Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre chargé des affaires européennes, sur les positions de M. Chirac, du gouvernement de M. Jospin et sur les positions allemandes concernant l'avenir des institutions communautaires (notamment l'hypothèse de transformation du Conseil de l'Union en une deuxième chambre parlementaire) ainsi que sur les valeurs de l'alliance menée par M. Berlusconi pour les élections générales en Italie.

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Texte intégral

Q - Est-ce qu'on attend avec beaucoup d'intérêt cette intervention du Premier ministre ? Est-ce que ce sera vraiment centrale cette candidature potentielle à la présidence ?
R - C'est une question compliquée parce que c'est attendu avec beaucoup d'intérêt par un certain nombre de personnes qui sont des leaders d'opinion : des experts, des intellectuels, des journalistes, le monde politique, mais c'est vrai que c'est la grande opinion. On ne fait pas de l'Europe le centre de son débat.
Je pense d'ailleurs que c'est un discours qui est attendu à l'étranger, que ce soit dans l'opinion de l'Union européenne ou dans les pays candidats.
Donc c'est un discours nécessaire, et puis c'est vrai aussi qu'il s'agit quand même de ce qui sera l'enjeu des prochaines années. Que les Français, l'année prochaine, ne s'intéressent pas au débat européen autant qu'ils le devraient, c'est une chose. Qu'ils choisissent un président qui aura à se projeter dans cet avenir là avant tout, en est une autre.
J'ajoute que moi je souhaite que le débat européen soit très présent dans les campagnes de l'an prochain, qu'elles soient législatives ou présidentielles, car il ne faut pas rester dans l'ambiguïté sur ce sujet-là. Il faut que le mandat donné par le peuple à ses dirigeants quels qu'ils soient, soit extrêmement clair sur ce que nous avons à faire.
Car le président français l'année prochaine, comme le Chancelier en 2002 ici, quels qu'ils soient, seront des éléments leader structurants du débat sur l'avenir de l'Europe. Donc, c'est très important.
Je voudrais rajouter un mot encore. C'est que sur le fond, moi je suis convaincu que, quand Lionel Jospin parlera, donc très bientôt, vous ne serez pas déçus. Ce sera un discours qui fera le choix résolu d'une Europe très intégrée.
Ce ne sera pas une réponse à quelqu'un, ce ne sera pas la copie du discours du président, ce sera un discours original, mais on devra avoir une force propre.
Je crois avoir commencé à vous expliquer que de toute façon, il ne pouvait pas parler avant, sauf à faire une faute. Donc ce discours vient à temps, et pour le reste vous verrez que ce discours ne manque pas d'enthousiasme.
Ce prétendu silence n'est pas le signe d'une timidité, d'une hésitation ou d'un manque d'enthousiasme. C'est le résultat d'une chronologie qui a été en partie imposée, et par la cohabitation, et par la Présidence, et par les élections municipales en France.
Q - Est-ce que la cohabitation pose plus de problèmes à la politique européenne ou à la politique extérieure que par exemple à la politique intérieure, financière, etc... ?
R - La cohabitation ne pose pas de problème en matière de politique extérieure et européenne. Je dis ça, ce n'est pas de la langue de bois. On n'est pas là pour échanger des propos convenus.
Nous avons une méthode que nous avons appliquée systématiquement depuis quatre ans. C'est que toutes les décisions européennes sont préparées collectivement ou par le président de la République qui dirige notre délégation au Conseil européen, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et moi-même. Toute réunion européenne est précédée par ce qu'on appelle chez nous, un Conseil restreint qui fait que nous avons un langage, une politique des décisions, et des positions ajustées. On ne retrouvera pas sur ces quatre années de différence en matière de politique européenne concrète.
S'agissant du discours sur l'Europe, c'est quelque chose d'un tout petit peu différent, parce que ce sont des discours politiques sur l'avenir de l'Europe. Le discours de Joschka Fischer exprimait sa position politique. Le discours du président de la République devant le Bundestag était sa position politique. Le discours autour du texte du SPD était la position politique du SPD. Le discours de Lionel Jospin sera sa position politique. Ce n'est pas un problème de cohabitation. Cela aurait créé un problème de cohabitation si vous aviez eu deux conceptions politiques françaises pendant la Présidence. C'est toujours plus compliqué, parce que les fonctions se confondent avec les personnes. Moi, j'avais prononcé une phrase qui avait beaucoup choqué quand le président de la République avait fait son discours, en disant que ce n'était pas un discours des autorités françaises. Je maintiens ce que je disais. C'était un discours qui n'était pas un discours à titre privé, puisque c'est le discours du président de la République dans l'enceinte d'un grand Parlement, le Bundestag. Mais ce n'était pas un discours des autorités françaises au sens où ce n'était pas un discours que le gouvernement endossait, ni le Premier ministre. Et bien le jour où le Premier ministre s'exprimera, il s'exprimera... Le président s'est exprimé en tant que Jacques Chirac, président de la République. Lionel Jospin s'exprimera en tant que Lionel Jospin, Premier ministre, et je crois qu'on ne peut pas tout à fait distinguer Joschka Fischer du ministre des Affaires étrangères, et Gerhard Schroeder du Chancelier fédéral. Donc là, on est vraiment dans le domaine où les conditions politiques rencontrent les fonctions, dans des systèmes politiques qui sont forcément compliqués. Chez vous, ce sont des gouvernements de coalition, chez nous c'est la cohabitation actuellement. Ce sera le discours de Lionel Jospin, Premier ministre de la République française.
Q - Y aura-t-il des consultations avant cette intervention ?
R - Ca, je n'en sais rien du tout. C'est le Premier ministre qui le fera s'il souhaite le faire. Je ne suis pas certain que le texte du SPD ait été adressé à d'autres avant d'être prononcé.
Q - Ce que dit M. Fischer, c'est qu'il aurait quand même discuté de la substance de son intervention devant l'Université Humboldt, avec son collègue Védrine...
R - C'est très possible que cette consultation ait lieu. Je ne sais pas.
Q - Pour préciser le sens de ma question, permettez-moi de vous dire que M. Fischer au moment de son discours (inaudible) ... Maintenant, on sera en face de deux positions françaises. L'une prononcée par le président de la République, l'autre par le Premier ministre. A quoi les partenaires étrangers doivent-ils s'en tenir quand ils veulent répondre à la question de savoir ce que veut la France ?
R - Je voudrais quand même préciser une chose, c'est qu'il nous parle là d'un débat qui va trouver sa conclusion en 2004. Nous ne sommes pas en train de parler de choses qui auront un impact demain matin. C'est le cas du discours de Joschka Fischer, c'est le cas du discours de Jacques Chirac, c'est le cas du discours, du texte du SPD, ce sera le cas du discours de Jospin. On se prononce sur l'avenir. Par exemple, nous n'avons pas encore de Constitution européenne, nous en aurons une. Mais dans le texte du SPD, il est dit : nous espérons que nous nous trouverons, dans dix ans, dans une Europe qui aura une constitution. Mais j'espère bien qu'il y en aura une dans dix ans. Mais simplement, ce n'est pas pour demain matin. Et entre 2001 et 2004, d'abord de 3 ans et au milieu il y a 2002.
En 2002, comme ça tombe bien, il y a des élections présidentielles et législatives en France qui sont couplées, il n'y aura plus de cohabitation dans le gouvernement. Il y a des élections fédérales allemandes, et donc il y aura aussi une position du gouvernement allemand, donc les choses seront très claires. Par ailleurs, si vous vous intéressez aux positions françaises sur la politique agricole commune, la justice, le ministère de l'Intérieur, l'élargissement, sur tous les sujets qui sont les sujets du jour, vous n'en avez qu'une. C'est la position du gouvernement telle qu'elle s'exprime devant le Conseil européen.
Moi je trouve tout ça très bien parce que nous avons décidé ensemble à Nice d'avoir un grand débat public jusqu'en 2004. Donc il ne faut pas seulement qu'il y ait un discours, deux discours, trois discours, quatre discours mais des milliers de personnes qui s'expriment sur le sujet avec des points de vue différents selon qu'ils soient syndicalistes, responsables d'associations, intellectuels. Voilà, il faut que ce débat soit très libre. Ne le terminons pas avant qu'il commence. Il faut que l'Europe soit "maoïste", que les fleurs éclosent.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez dit qu'on sera surpris par le fait que le Premier ministre s'exprimera pour une Europe très intégrée pour le Chancelier, une Europe intégrée par ses conditions renforcées, par l'autorité budgétaire du Parlement européen et par la transformation du Conseil en une deuxième Chambre un peu selon le modèle du Bundesrat. Qu'est-ce que veut dire Europe intégrée pour le Premier ministre sur le volet institutionnel ?
R - Il parlera lui-même d'abord. Intégré, pour moi, ça veut dire une chose. Cela veut dire qu'on reste dans la poursuite et l'amélioration de la méthode communautaire, telle qu'elle a fait la richesse de l'Europe depuis les années cinquante, et qu'on est donc fidèle, dans cette inspiration originale, qui repose sur l'équilibre de 3 institutions fortes les unes et les autres : la Commission, le Parlement, le Conseil.
Je ne veux pas dire ce que le Premier ministre va dire parce que par définition, c'est à lui de le dire, mais je voudrais peut-être rappeler quelques idées que moi j'ai pu évoquer dans la dernière période, par exemple dans un discours de Vuisbourg. Je me référais aussi au discours de Joschka Fischer lui-même. Qu'est-ce que cela veut dire quand on parle de fédération d'Etats-nations ? Moi je suis pour une fédération d'Etats nations.
Cela veut dire que dans l'Europe, il y a bien sûr les éléments fédéraux qui vont se développer, des institutions fédérales qui vont devenir plus légitimes, plus démocratiques. C'est la Commission, c'est le gouvernement. Et qu'il y a aussi des institutions qui représentent les nations et les Etats-nations qui restent une source de légitimité très importante pour nous tous. Cette institution s'appelle le Conseil. Moi, c'est vrai que ce qui m'a intéressé dans le discours de Joschka Fischer, c'est que c'était original et fort qu'un Allemand, justement, s'empare de cet équilibre entre le fédéralisme et les nations. Et puisqu'on parle des partis socialistes, demain c'est le congrès du parti socialiste européen, je voudrais vous rappeler que le parti socialiste français a déjà pris position pour une fédération d'Etats-nations. C'était en 1996, avant les élections législatives. C'était une idée de Jacques Delors, déjà à l'époque. Le Premier secrétaire du Parti socialiste s'appelait Lionel Jospin, et j'avais été le rapporteur de la Convention qui avait préparé ce texte. Ce qui laisse quand même présager que le débat sur le concept de fédération des Etats-nations ne va pas rebuter le Premier ministre français. D'ailleurs, il a rappelé il y a quelques semaines que c'était un concept que sa formation politique avait déjà été utilisé et dans lequel il se reconnaissait.
Q - En commentant les propositions de M. Schroeder, qu'elles étaient un peu allemandes, en quoi est-ce que vous les trouvez allemandes, vous, peut-être trop allemandes ?
R - Ce n'était pas péjoratif.
Q - Oh non, je n'ai pas voulu dire ça.
R - Cela peut être un élément de caractérisation. Je ne parlerai pas de ce qu'a dit le président de la République devant le Bundestag mais je prendrai un exemple : il y a eu une contribution très intéressante qui a été faite par l'ancien ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, par Jacques Toubon, il y a quelques temps. Si vous dites que c'est une contribution française, ça ne me choque pas. Très française. Dans la mesure où ce système institutionnel est assez inspiré de notre propre système institutionnel.
Et si j'ai parlé de position allemande, cette question du papier du SPD, c'était uniquement cette question d'un élément qui était la transformation du conseil en une deuxième chambre. Cela ressemble un peu aux institutions allemandes, me semble-t-il.
Ce n'est pas un affaiblissement, c'est une transformation. On peut la discuter, c'est une proposition intéressante, légitime. Mais c'est un changement très fort des institutions européennes. Parce que dans les institutions européennes, il y a une institution qui s'appelle le Conseil, d'origine, qui n'est pas une deuxième chambre du Parlement. Parce que le Conseil est deux choses à la fois. Je rappelle : le Conseil est un organe législatif. Il l'est déjà, et c'est aussi un organe exécutif, sinon le principal organe exécutif. On peut parler de ces choses en logique institutionnelle sans se caractériser.
Et si vous prenez les institutions européennes, telles qu'elles existent encore une fois depuis 1957, elles sont au nombre de trois. Qui ne sont pas une commission et deux chambres parlementaires, mais une Commission, un Parlement et un Conseil, donc un autre type de trépied avec un pouvoir législatif qui est partagé entre le Conseil et le Parlement. Bon, que ces choses soient dans le débat mais je précise que l'une et l'autre conception sont tout à fait compatibles avec le concept de fédération d'Etats-nations. Simplement, dans un cas il y a plus de nations, dans l'autre cas plus de fédéralisme. Donc la question qui se posera en 2004, c'est où passe l'équilibre final. Il faudra trouver un compromis fatalement. Je le disais tout à l'heure, ce ne sera pas une Europe à la française. Ce ne sera pas une Europe à l'espagnole, ce ne sera pas une Europe britannique, ce ne sera pas une Europe à la française. Ce sera une autre Europe. Nous réfléchirons ensemble. Chacun apporte sa contribution et à la fin, on décidera.
Q - Concrètement, où est-ce que vous voyez l'inconvénient de la construction d'une deuxième Chambre, la transformation du Conseil en une deuxième Chambre ? Quelles sont les inquiétudes d'un point de vue français avec ce concept ?
R - Je ne veux pas entrer maintenant dans le détail de ce débat, et ce n'est pas d'ailleurs l'inconvénient dans le débat français. D'ailleurs, ce débat pourrait avoir lieu entre Allemands aussi, parce que ce n'est pas exactement la position qui était celle de Joschka Fischer. Cette deuxième chambre n'était pas tout à fait faite de la même façon, je crois. D'ailleurs moi-même, je ne peux pas donner une position française, puisque nous sommes dans ce stade du débat, chacun dit ce qu'il pense. Je citais tout à l'heure M. Juppé qui est notre ancien Premier ministre, très proche du président de la République. Il est favorable à une deuxième chambre. Il y a des gens chez nous qui sont tout à fait favorables à un Sénat européen. Simplement, il me semble qu'il y a un point sur lequel on doit réfléchir, c'est quel est le rôle du Conseil. Le Conseil est-il simplement une deuxième chambre parlementaire ? C'est une réponse. Le Conseil est-il un élément possible du gouvernement européen ? C'est une autre réponse. La deuxième réponse est plutôt celle que les Européens donnent depuis 40 ans. C'est pour ça que je parlais d'une transformation. Mais encore une fois, il n'y a rien de critiquable à souhaiter des transformations. Peut-être la situation présente exige-t-elle cette transformation. Parlons-en tranquillement, même si c'est vrai que vous trouverez sans doute pas mal de français qui pensent que le Conseil doit rester un élément fort de l'Europe de demain. Mais pas que des Français. Parce que je voudrais quand même signaler une chose. Nous aimons bien mettre en scène nos divergences franco-allemandes, mais en pratique et intellectuellement, nous sommes les plus proches. Nous avons un langage commun, nous ne défendons pas des conceptions opposées. Nous allons partir du même concept, la fédération d'un Etat nation, je pense. Le président de la République française et le Premier ministre ont accepté ce concept. Il y a là un lieu, un débat fécond franco-allemand, ce n'est pas une opposition. Quand je réagis sur le texte du SPD ou quand Hubert Védrine nous fait un article dans "le Monde" après le discours de Fischer, ce sont des contributions aux réflexions. Je pense que quand le Premier ministre fera son discours, il y aura aussi des gens qui lui répondront en Allemagne, sans qu'on pense tout de suite que c'est un incident diplomatique. Parce que sa position sera nécessairement différente, plus ou moins, de toutes celles qui ont été exprimées jusqu'à maintenant. Mais ne nous enfermons pas dans cette mise en scène différence entre nous, alors que la France et l'Allemagne seront demain, comme ils l'ont été depuis toujours, à la pointe de cette construction européenne et parmi les pays qui ont l'adhésion intégratrice la plus forte de l'Union européenne.
Q - Mais pourquoi pensez-vous que le modèle du Conseil européen reste le plus adéquat ?
R - Là je m'exprime à titre personnel. Si je raisonne en vous disant -"Nous allons vers une fédération d'Etats-nations"- Je vous dis qu'il faut des institutions qui incarnent la légitimité fédérative ou fédérée de l'Europe. La Commission exprime l'intérêt général européen. Elle doit être renforcée, légitimée, c'est d'ailleurs pour ça que la France et l'Allemagne étaient partisanes ensemble d'une Commission resserrée dans l'Europe élargie. Il faudra d'ailleurs y revenir au moment voulu. Le Parlement européen est une institution qui a l'avenir pour elle. La question étant de savoir d'ailleurs s'il faut une chambre ou deux chambres à ce Parlement européen, et je répète qu'il y a en France des gens qui sont favorables à un Parlement avec deux chambres. Moi, je n'en suis pas personnellement, mais il y en a. Et puis il y a aussi le Conseil qui incarne les gouvernements nationaux avec une forme de légitimité très forte, et qui peut aussi dans le fonctionnement, être fortement amélioré. Mais tout ça commence. Je ne suis pas certain que M. Blair, M. Aznar, M. Berlusconi pensent que le Conseil ne sert plus à rien, et qu'ils n'ont pas besoin qu'il défende les intérêts anglais, espagnols ou italiens. Je pense même que les Allemands savent bien se servir du Conseil.
Q - La proposition du SPD de renationaliser les fonds anglais a froissé quelques susceptibilités en Espagne . Est-ce que la France serait d'accord ?
R - Nous avons déjà évoqué cette question deux fois. Pas ici, dans l'espace de débat européen. Nous l'avons fait à Berlin, l'agenda 2000. Vous connaissez une partie de la réponse. Nous l'avons fait à Nice quand on a essayé d'évoquer la possibilité de débattre cette question à la majorité qualifiée . La France et l'Allemagne ont proposé qu'on décide de cela à la majorité qualifiée. Puisque vous parliez d'enthousiasme, M.Aznar n'a pas été très enthousiaste. Je ne suis pas sûr que nos pays candidats seraient enthousiastes non plus. Or ils seront là quand on décidera du prochain agenda financier. Je vous donne une partie de la réponse. Il ne faut jamais oublier que dans l'Europe, on n'est pas tout seul. Et on sera de moins en moins tout seuls, puisque le projet commun c'est justement cette grande Europe unie. Voilà, là-dessus, je ne pense pas que les Français soient les plus éloignés des Allemands. Il y en a d'autres qui sont très éloignés de ces positions. Que M. Aznar partage ces options politiques ou pas, il ne sera pas là demain à Berlin. Mais c'est le dirigeant d'un pays qui compte.
Q - ... Tout à l'heure quand on citait le nom de M. Berlusconi, vous avez ajouté hélas... Mais est-ce que c'est tout ce que l'Europe doit faire ?
R - Pour l'instant c'est tout. Je dit hélas parce que tout ce que propose M. Berlusconi est hostile à ce que je crois. Il a des alliés qui ne me plaisent pas dans la politique européenne. Et par rapport à ce qui peut se passer, je voudrais faire deux petites réflexions. La première, c'est que s'il gagne les élections dimanche, c'est le choix des Italiens. C'est la démocratie. Et ce que nous a appris l'expérience en Autriche, c'est que l'Union européenne ne peut réagir par rapport à un pays membre que selon deux critères. Le Premier c'est le respect des valeurs. C'est le refus du racisme, de la xénophobie, de l'antisémitisme. Qu'est-ce qui a fait réagir les Européens en Autriche ? C'était la présence de M. Haider. J'ai vu qu'il avait perdu quelques procédures judiciaires récentes en Autriche quant à l'expression d'opinions qui pouvaient sembler antisémites. Je ne crois pas que pendant la campagne il se soit pas privé d'allusions clairement antisémites. Il a fait l'éloge du 3ème Reich. Bon, c'est un cas particulier quand même. M. Berlusconi n'est pas dans la même situation. Aucun de ses alliés non plus. Je n'aime pas M. Fini. Il a été le Secrétaire général du parti fasciste. Il doit lui en rester quelque chose peut-être quelque part. Mais il a rejeté le fascisme. C'est très important. Cela c'est le premier point par rapport auquel l'Europe peut réagir. Et que nous avons un mécanisme qui empêchera, qui empêche une contestation par rapport à ce que nous avons fait. Nous avons tiré les leçons. Je précise que ce que je dis là ne vise pas M. Berlusconi. Mais cela concerne tout le monde. Si demain, en France, M. Le Pen, M. Megret prenaient le pouvoir, je souhaiterais que l'Union européenne prenne des sanctions contre nous. C'est le respect de nos valeurs communes. Le deuxième point de vue, c'est qu'il est intégré dans l'engagement européen dans tel ou tel pays. Mais j'ajouterai quelques réflexions aussi. Le premier, c'est qu'il n'y a pas de mécanisme contre l'euroscepticisme. Le deuxième, c'est que l'Italie a quand même des traditions pro-européennes. Quelles que soient les tentations de tel ou tel membre de la Commission, je ne crois pas qu'on puisse craindre plus que des inflexions de la politique européenne traditionnelle. Mais voilà donc, il faut accepter les élections telles quelles. Il faut être vigilant sur nos valeurs pour eux, comme il faut l'être pour chacun d'entre nous. Il faut espérer la continuité de l'Union européenne.
Q - Si l'on regarde les prises de position de M. Bossi, cela vaut tout à fait pour les prises de position de M. Haider. Je pense qu'il y a lieu d'être inquiet, et qu'on peut à la fin avoir l'impression que l'Union agit différemment, parce que c'est un grand pays qui est trop puissant pour que soient appliquées des sanctions comme il en a été appliquées contre l'Autriche.
R - Sincèrement, je ne crois pas. Je n'ai pas la réputation d'être hypocrite notamment sur ces questions. Il y a quand même quelques différences. M. Haider manie quand même les concepts les plus anti-démocratiques qui soient. Il a une rhétorique. Il n'a pas abandonné complètement les réminiscences du nazisme. C'est possible que ce personnage exécrable ait mis un peu d'eau dans sa xénophobie. Encore une fois, je ne partirais pas en vacances avec lui. La léga n'a pas, dans la coalition, le même poids que le FPOE. Je rappelle que le FPOE a obtenu 27 % des suffrages aux élections. Actuellement le même score qu'au parti conservateur. Alors que la ligue apparemment représente 4 à 5 % des voix. Quand aux accords locaux exécrables, ils sont condamnables. Et ce qui est important quand on approche les élections nationales, c'est qu'il n'y ait pas d'accord nationaux. Il parlait de M. Mégret et de M. Le Pen. Quelques personnalités politiques ont fait des accords avec eux durant les élections régionales en 1998 en France. Ce n'est pas une raison pour jeter l'opprobre sur les partis conservateurs français, dans la mesure où le président de la République et les chefs de parti ont pris des distances très claires. Donc moi je vous dis très sincèrement, si je pensais que la situation était la même en Italie qu'en Autriche, je tiendrais le même discours. Sincèrement la situation italienne ne m'emballe pas mais ce n'est pas la même chose. Dans la négation des valeurs, il y a des degrés.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mai 2001)