Texte intégral
Il y a deux raisons pour lesquelles je tenais tout particulièrement à être présente à la cérémonie de clôture de ces entretiens 2008 de l'Autorité des marchés financiers.
La première, c'est qu'en cette période de crise financière, vos entretiens incarnent la réflexion qu'il est essentiel que nous conduisions collectivement pour répondre à une actualité qui ne cesse de nous interpeler.
Votre réflexion participe au courant des idées françaises dont je souhaite qu'elles façonnent efficacement le débat sur la régulation européenne et internationale.
C'est pourquoi, à quelques jours du sommet international voulu par le Président de la République pour refonder les règles du jeu du système financier international, je me sens parfaitement à ma place avec vous aujourd'hui pour accompagner vos réflexions.
La deuxième raison est d'une autre nature. Monsieur le Président, vous quitterez prochainement la Présidence de l'AMF et je souhaitais saisir l'occasion de ces entretiens pour rendre publiquement hommage à votre action. Pour ce faire, je voudrais partager avec vous deux réflexions que m'inspire la crise financière actuelle.
La première, c'est que cette crise nous rappelle qu'au-delà des égoïsmes nationaux, il est dans l'intérêt supérieur des nations de coopérer pour coordonner leurs actions de régulation :
Au coeur de la crise, c'est le sommet historique des pays membres de l'eurogroupe convoqué par le Président de la République qui a permis d'enclencher la convalescence progressive des marchés interbancaires que nous observons aujourd'hui. Dans quelques jours, c'est encore une initiative internationale qui permettra de refonder la régulation financière mondiale.
Tous ceux qui ont suivi vos engagements et vos combats à la tête de la COB (Commission des opérations de bourse) puis de l'AMF le savent, vous avez porté sans relâche - allant parfois au devant de nombreuses résistances y compris chez nos meilleurs partenaires - cet esprit de coopération internationale. Grâce à vous, l'AMF est -je crois - aujourd'hui imprégnée de cet esprit.
C'est là un atout décisif pour la France au moment où il nous faut rallier l'Europe et peser sur le débat international.
Ma deuxième réflexion, c'est que cette crise a souligné l'importance de l'autorité technique et peut être plus encore morale des autorités de contrôle et de supervision dans le secteur financier. Immergées dans des matières complexes à la croisée d'intérêts économiques considérables, les autorités de contrôle et de supervision doivent disposer d'une légitimité et d'une autorité incontestées. C'est à cette condition qu'elles sont en mesure de remplir librement et pleinement leurs missions au service de l'intérêt général et de la stabilité financière.
Les déboires de la SEC américaine dans la supervision des banques d'investissement et de marché - pour ne citer que cet exemple - sont venus souligner que cette autorité est essentielle pour inspirer la confiance dans un secteur financier.
Cher Michel, vous avez accompagné l'AMF depuis son origine et je crois que l'autorité désormais bien établie de votre institution sur la place financière française, nous vous la devons en partie. C'est un capital que vous léguez à la place financière française que votre successeur devra savoir préserver.
Ce qui m'a frappé depuis le début de la crise en août 2007, c'est de découvrir à quel point le développement considérable des marchés financiers depuis la fin des années 70 reposait sur l'émergence d'un « langage commun » partagées par tous les acteurs du monde financier qui étayait la finance mondiale et lui donnait sa cohérence.
Ce « langage commun », c'était d'abord les difficiles modélisations probabilistes, sorte de terreau universel qui permettait d'unifier les mécanismes de calcul des prix des instruments financiers à travers le monde. Ce langage commun, c'était aussi la foi dans une liquidité infaillible qui permettait de refinancer à tout instant la dette court terme. Ce langage commun, c'était enfin la conviction que des Etats ne laisseraient pas faillir un Lehman Brothers.
Depuis plus d'un an, telle une tour de Babel, nous assistons progressivement à la remise en cause de ces conventions et c'est tout le fonctionnement de la finance internationale qui s'en trouve perturbé.
La nécessité d'une intervention des Etats est née en partie de cette perte de repères que les Gouvernements sont aujourd'hui les seuls à pouvoir combler. Agir pour donner de nouveaux repères, c'est tout le sens de l'action du Gouvernement dans la crise actuelle.
(1) Le premier repère posé par le Gouvernement, c'est le plan national pour financer l'économie. (2) Le deuxième repère, c'est l'initiative pour refonder les règles du jeu international avec nos partenaires afin que ce qui s'est produit ne se reproduise plus.
1. Un plan national pour financer l'économie
Depuis août 2007 nous sommes en alerte. La place financière française s'est avérée très résistante. Mais avec la défaillance de Lehman, la crise a pris un nouveau tournant. La défiance des marchés à l'égard du secteur bancaire s'est considérablement accrue et généralisée de façon aveugle. Pour la première fois, il existait un risque que les banques de l'Europe continentale connaissent de réelles difficultés pour se financer. Si les banques ne parviennent plus à se financer, c'est un risque pour l'activité, l'emploi et l'investissement. Ce risque, le Gouvernement ne pouvait pas l'accepter.
Il fallait réagir très vite. Dès le 13 octobre, le Conseil des ministres a adopté un plan national pour assurer le financement de l'économie qui s'est concrétisé par le vote en urgence en moins d'une semaine de la loi de finances rectificative du 17 octobre 2008.
* Injecter du carburant...
Concrètement, pour faire des prêts à l'économie, les banques ont besoin de deux carburants : (i) des financements à moyen terme et (ii) des fonds propres. Le Gouvernement a mis en place deux outils temporaires pour apporter aux banques le carburant dont elles ont besoin pendant que les marchés sont fermés.
Le premier outil, c'est la Société de financement de l'économie française (SFEF) que j'ai installée le 17 octobre dernier. Le rôle de cette société, c'est de lever des fonds sur les marchés avec la garantie de l'État. Avec ces ressources, la société a pour mission de faire des prêts de moyen terme aux banques pour qu'elles financent les ménages, les professionnels, les entreprises notamment PME et les collectivités locales.
Une semaine après sa création, la société faisait ses premiers prêts au secteur bancaire pour un montant de 5 Mdeuros. 7 banques ont bénéficié de cette opération. La prochaine émission de la SFEF interviendra la semaine prochaine. Elle permettra de refinancer tous les établissements de crédit qui le souhaitent et qui satisfont aux conditions.
Le deuxième outil est destiné à apporter des fonds propres à nos banques - qui sont bien capitalisées - afin qu'elles puissent relancer le crédit malgré la conjoncture difficile. L'Etat a proposé d'apporter plus de 10,5 Mdeuros de fonds propres au secteur bancaire en souscrivant à des émissions de titres subordonnés.
Au-delà de ces deux dispositifs, nous avons injecté 22 Mdeuros au bénéfice des PME. Ce sont 17 Mdeuros de ressources supplémentaires d'épargne réglementée qui ont été mis à la disposition des banques pour financer les PME. C'est également 2 Mdeuros de nouveaux prêts à l'investissement des PME par OSEO financement - la banque des PME - qui vont être décaissés. C'est enfin 3 Mdeuros de nouveaux prêts qui pourront être garantis par OSEO garantie.
* ... en contrepartie d'engagements des banques à financer l'économie. ..
Ce carburant que l'Etat injecte, il doit exclusivement servir à développer le crédit aux ménages, aux professionnels, aux entreprises notamment PME et aux collectivités locales.
C'est pour ça que l'Etat a signé une convention avec chaque banque qui souhaite bénéficier de ces dispositifs. Dans cette convention, les banques se sont engagées à augmenter de 3 à 4% par an leurs encours de crédit à l'économie. 3 à 4% c'est plus rapide que l'inflation , c'est plus rapide que la croissance. C'est donc un objectif ambitieux.
* ...tout en effectuant un suivi sur le terrain.
Nous injectons. Les banques s'engagent. Et enfin, le Gouvernement contrôlera sur le terrain que le carburant que nous avons injecté travaille au service des Français et de notre économie.
Le Premier ministre a mobilisé les préfets et les TPG. Le Président de la République a nommé René Ricol comme médiateur du crédit aux entreprises. Son rôle est de veiller à ce que tout projet économique viable puisse trouver son chemin vers l'un des guichets de financement que le Gouvernement a mis en place.
Avec ce dispositif, nous allons véritablement mettre sous tension tous nos outils de financement et le système bancaire pour qu'ils financent à plein rendement dans cette conjoncture difficile.
Injecter du carburant, les banques s'engagent, le Gouvernement fait le suivi sur le terrain. C'est un plan vigoureux de soutien au crédit à l'économie qu'a lancé le Gouvernement pour nous permettre de briser net le risque d'effondrement du crédit ou « crédit crunch ».
2. Refonder les règles du jeu pour que ce qui s'est produit ne se reproduise pas
Mais ce n'est pas suffisant. Toute la difficulté de la période actuelle, c'est qu'il faut à la fois parer au plus pressé avec des mesures conjoncturelles - c'est le plan national de financement de !'économie - mais également penser et façonner l'avenir. Nous devons refonder les règles du système financier international afin que ce qui s'est produit ne se reproduise pas.
Le Président de la République a convaincu nos partenaires américains de la nécessité de s'attaquer à la racine du mal. Les choses avancent. Je présidais mardi dernier le conseil ECOFIN. Les débats sont très constructifs et nous avançons à grands pas vers une position européenne commune que nous pourrons défende au G20 dès le 9 novembre.
La refondation des règles de la finance internationale doit selon moi reposer sur trois axes simples :
(a) faire le choix politique d'un monde financier plus transparent ;
(b) changer le tempo de nos régulations pour qu'elles adoptent une approche long terme ;
(c) repenser l'architecture financière internationale.
(a) Faire le choix politique d'un monde financier plus transparent
Il y a aujourd'hui deux mondes financiers bien distincts. Un monde des acteurs régulés et transparents cohabite avec un monde dérégulé et opaque. La frontière entre ces deux mondes est le lieu de tous les arbitrages réglementaires. La limite entre ces deux territoires est la source de nombreuses tensions dans la conjoncture actuelle.
Nous devons étendre les mécanismes de surveillance à tous les acteurs et tous les produits qui ont une importance significative pour la stabilité financière. Ce mouvement est déjà engagé. J'ai - la première - appelé à un enregistrement des agences de notation au niveau européen. Je souhaite que nous faisions le choix politique de disposer d'outils de surveillance - c'est-à-dire au minimum des obligations de reporting aux autorités de supervision - s'agissant des hedge funds et des marchés dérivés. Cette surveillance, ce n'est pas une réglementation mais c'est essentiel pour la transparence.
Nous ne pouvons pas accepter la situation actuelle où nous sommes surinformés s'agissant du jardin à la française des marchés réglementés mais où nous sommes aveugles et démunis s'agissant de la forêt des marchés de gré à gré qui l'entoure et où tous les excès sont possibles.
Les infrastructures post-marché offrent un moyen remarquable d'accroître la transparence et la sécurité des marchés de gré à gré comme les marchés dérivés. Je pense par exemple au marché des dérivés de crédit évalué à 62 000 milliards de dollars et dont les opérations sont essentiellement conclues de gré à gré.
Des initiatives ont débuté aux Etats-Unis. Je souhaite que l'Europe affirme une ambition forte dans ce domaine et qu'elle débouche rapidement sur des propositions concrètes. Je ne suis pas hostile à ce que ce débat pose la question de la consolidation du paysage européen de la compensation des actions et des obligations.
(b) Faire le choix de régulations qui privilégie le long-terme
Le temps de l'économie réelle, c'est le long-terme. Les investissements d'une entreprise, les engagements de retraite, le crédit immobilier aux ménages, c'est du long-terme. C'est ce temps-là -celui du long-terme -- qui doit rythmer nos réglementations et non les nano-secondes nécessaires aux arbitrages entre les bourses de Londres et de New-York.
* Les normes comptables
Dans le domaine comptable, nous avons fait un premier pas avec la modification de la réglementation européenne qui autorise désormais l'inscription dans le portefeuille bancaire d'instruments jusqu'ici valorisés à la juste valeur. C'est une première réussite et je me félicite de cette réforme qui place les banques européennes à pied d'égalité avec les acteurs bancaires outre-Atlantique.
Mais il faut aller plus loin. Nous devons réexaminer les normes comptables et nous assurer que la combinaison entre le principe de « fair value » et les normes prudentielles place naturellement nos économies sur une trajectoire de croissance soutenable sur le long terme.
Nous ne pouvons pas accepter une réglementation - aussi pratique soit-elle pour dégager des profits de court-terme - qui exacerbe les déséquilibres en amont des crises et en aggravent les symptômes en aval.
Sur ces sujets, nous devons travailler dans un esprit de convergence internationale. Déjà sous l'impulsion du conseil ECOFIN, nous travaillons avec mes collègues européens pour définir une position européenne. Si la convergence doit être internationale, il ne faut plus avoir peur de faire valoir nos idées nationales et j'ai déjà demandé à mes services de réfléchir aux différentes options techniques possibles comme par exemple le provisionnement dynamique aujourd'hui pratiqué en Espagne.
* Les règles prudentielles
Mais une vision de long-terme, ça suppose également des règles prudentielles qui prennent en compte l'environnement économique. Quand une banque centrale décide de baisser ses taux, elle le fait au vu des équilibres macroéconomiques. Aujourd'hui, le mandat donné aux superviseurs prudentiels est de fixer les exigences de fonds propres pour le secteur financier au vu des risques propres aux établissements sans prendre en compte les éventuels déséquilibres macro-économiques qui sont pourtant porteurs de risques.
Nous devons définir au niveau international un cadre prudentiel plus ambitieux dans lequel nous donnerons mandat aux superviseurs prudentiels de fixer les exigences de fonds propres des banques non seulement en fonction de la situation propre à chaque établissement mais également de l'environnement macro-financier.
Si l'on veut éviter les excès de crédit qui ont conduit à la bulle immobilière américaine, il faut qu'en cas d'emballement du crédit, les superviseurs soient en mesure d'adapter les incitations, par exemple en exigeant plus de fonds propres des banques. C'est à cette condition que la régulation prudentielle pourra contribuer à éviter l'accentuation des cycles, c'est-à-dire à réduire excès de court-terme pour privilégier une approche de long terme.
(c) Architecture internationale
Mais pour mettre en place cette réforme des superviseurs bancaires, il faut que nous disposions d'une vigie ; d'une véritable tour de guet au service de la communauté internationale pour alerter les politiques sur les déséquilibres macroéconomiques.
C'est une véritable réforme de l'architecture financière que j'appelle de mes voeux. Le rôle du FMI doit être repensé. Le FMI dispose aujourd'hui de la légitimité technique et politique pour jouer ce rôle d'information et d'alerte préventive du politique. Je souhaite que le FMI devienne la tour de guet du système financier international.
Ce nouveau rôle placera le FMI dans une position idéale pour analyser attentivement les conséquences des normes prudentielles et comptables. Je souhaite qu'il devienne force de proposition pour orienter nos régulations financières au service de l'économie réelle dans une approche de long terme.
Je souhaite enfin que le FMI devienne en lien avec le FSF et les comités de superviseurs notamment l'0ICV, un centre d'analyse des cadres et pratiques de régulation et de supervision pour renforcer leur efficacité. Dans ce nouveau rôle, le FMI devra systématiquement analyser l'impact des innovations financières non pas pour les inhiber mais bien pour s'assurer qu'elles se développent dans un cadre adapté.
Voilà les quelques idées que je souhaitais partager avec vous ce soir. Vous le voyez nous vivons une période difficile mais nous sommes à l'aube de changements profonds pour le secteur financier.
Avec les résultats de l'élection américaine derrière nous, l'administration américaine va retrouver les moyens de se projeter dans l'avenir.
Le « Yes we can » de Barrack Obama va pouvoir se conjuguer au « tout devient possible » de Nicolas Sarkozy. C'est maintenant et collectivement que nous devons agir. Avec l'Europe, le Gouvernement sera à l'initiative pour peser dans ce débat.
Je vous remercie.
Source http://www.amf-france.org, le 26 novembre 2008