Extraits de l'entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "Canal Plus" le 27 novembre 2008, sur les attentats terroristes à Bombay et l'annulation du sommet sino-européen à Lyon en raison de la rencontre de Nicolas Sarkozy avec le Dalaï-Lama le 6 décembre à Gdansk.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

Q - On va parler de l'actualité, de votre point de vue sur les faits du jour et qui sont très lourds, à commencer par l'action terroriste à Bombay, qui a fait au moins 100 morts. Que savez-vous des terroristes qui viennent du Pakistan - c'est ce que l'on dit aux dernières nouvelles - ? Y-a-t-il des ressortissants français bloqués ? Que faites-vous ?
R - Nous avons veillé toute la nuit. Une cellule d'urgence qui travaille jour et nuit a été mise en place avec 50 personnes. Nous avons essayé de recueillir tous les éléments en ce qui concerne les Français, qui sont peut-être entre 15 à 25. Certains ont pu être joints sur leurs téléphones portables, d'autres ne l'ont pas été.
Q - Ce sont des employés d'Air France ou des touristes ?
R - Il y aurait, en effet, un équipage d'Air France mais il y a d'autres Français : des touristes, des hommes d'affaires qui se trouvent peut-être dans l'un des trois hôtels qui ont été pris d'assaut par les policiers et par les brigades spéciales indiennes.
Il y a quelques minutes, j'ai parlé avec le ministre indien des Affaires étrangères. Pour le moment ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y a pas de Français parmi les blessés recensés. Cinq ou six Français se dirigeraient vers le consulat général. Notre ambassadeur et notre consul général sont sur place. Un avion médicalisé est parti avec, en autre à son bord, une équipe administrative de renfort qui va s'occuper des Français sur place. Cet avion devrait ramener, si on le peut, des Français, mais aussi des Espagnols, des Portugais, ainsi que le groupe de députés européens qui se trouve actuellement à Bombay et tous les Européens qui le souhaiteront.
Q - On dit qu'il y a des otages. Y a-t-il des Français parmi les otages ?
R - Il y avait des Français dans ces hôtels. Sont-ils pris en otages, directement visés comme Français ? Je ne le crois pas, mais ils étaient encore dans les établissements attaqués.
Il faut dire que c'est une opération de guerre très minutieusement, très méticuleusement menée, qui a été conduite dans plusieurs lieux de la ville, y compris, des hôpitaux, des restaurants, des hôtels.
C'est une opération de guerre contre la plus grande démocratie du monde, c'est donc une opération de guerre contre la démocratie. L'Inde est un pays pluriethnique, un pays pluri-religieux, un pays - encore une fois je répète ce mot - de démocratie. Alors, vous dites des Pakistanais...
Q - C'est l'une des dernières nouvelles de l'AFP.
R - Cela veut dire que peut-être des citoyens pakistanais seraient membres de ce que l'on appelle les Moudjahidines du Deccan. C'est probablement, on en est à peu près sûr, une des parties de la nébuleuse d'Al Qaïda. Néanmoins, cela ne veut sûrement pas dire qu'il s'agisse de Pakistanais qui auraient agi au nom du Pakistan.
Q - Al Qaïda : "on en est à peu près sûr". On peut le supposer ou il y a des éléments qui permettent de le penser ?
R - Je crois qu'on le suppose très fortement. Du moins, c'est ce que les autorités indiennes m'ont dit aujourd'hui. Mais ils n'en sont pas sûrs. C'est la première fois que se manifestait en tant que tel ce groupe des Moudjahidines du Deccan. Cela relève d'une barbarie absolue avec un mitraillage en pleine ville, des grenades jetées partout. Les victimes sont nombreuses, il y aurait plus de 100 morts, peut-être le saura-t-on plus précisément ce soir.
Voilà ce que nous faisons : nous veillons en permanence, les équipes sont prêtes et nous sommes prêts à soutenir nos amis, les Indiens.
Q - Il n'y a rien à rajouter sur ce sujet à l'heure qu'il est ?
R - Il ne faut pas oublier la grande anxiété des familles que nous recevons également au centre de crise du Quai d'Orsay qui, je vous le répète, travaille jour et nuit.
Q - Autre sujet qui concerne les Affaires étrangères, c'est le contentieux entre Paris et Pékin. La Chine vient d'annuler le sommet entre la Chine et l'Union européenne qui devait avoir lieu lundi prochain. La raison, semble-t-il, c'est le rendez-vous que doit avoir Nicolas Sarkozy avec le Dalaï-Lama à Gdansk le 6 décembre. Qu'en est-il aujourd'hui ? Est-ce que cette rencontre avec le Dalaï-Lama est maintenue ? Est-ce vraiment la cause de l'annulation de ce sommet d'après vous ?
R - D'abord, nous - pas seulement la France, c'était une rencontre de l'Union européenne et de la Chine à Lyon, lundi prochain - regrettons terriblement cette décision. Nous la comprenons mal et j'espère que nos rapports avec les Chinois en général, avec le peuple chinois seront maintenus comme ils le sont, à savoir fraternels et très proches en réalité. Je me souviens de cette réunion à Pékin, il y a quelques semaines, où nous préparions ensemble le document de travail du Sommet du G20 à Washington. Les Chinois partageaient nos positions, notamment à l'égard de la régulation nécessaire des marchés financiers.
Q - Mais la raison ?
R - La raison alléguée est celle dont vous parlez, alors qu'il ne s'agit pas d'une rencontre particulière entre le chef de l'Etat français et le Dalaï-Lama. Le chef de l'Etat français est invité pour rencontrer les représentants de sept pays afin d'évoquer la question du paquet "énergie-climat". Il s'agit des sept pays de l'Union européenne qui rencontrent le plus de difficultés parce que ce sont ceux qui se chauffent au charbon, au lignite ... Or à ces mêmes dates, c'est-à-dire les 5 et 6 décembre, plus précisément le 5 au soir, à l'occasion du 25ème anniversaire de son Prix Nobel de la Paix, Lech Walesa a invité un certain nombre de Prix Nobel dont le Dalaï-Lama que Nicolas Sarkozy rencontrerait comme d'autres Prix Nobel. On ne peut pas se laisser dicter, même par des amis, la conduite de la France.
Q - Le calendrier n'est donc pas changé pour vous ?
R - Non pas du tout, il ne peut pas être changé !
Q - Autre sujet, qui concerne Dany Egreteau, dont vous avez reçu et même vu certainement une vidéo qui a été envoyée. Il travaillait pour une ONG en Afghanistan, il a été enlevé et il demande - les images sont terribles, on va juste passer une image arrêtée et non pas une vidéo - que la rançon soit payée pour qu'il soit libéré...
R - Nous nous en occupons. Vous savez, cette nuit, il y a à la fois les attentats à Bombay, les émeutes en Thaïlande, l'enlèvement de notre ami de "Solidarité laïque" - l'ONG pour laquelle Dany Egreteau travaille - et deux journalistes enlevés en Somalie. C'est notre quotidien, et c'est le quotidien du monde. Nous nous occupons, bien sûr, de M. Egreteau. Sa famille a été reçue au Centre de crise. Nous leur avons montré la cassette pour qu'ils comprennent bien dans quelle attente nous sommes tous et nous essayons, je ne vous en dirai pas plus, de le libérer.
Q - Il y a une doctrine sur le paiement des rançons ou pas ?
R - S'il y en avait une, je ne vous la donnerais pas, mais il n'y en a pas.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er décembre 2008