Déclaration de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur la protection de l'environnement et la biodiversité, Putrajaya (Malaisie), le 10 novembre 2008.

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Circonstance : Conférence sur la biodiversité et les services écosystèmiques à Putrajaya (Malaisie) le 10 novembre 2008

Texte intégral


Permettez-moi tout d'abord de remercier le gouvernement malaisien et le PNUE pour leur engagement dans l'organisation de cette conférence qui, j'en suis sûre, marquera un moment fort de la mobilisation des États en faveur de la biodiversité. Permettez-moi aussi de vous dire la joie qui est la mienne d'être à vos côtés ce matin, pour vivre un moment rare : aujourd'hui, nous allons en effet témoigner de la volonté partagée par les nations du monde d'agir pour préserver l'infinie richesse de notre planète.
Nous allons faire bien plus que porter témoignage d'une volonté commune, nous allons, si vous le voulez, commencer à agir, en donnant naissance à l'outil scientifique dont nous avons besoin pour prendre rapidement les bonnes décisions, celles qui s'imposent si nous voulons, demain, mettre un terme à la triste litanie des espèces en voie de disparition, qui, jour après jour, ne cessent de se multiplier.
Nous allons agir et les décisions que nous allons prendre seront historiques : jamais, dans la courte histoire de notre espèce, il n'y eut en effet de menace plus brûlante que celle qui pèse à présent sur nous ; jamais, nous n'avons eu de meilleure raison d'agir ensemble, au nom de l'intérêt commun de l'humanité.
Nous allons agir et les décisions que nous allons prendre s'imposeront à nous avec un degré d'exigence que nous n'avons jamais connu : parce qu'il en va, tout simplement, de l'avenir de l'espèce humaine, qui se confond à présent avec celui de la nature tout entière.
Car notre sort ne sera pas différent de celui des espèces qui nous entourent.
Sur les épaules des hommes, il pèse donc une responsabilité singulière : une responsabilité vis-à-vis de nous-mêmes et de tous nos semblables, dont nous ne devons pas mettre en péril la survie ; mais également une responsabilité envers la nature tout entière, dont nous ne pouvons espérer nous affranchir, mais que nous ne pouvons détruire, au risque de nous détruire nous-mêmes.
C'est à cette double responsabilité que nous avons manqué.
Longtemps, il est vrai, nous ne nous savions pas : les connaissances nous manquaient, de même que les instruments nécessaires pour mesurer l'étendue des dégâts que nous causions.
Puis s'est imposée peu à peu l'impression que nous étions en train de détruire une part de notre monde et d'effriter jour après jour la biodiversité qu'il accueille. Les chercheurs ont alors commencé à nous donner une image plus précise des dégâts et à découvrir les causes, si souvent humaines, qui nous conduisaient vers un désastre sans précédent.
Le temps des premières prises de conscience, rappelons-le, nous l'avons vécu ensemble, en nous réunissant à Paris, au siège de l'UNESCO, il y a maintenant près de quatre années ; la France était alors aussi fière et heureuse de vous accueillir que la Malaisie l'est à son tour aujourd'hui.
Pour la première fois, ce que chacun de nous pouvait dire et affirmer de son côté, nous l'avons dit et affirmé ensemble à Paris. Tout au long de cette semaine qui prit peu à peu le visage de véritables assises sur la biodiversité, nous avons en effet parlé d'une seule voix : ces 2 000 délégués venus de près de 100 pays se sont ainsi fait entendre au nom de l'intérêt commun de l'humanité.
Ce qu'ils ont dit et affirmé alors, nul depuis ne l'a démenti. La sixième vague d'extinction a bel et bien commencé, et pour la première fois, l'extinction des espèces est due au règne sans partage et sans limites de l'une d'entre elles.
Les preuves sont là dois-je le rappeler : un amphibien sur trois, un mammifère sur quatre, un oiseau sur huit sont à présent menacés et dans le même temps, la flore elle-même recule. Entre 2000 et 2005, des étendues de forêt aussi grandes que la Grèce ont disparu, appauvrissant ainsi de 13 millions d'hectares notre patrimoine naturel.
Les preuves sont là, et l'impression s'est faite certitude : le monde s'appauvrit, la nature s'étiole et c'est un peu de notre avenir commun qui disparaît avec ces espèces menacées. Car la biodiversité n'a rien d'un luxe ; et vouloir la préserver, ce n'est pas chérir de manière presque fétichiste la diversité pour la diversité, à la manière d'un collectionneur.
Non, la biodiversité est bien plus qu'un simple luxe, que nous offrirait une nature généreuse. Elle est l'assurance que la vie trouvera toujours, par le double jeu de l'évolution et de la sélection naturelle, une nouvelle manière de s'affirmer et de nouvelles espèces pour survivre.
La biodiversité est l'assurance-vie du monde. Sans elle, le patrimoine génétique du vivant régresserait et avec lui le champ des possibles de l'évolution, nous laissant plus faible encore face à une sélection non plus naturelle et proportionnée à l'échelle des temps géologiques mais bel et bien rude et intense, engendrée par les activités humaines.
Car dans ce monde dont nous ne cessons de transformer le visage, de nouvelles menaces naturelles sont nées. La grippe aviaire elle-même en témoigne : l'évolution des espèces n'est pas d'abord qu'un fait scientifique, elle est aussi et surtout un fait biologique qui met parfois directement en péril la vie des hommes et des femmes de ce monde.
C'est la raison pour laquelle nous devons agir, pour préserver enfin cette biodiversité qui n'est rien d'autre que la promesse d'un avenir, envers et contre tout.
Voilà pourquoi, il y a près de quatre ans, nombre d'entre vous, vous étiez rendus à l'invitation du Président de la République française, pour faire naître ce « réseau mondial d'expertise » dont nous avions besoin pour prendre, enfin, les bonnes décisions.
Voilà pourquoi, au terme de cette conférence historique, nombre d'entre vous aviez appelé à la mise en place « d'un mécanisme international » inédit, pour être enfin à la hauteur de nos responsabilités communes.
Ce fut l'initiative IMoSEB. Depuis cette belle idée n'a cessé de murir, grâce au travail et à l'engagement du comité de pilotage international, qui a su réunir autour de lui tous les talents et toutes les bonnes volontés, dont le cercle n'a cessé de s'élargir.
Autour du comité, ce sont en effet de grands chercheurs, mais aussi des représentants des conventions internationales de protection de l'environnement, que je salue ici, et un nombre sans cesse croissant de représentants nationaux qui ont oeuvré pour donner corps à cette initiative.
Sur chacun des continents, nous avons travaillé ensemble : en Amérique du Nord, en Afrique, en Europe, en Asie, en Amérique du Sud, et enfin en Océanie. De tels tours du monde sont rares : il témoigne, s'il en était encore besoin, de la force de notre volonté commune d'aboutir aujourd'hui.
Avec le programme des nations unies pour l'environnement, dont je veux, Monsieur le Directeur exécutif, saluer au nom de la France l'engagement sans faille, l'engagement tout particulier, il nous reste en effet une dernière étape à franchir, c'est cette dernière étape que nous, peut-être grâce à vous, allons franchir aujourd'hui.
Car après le temps des prises de conscience, le temps de l'action est désormais venu.
Mais pour agir avec efficacité, il nous faudra nous appuyer sur des connaissances fermes, solides et incontestables. Et pour ce faire, nous avons besoin, Mesdames et Messieurs les scientifiques, nous avons besoin d'une communauté scientifique à l'échelle du monde, pour nous aider à prendre les bonnes décisions.
Aux chercheurs, il ne revient en effet pas seulement de donner l'alerte, il leur revient aussi d'ouvrir la voie à l'action en nous disant quels sont les chemins que nous pourrons emprunter.
Si vous acceptez de jouer ce rôle, comme vous avez accepté, il y a quatre ans, d'adresser d'une seule voix un message d'alarme très clair à l'ensemble de la communauté internationale, je suis certaine que nous parviendrons à atteindre notre but commun.
Le moment est venu de former une nouvelle fois cette union sacrée qui rassemble les politiques et les scientifiques autour d'une même exigence, celle de la préservation d'une nature de toute part menacée.
Cette union, la France y voit non pas l'occasion d'une confusion des genres, par laquelle les scientifiques se feraient politiques et les politiques scientifiques, mais bien le moyen d'offrir aux décisions politiques la ferme assise du savoir.
Car la connaissance elle aussi peut renverser les montagnes et transformer le monde. Certains le lui reprochent, mais nous ne pouvons pas être de ceux-là. Il est en effet de la responsabilité des hommes et des femmes politiques que nous sommes d'utiliser judicieusement les connaissances qui sont les nôtres pour fixer les buts que nous voulons poursuivre, et enfin pour les atteindre.
Et la science peut nous y aider, comme l'a fait le rapport Stern en accélérant le lent mouvement des mentalités en matière de changement climatique. Nous avons alors compris qu'il était vain de chercher à chiffrer le coût des réductions des émissions si nous n'avions pas en tête, dans le même temps, le coût faramineux de l'inaction.
Cette révolution copernicienne, il nous faut l'accomplir aussi en matière de biodiversité et sur ce point aussi, votre aide nous sera précieuse.
Elle nous sera d'autant plus précieuse qu'il nous faudra agir vite, très vite. Jacques Chirac l'avait dit à Johannesburg en 2002 : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».
Six ans plus tard, nous avons commencé à regarder les choses en face, mais nous ne pouvons hésiter plus longtemps à agir : la disparition des espèces se poursuit, il nous faut la ralentir, il nous faut la stopper.
Mais pour y parvenir, il nous faudra emprunter la voie sûre de la science et agir à bon escient. La communauté scientifique nous a montré, Mesdames et Messieurs, la mobilisation et la maturité dont elle était capable en matière de climat. Nous avons besoin du même regard à la fois aigu, mais aussi pragmatique, pour préserver la biodiversité.
Nous avons besoin des mêmes débats, parce que la voie sûre de la science se construit sur les divergences et les doutes partagés, mais nous avons besoin aussi de savoir ce que nous pouvons faire d'ores et déjà.
La rigueur des procédures et la qualité des analyses du GIEC ont permis de tracer le sillon de la lutte contre le changement climatique. A notre tour d'ouvrir le chemin, avec la même rigueur et le même engagement, pour créer ce GIEC de la biodiversité que nous attendons tous.
Permettez-moi de revenir un instant sur cette formule, de peur qu'elle ne soit mal comprise. La biodiversité n'est pas le climat et l'IPBES n'aura rien d'un simple décalque du GIEC.
Cela n'aurait au demeurant aucun sens : l'étude du vivant est plus complexe encore que celle du climat, même si, comme cette dernière, elle se nourrit de la rencontre de plusieurs disciplines scientifiques.
Mais comme le GIEC, l'IPBES offrira un cadre à la mobilisation de la communauté scientifique, en devenant ce lien de rencontre et de travail où les études et les recherches communes se structureront.
De même, la préservation de la biodiversité dépend de plus d'acteurs encore que la lutte contre le changement climatique. Au niveau international comme au niveau local, il nous faudra donc apprendre à travailler ensemble : nous devrons donc construire un outil accessible à tous, pour partout agir dans un même élan.
Et pour parvenir à réaliser ce rêve d'une humanité tout entière mobilisée, nous ne devrons pas oublier que la protection de la biodiversité reste inséparable des questions de croissance et de développement.
Car sur ce point aussi, les inégalités entre le nord et le sud sont des plus profondes : les peuples qui dépendent au quotidien de leurs écosystèmes pour trouver leur nourriture, leur énergie ou, tout simplement, ce bien si précieux qu'est l'eau, ces peuples sont aussi ceux qui vivent au contact des écosystèmes les plus fragiles et les plus menacés par la surexploitation et le changement climatique.
Pour agir, il nous faudra donc aussi tracer une voie qui nous permettra de respecter et de répondre à tous leurs besoins tout en préservant ces environnements.
Le GIEC n'est donc pas un modèle, qu'il nous suffirait d'imiter. Mais il reste et demeure une référence, justement consacrée par un prix Nobel, vous l'avez dit, une référence qui atteste de ce dont est capable la communauté scientifique lorsqu'elle conjugue rigueur et engagement, sans jamais sacrifier l'un à l'autre.
C'est donc un nouveau défi, plus grand encore que ce que nous avions pu imaginer, qu'il nous revient de relever aujourd'hui.
Nos responsabilités sont là : pour y faire face et cette fois encore, la France est prête à apporter son soutien à cette oeuvre commune. Elle y est prête, car elle est convaincue qu'au fondement de toute décision politique, il peut et il doit y avoir, d'abord, une expertise scientifique fiable.
C'est pourquoi la France souhaite que le mécanisme qui verra le jour bénéficie de toutes les garanties d'indépendance scientifique et de transparence dans son fonctionnement.
Ce sont en effet ces garanties qui font la force de la connaissance scientifique et c'est grâce à elles que nous pourront nous retrouver autour de certitudes communes.
Nous devrons donc nous montrer fidèles aux plus hauts standards scientifiques internationaux de l'évaluation par les pairs : car c'est ainsi que nous permettrons à toutes les communautés de chercheurs dans le monde de se retrouver autour des mêmes questions et de faire valoir leur point de vue, dans le respect des approches singulières des uns et des autres.
C'est ainsi que nous construirons une expertise de référence, dont la valeur sera reconnue par tous et que nul ne pourra contester.
Pour garantir cette indépendance qui fera toute la valeur de vos travaux, il faut aussi offrir à l'organe qui les coordonnera la même indépendance. Il s'agit d'un réseau de réseaux, et cet organe doit être léger. C'est pourquoi la France propose que le secrétariat de la plate-forme qui naîtra bientôt soit placé sous les doubles auspices de l'UNESCO et du PNUE, mais aussi des instances internationales qui souhaitent y prendre part.
Dans ce même esprit, la France est prête, si vous le souhaitez, à accueillir le secrétariat du futur IPBES à Paris, au Musée de l'homme, pour lui permettre de commencer ses travaux dès 2009. Ce geste, qui n'est bien sûr qu'une proposition, illustre le plein soutien de la France à un processus qu'elle souhaite voir aboutir rapidement, tant elle est convaincue de son importance pour la planète entière.
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, fidèles aux valeurs des Lumières qui l'animent, la France est résolue à placer avec vous l'expertise scientifique au coeur non seulement de la réflexion de la communauté internationale, mais aussi et surtout de son action.
Il y a urgence. Les écosystèmes qui nous entourent souffrent et les immenses services qu'ils nous ont rendus et qu'ils nous rendent encore chaque jour mettent leur survie même en péril : en 2005, 60 % des écosystèmes étudiés dans le cadre du Millenium ecosystem assessment étaient en cours de dégradation ou exploités de manière irrationnelle, vous l'avez dit.
Longtemps, nous avons cru que les aptitudes exceptionnelles dont notre espèce a su faire preuve nous séparaient d'une nature dont nous étions, en quelque sorte, destiné à devenir les protecteurs, si ce n'est les maîtres.
Mais les capacités inouïes dont l'humanité a fait montre ne la délient pas de cette loi commune de la nature : l'humanité n'est pas un empire dans un empire, dont le destin serait indépendant de celui des espèces qui l'entourent ; non, l'humanité, comme toutes les espèces, reste inséparable du milieu qui l'accueille et si ce milieu venait à disparaître, l'humanité aurait toutes les chances de disparaître à son tour.
Aussi, Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous lancer un appel, qui vient du fond de la conscience française et qui n'a jamais été mieux exprimé qu'en 1932 par un autre prix Nobel, de littérature cette fois, Henri Bergson :
« L'humanité gémit, à demi-écrasée sous le poids des progrès qu'elle a faits. Elle ne sait pas assez que son avenir dépend d'elle. A elle de voir d'abord si elle veut continuer à vivre. »
C'est à cet appel que nous allons répondre aujourd'hui, en affirmant notre volonté de poursuivre l'aventure humaine : oui, notre avenir dépend de nous ; oui, nous allons renouer le fil interrompu du progrès, et redonner à la science sa juste place, celle du meilleur outil dont les hommes puissent disposer pour agir dans l'intérêt de leurs semblables et dans l'intérêt de la planète.
Et de cela, nous avons le droit, nous avons le devoir d'être fiers.
Je vous remercie.
Source http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr, le 25 novembre 2008