Interview de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, à la "BBC" le 12 novembre 2008, sur l'enjeu du G20 de Washington, le président élu Barack Obama et le dossier nucléaire iranien.

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Média : BBC

Texte intégral

Q - Monsieur Kouchner, merci d'être avec nous. Important sommet ce week-end. Tous les représentants des gouvernements vont converger vers Washington, ils incarnent quelque chose comme 90 % de la richesse du monde. L'enjeu, bien évidemment, est très important. Que pouvez-vous obtenir à ce sommet et qu'avez-vous à obtenir ?
R - Mais aussi 90 % des pertes à cause de la crise financière et économique. Nous souhaitons obtenir non pas un document, recette miracle pour réguler l'ensemble de la crise économique, mais du moins le début d'un processus de régulation. Nous nous sommes tous déjà réunis, comme lors du sommet Union européenne-Asie à Pékin. Il y a une volonté commune qui est de faire quelque chose en vue de réguler le système financier actuel.
Q - Mais croyez-vous qu'il pourra être régulé, quand vous voyez par exemple que même au sein de l'OMC il est difficile d'obtenir une position commune. Pensez-vous que toutes ces nations avec différents systèmes économiques puissent atteindre une sorte d'accord ?
R - Oui, une forme d'accord quant au processus à suivre, mais ce ne sera pas immédiat. Cela nécessitera beaucoup de travail de la part des experts, de nombreuses autres réunions et bien sûr nous devrons voir avec la nouvelle administration des Etats-Unis. Mais, croyez-moi, tous veulent cette régulation car nous souffrons de cette crise, pas seulement les gouvernements, mais les peuples et cela ne relève pas de l'OMC mais des pays, voire du FMI qui doit être réformé et qui a un rôle à jouer. Il faut une base commune concernant les marchés, la morale et les règles, ce qui n'était pas le cas. Je crois que, oui, nous arriverons à quelque chose.
Q - Vous appelez également à une refonte du FMI suivant les indications du Premier ministre britannique ?
R - Absolument. Cela prendra des mois, je ne sais pas combien de temps, mais cela demandera beaucoup d'imagination et d'expertise. Je crois que nous le ferons.
Q - Le président Obama, récemment désigné, a été invité à participer à ce sommet mais il ne s'y rendra pas. Ne trouvez-vous pas cela un peu étrange ?
R - Non, je crois qu'il ne veut pas jouer un second rôle, il veut être le protagoniste principal. Il le mérite absolument. C'était son choix de ne pas participer, c'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas attendre beaucoup de ce premier sommet, mais certainement des prochains.
Q - Il prendra les rênes du gouvernement d'ici 70 jours. La crise économique va s'amplifier dans un futur proche, n'est-il donc pas important de pouvoir parler avec lui ?
R - Bien sûr que c'est important. Le rôle qu'il a déjà joué durant sa campagne était substantiel, parce qu'il était pour le changement. Il a donc un rôle à jouer, il y réfléchit certainement, mais n'oublions pas que sa priorité sera son pays, les Etats-Unis d'Amérique.
Q - Pensez-vous que la présidence Obama signifiera que les Etats-Unis ressembleront plus à un pays européen, notamment en ce qui concerne des attitudes plus...
R - Qu'entendez-vous par pays européen ?
Q - Une politique plus centriste, plus de régulation.
R - Certainement, il y aura plus de régulation, mais cela a déjà été fait par le président Bush. Il a nationalisé de grandes entreprises, des banques, des sociétés immobilières...Ce n'est donc pas une question de gauche, de droite, d'Etat providence. C'est la voie dessinée pour affronter une nouvelle époque, pour faire face à une mondialisation réelle. Ceci doit se produire sans oublier les pays en voie de développement, il faut leur attribuer un rôle et une place dans cette nouvelle régulation. C'est non seulement un besoin, mais aussi un devoir. Vous savez, après cette crise financière, économique, nous serons confrontés à des problèmes sociaux : le chômage... C'est la raison pour laquelle les populations attendent avec impatience les conclusions de ce premier sommet du G20. Je ne sais pas si le G20 est le format approprié, mais nous verrons bien.
Q - Quand Barack Obama a remporté l'élection la semaine dernière, de nombreuses personnes en France, en Europe, étaient admiratives quant à cette victoire.
R - Oui.
Q - Quand il arrivera à la Maison Blanche et qu'il appellera votre président en lui disant : "Envoyez plus de troupes en Afghanistan, aidez nous en envoyant des soldats en Irak", direz-vous oui ou non ?
R - Je ne suis pas sûr que ce soit les mots qu'il emploiera. Vous savez nous avons envoyé déjà beaucoup de troupes en Afghanistan.
Q - Mais nous en avons besoin de plus.
R - Dans quel but ? Il est certain qu'il y a un besoin de troupes pour assurer la sécurité de certaines zones. Pour une meilleure sécurité, il faut des troupes supplémentaires. Néanmoins, il convient de s'interroger sur l'objectif, sur notre engagement en Afghanistan. Il s'agit de transmettre le pouvoir au peuple afghan, à nos amis afghans, et cela ne se passera certainement pas uniquement par une solution militaire. Il faut, en effet, assurer la sécurité - ce qui est un domaine essentiel - mais aussi permettre la transmission de tous les projets à l'armée, à la police afghane.
Q - Mon point de vue est qu'il était facile de dire "non" au président Bush parce qu'il était impopulaire en Europe, mais qu'en sera-t-il quand un président comme Barack Obama prendra les rênes et vous demandera un service...
R - Ce n'est pas un service.
Q - Mais pour un gouvernement comme le vôtre, il sera difficile de refuser, n'est-ce pas ?
R - Certes, mais n'oubliez pas que nous avons dit "oui" au président Bush.
Q - Tardivement.
R - Non, nous avons envoyé des troupes en Afghanistan. Ce n'est pas une question de relation personnelle mais de stratégie. Nous ne voulons pas perdre cette bataille contre le terrorisme, nous voulons gagner en Afghanistan. C'est dans le but d'aider nos amis afghans et assurer la bonne marche du processus démocratique dans ce pays. Ce processus conduit à une nouvelle attitude - c'est seulement en 2004 que les femmes ont obtenu le droit de vote. Nous devons donc renforcer notre soutien à l'égard du président Hamid Karzaï et de la démocratie naissante. C'est particulièrement difficile dans un tel pays mais c'est notre objectif.
Q - Passons à un autre thème, pensez-vous que...
R - Si je peux revenir sur un point. Nous étions très heureux de la victoire de Barack Obama, non seulement parce que c'était un candidat américain mais un candidat mondial.
Q - Mais il a seulement été élu par le peuple américain.
R - Oui, je sais.
Q - C'est justement ma question suivante. Pensez-vous qu'il puisse y avoir un Obama français, comme un président français d'origine algérienne, sénégalaise ?
R - Pourquoi pas? Nous avons déjà des membres du gouvernement issus de l'immigration.
Q - Certes, mais l'un de ces membres du gouvernement, le secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme, d'origine sénégalaise a elle-même dit qu'elle était une "navrante exception à la règle".
R - Oui, avec d'autres.
Q - La France est en retard derrière les Etats-Unis en ce qui concerne les questions d'intégration, comme le reste de l'Europe.
R - Oui, mais elle est une exception, et que dire des deux autres membres du gouvernement, ce n'est donc pas une exception mais plusieurs exceptions. Je sais que c'est une question assez difficile à considérer, il y a par exemple trop peu de représentants issus des minorités sur les listes électorales, trop peu de personnes originaires du Maghreb, de l'Afrique impliquées en politique ...
Q - Dès lors, l'élection de Barack Obama peut-elle être une source d'inspiration pour un pays comme la France...
R - Bien sûr !
Q - ...pour faire plus en matière de politique d'intégration.
R - Bien sûr, mais donnez-nous le temps de changer. C'est certainement l'une de nos principales nécessités morales.
Q - Si ce pays n'avait pas élu Barack Obama, il y aurait eu de nombreuses personnes en Europe qui se serait insurgées en disant : "regardez, les Etats unis sont toujours racistes", n'est-ce pas ?
R - Sans doute mais ils ont élu Barack Obama, c'est donc une source d'inspiration. Dans le cadre de la mondialisation, nous devons prendre en considération l'ensemble de la planète. La nécessité d'un nouvel engagement à l'échelle de la mondialisation passe aussi par le fait que des personnes originaires d'Afrique et d'autres continents puissent être élues dans nos pays.
Q - Nous pensons ce que Barack Obama attend de ses alliés, et vous, qu'attendez-vous de la part de Barack Obama ?
R - Débuter le dialogue dans différentes régions du monde, il ne s'agit pas seulement d'affronter les populations mais de dialoguer. C'est le cas par exemple en Iran, nous ne voulons pas seulement sanctionner. Nous l'avons fait avec nos amis américains.
Q - Cela n'a pas fonctionné.
R - Nous avons travaillé à des sanctions lors de plusieurs séances au Conseil de sécurité.
Q - Mais cela n'a pas fonctionné.
R - Nous ne pouvons pas juger, en partie oui, en partie non. Quoiqu'il en soit, nous les Français, étions en faveur d'un dialogue. J'attends donc la venue du président Obama pour que l'on puisse accéder au dialogue. Quelque chose de plus important encore, de mon point de vue personnel, c'est de considérer l'Europe comme un partenaire, pas seulement comme un allié mais un partenaire pour agir ensemble.
Q - Pas seulement la Grande-Bretagne mais l'ensemble de l'Europe.
R - Nous voulons être des amis des Etats-Unis, nous devons être des partenaires.
Q - Jusqu'à présent il y avait une relation privilégiée entre Washington et Londres. Vous voudriez de cette relation privilégiée également entre Paris et Washington ?
R - Nous avons des relations privilégiées entre Paris et Londres. Vous savez, nous nous sommes rendus pour la première fois en Afrique, ensemble avec mon homologue britannique David Miliband. C'était la première fois depuis des années, depuis l'époque coloniale que les ministres des Affaires étrangères britannique et français se rendaient ensemble à Goma dans le but d'essayer de résoudre un douloureux conflit. C'est l'entente cordiale, une entente formidable.
Q - On va voir.
R - On va voir.
Q - Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 novembre 2008