cette opération puisse être gagnée ?
R - Militairement ?
Q - De façon plus générale.
R - De façon générale oui, militairement non.
Q - Quelle solution envisagez-vous pour l'Afghanistan, si ce n'est pas seulement une solution militaire ?
R - Nous devons obtenir une unité nationale, trouver une solution politique. J'ai, bien entendu, écouté attentivement ce que M. Obama a dit à ce propos.
Q - Il semble que l'Afghanistan soit une priorité pour lui.
R - Nous verrons, mais, comme tous les chefs d'Etat et de gouvernement du monde qui doivent faire face à des problèmes nationaux engendrés par la crise économique et financière, je peux comprendre que Barack Obama puisse débuter son mandat en traitant prioritairement ses questions intérieures. Il est certain que nous faisons également face au terrorisme au Moyen Orient, en Afghanistan, en Irak. A ce sujet, ce que nous combattons en Afghanistan c'est le terrorisme, non pas le peuple afghan et cette notion n'est pas aisée à faire comprendre aux opinions publiques, y compris dans mon propre pays - et principalement dans mon pays. Nous devons donc montrer que nous sommes en train de faire des progrès là-bas comme dans le domaine de l'éducation ou encore concernant la condition des femmes... mais ce n'est pas facile.
Q - Vous avez mentionné l'Iran. Le prochain président, M. Obama, a dit qu'il aimerait engager des pourparlers diplomatiques avec l'Iran sans pré-conditions. Soutenez-vous cette option ?
R - Oui, tout dépend de lui mais nous avons déjà commencé. Les six nations qui ont engagé des négociations n'ont pas posé de pré-conditions. Nous avons à la fois proposé le dialogue et commencé ce dialogue. Hélas, sans résultat concret. Nous avons, cependant, vu qu'une opposition en Iran existait et que de nouvelles élections se préparaient. Il y a un vent frais qui, je crois, nous permettra de commencer quelque chose de nouveau.
Q - Vous pouvez donc le percevoir ?
R - Y a-t-il une alternative ? Je pense que l'Iran est un grand pays, avec une riche histoire. Aujourd'hui, si nous voulons parler de l'Afghanistan, nous devons parler à l'Iran, si nous voulons parler du Moyen Orient, de l'Irak, de la Syrie, nous devons parler avec l'Iran. Donc soyons réalistes, parlons avec ces personnes.
Q - Comme vous le savez, il y a eu de nombreuses craintes dans cette région du monde parmi lesquelles celles de frappes militaires en Iran. Une fois, vous-même, vous avez dit que nous devions nous préparer à des frappes militaires en Iran.
R - Oui, je l'ai dit.
Q - Pensez-vous que ce soit toujours actuel ?
R - Oui, cela continue à être vrai mais nous devons avant tout combattre l'absence de solution, et nous soustraire d'une solution tragique.
Q - C'est-à-dire d'une solution militaire?
R - Bien évidemment de nous soustraire d'une solution militaire. Mais, nous savons que nous ne pouvons pas accepter un Iran équipé de la bombe atomique. C'est tout à fait inacceptable et bien entendu pour le nouveau président des Etats Unis, il s'agira d'une question cruciale.
Q - Que pensez-vous des intentions israéliennes? Croyez-vous qu'ils veuillent une solution militaire, bien évidemment personne ne souhaite le recours à la solution militaire, mais êtes-vous inquiet quant au fait qu'ils puissent mener une attaque préventive ?
R - Oui, je l'étais et je suis toujours inquiet. Nous devons trouver une solution pacifique contre cette menace qui concerne tout le monde, y compris nos amis russes et chinois. C'est la raison pour laquelle nous maintenons - aussi surprenant soit-il- l'unité de notre groupe P5, P5+1 et P6.
Q - J'ai lu que certains pays arabes étaient plutôt inquiets de ce que pourrait signifier un rapprochement ou du moins l'amorce d'un dialogue entre l'Iran et les Etats-Unis.
R - Comme toujours, vous êtes très bien informée.
Q - C'était dans les journaux, mais vous, vous y étiez, donc dites-nous en plus.
R - Ils ont fait part de leur mécontentement et ils nous ont fait savoir qu'ils voulaient aussi être associés parce qu'ils sont conscients de ce qui passe et de la menace sérieuse qui pèse sur eux.
Q - Sont-ils concernés par le fait que l'administration d'Obama puisse trop donner à l'Iran ?
R - Non, je ne le pense pas. Ils se sentent simplement concernés du fait de leur position géographique dans la région du Golfe.
Q - En quelque sorte donc un équilibre des pouvoirs ?
R - Tout à fait, un équilibre des pouvoirs.
Q - L'Europe et la France enverront-elles des troupes au Congo ?
R - Je ne sais pas si je serais capable de convaincre mes amis. Pour le moment, il y a 17.000 casques bleus qui sont déployés au Congo.
Q - Des troupes des Nations unies ?
R - En effet.
Q - Mais ces troupes semblent dépassées par la situation...
R - C'est exact, et c'est la raison pour laquelle le Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, a demandé à la communauté internationale l'envoi de 3.000 hommes supplémentaires. Nous verrons. Est-il possible que nous envoyions des troupes? Je ne saurais vous dire.
Q - Vous ne semblez pas optimiste...
R - Je souffre de ce mal, je ne peux pas être trop optimiste même si c'est à l'encontre de ma volonté. Vous savez, la question de la responsabilité de protéger a occupé une large partie de ma vie, j'ai consacré près de la moitié de mon existence à protéger les populations les plus pauvres. Aujourd'hui, nous sommes incapables de protéger des femmes qui sont violées, mutilées. On a estimé à 1.600.000 le nombre de personnes déplacées.
Q - Au Congo ?
R - De partout, non seulement au Kivu, la situation est désespérée. Que pouvons-nous faire ?
Q - Ce week-end, les chefs d'Etat du monde, y compris votre président Nicolas Sarkozy, se retrouveront ici avec le président Bush. Il a dit : "nous demandons à être entendus et rapidement. Je ne veux pas participer à un sommet où nous nous échangerons des propos policés pour réguler les finances mondiales". Que pensez-vous qu'il veuille dire en déclarant cela ?
R - C'est la façon dont il s'exprime, c'est nouveau dans les relations internationales, il parle franchement. Nous souhaitons trouver le début d'une solution et ne pas seulement être courtois et rencontrer les représentants de dix-neuf autres pays. Nous voulons impulser le début d'un processus de régulation financière à travers le monde. Nous, c'est-à-dire vous les Etats-Unis, nous les Européens, tous, nous subissons les conséquences de cette crise et nous devons agir et pas seulement prier le Dieu du libéralisme.
Q - Le Dieu de l'économie de marché ?
R - L'économie de marché n'est pas suffisante, nous sommes tous partisans de cette économie mais avec quelques régulations.
Q - A ce sommet, seront présents les principaux chefs d'Etat et de gouvernement du monde et un président américain en fin de mandat.
R - Désolé, ce n'est pas de ma faute.
Q - Mais que pouvez-vous obtenir ?
R - Nous obtiendrons les prémices d'un processus. A la suite de quoi, la nouvelle administration américaine prendra place. Vous savez, nous avons perdu beaucoup de temps, des mois, des années pour réguler ce qu'il est nécessaire de réguler. La nouvelle administration américaine en s'installant prendra ce fardeau sur ses robustes épaules.
Q - Merci beaucoup.
R - Merci à vous.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 novembre 2008