Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur le bilan de la présidence française de l'Union européenne notamment en matière de politique agricole en particulier sur les conclusions des discussions européennes portant sur le bilan de santé de la PAC, Paris le 17 décembre 2008.

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Circonstance : Assemblée permanente des chambres d'agriculture à Paris le 17 décembre 2008

Texte intégral

Monsieur le Président, cher Luc,
Messieurs les Présidents des organisations professionnelles,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs.
Je suis particulièrement heureux de participer, une nouvelle fois, à votre session. A quelques jours de la fin de l'année, cette rencontre sera pour moi l'occasion de mesurer le chemin parcouru ensemble.
En effet, il y a 18 mois, à cette même tribune, je vous livrais le sens du projet pour notre agriculture. C'était le 11 juillet 2007. C'était un mois après mon arrivée rue de Varenne. Je vous présentais alors :
- mes orientations pour l'agriculture : une agriculture de production, efficace économiquement et responsable écologiquement,
- mes objectifs pour la présidence française : sortir la France de l'isolement, reprendre l'initiative et anticiper les échéances.
L'année qui s'achève a été dense :
- à Bruxelles, tout d'abord, avec l'accord sur le bilan de santé de la PAC le 20 novembre et les conclusions de la présidence française sur la PAC de l'après 2013 le 28 novembre,
- sur la scène internationale, avec la non conclusion du cycle de Doha, traduisant que l'agriculture est un enjeu vital et pas seulement pour l'Europe. Pour la France, tout accord doit être global, équilibré et réciproque. Il ne l'est toujours pas. Malgré l'échec de la tentative de reprise des négociations en décembre, la partie n'est pas terminée. Nous le savons,
- au niveau national, enfin, avec le Grenelle de l'Environnement et la modernisation de l'Etat.
L'année 2008 se termine malheureusement par des résultats difficiles pour notre agriculture. La Commission des comptes, hier, a confirmé les chiffres que j'annonçais le 12 novembre, lors de la conférence sur la situation de l'agriculture : le revenu de la ferme France recule de 15% et la situation des éleveurs bovins et ovins est particulièrement préoccupante après 2 années de baisse de plus de 50% de leurs revenus. Le gouvernement a anticipé en mobilisant près de 250 millions d'euros avec l'effort de la mutualité sociale agricole et des banques. C'est un investissement dans un secteur stratégique pour notre économie et dans l'attente d'une réorientation de notre politique agricole commune.
Permettez-moi de revenir sur chacun de ces points, en réponse à vos propos, Monsieur le Président.
Premier point : nous avons rempli notre contrat pour la présidence française
Nous l'avons rempli :
- par un accord sur le bilan de santé de la PAC qui n'est pas le projet initial de la Commission,
- par des conclusions sur la PAC du futur largement partagées.
Sur le bilan de santé de la PAC, j'ai lu les réactions des uns et des autres. Je ne sais pas à quoi rêver mes prédécesseurs. Mais j'ai une conviction : l'accord du 20 novembre est solide. Je vous demande simplement de vous rappeler :
- d'où l'on partait : une communication de la Commission, il y a un an qui prônait le démantèlement des mécanismes d'intervention, le découplage total des aides et le transfert de la PAC sur le second pilier,
- ce que l'on a évité : un échec au Conseil. Il n'y aurait alors plus eu d'accord possible sur le bilan de santé. Et la Commission aurait trouvé des majorités qualifiées pour faire passer sa proposition bout par bout.
Ce n'est pas un accord au rabais qui aurait recherché le plus petit dénominateur commun entre les 27.
C'est un accord qui prépare l'avenir en ouvrant des voies nouvelles.
C'est un accord qui a pris en compte les priorités que nous nous étions fixées ensemble dans le cadre des Assises de l'agriculture :
- nous avons préservé, en les adaptant, l'efficacité des outils d'intervention sur les marchés. C'est le cas pour les céréales et les produits laitiers. L'extrême volatilité des prix que nous connaissons depuis cet automne ne fait qu'en renforcer la nécessité. C'est ce que nous avons expliqué à la Commission qui n'en était pas convaincue, il faut le reconnaître,
- nous avons réintroduit une logique économique pour ajuster les quotas laitiers, à un moment où les marchés laitiers se retournent. A leur augmentation automatique avant leur suppression en 2015, l'accord prévoit deux rendez-vous en 2010 et 2012. L'avenir des quotas n'est pas définitivement scellé : il appartiendra aux Ministres de l'agriculture d'en décider,
- nous avons inscrit des outils de couverture des risques climatiques et sanitaires au sein de la politique agricole commune. Cette décision va nous permettre de donner toute son ampleur à la généralisation de l'assurance récolte et de mettre en place un fonds sanitaire. Avec ces dispositions, nous avons, également, ouvert des voies pour la PAC de l'après 2013. La politique agricole, ce n'est pas seulement des aides découplées,
- nous avons limité le transfert sur le second pilier à 5% et nous nous sommes donnés avec un taux de cofinancement à 75% des marges supplémentaires pour accompagner l'agriculture dans la voie d'un développement plus durable,
- nous avons obtenu les moyens de faire évoluer les aides à l'agriculture en fonction de nos objectifs. Nous pourrons, si nous le voulons, revoir les références historiques, mais encore la répartition entre les productions, les modes de soutien. Notre boîte à outils est bien remplie.
Sur la PAC du futur, deuxième objectif de la présidence, objectif risqué pour certains, le débat est lancé. C'est ce que nous voulions pour éviter que la PAC soit une simple variable d'ajustement des perspectives financières.
Après le débat à Annecy, dans le cadre du Conseil informel, les conclusions que j'ai présentées au nom de la Présidence ont été largement soutenues. Seulement trois pays s'y sont opposés.
Nous ne sommes pas parvenus à des conclusions du Conseil qui auraient requis l'unanimité. J'ai refusé de dénaturer le projet de conclusions qui aurait alors envoyé un contre signal pour l'avenir.
Les conclusions rappellent les raisons et les missions de notre politique agricole commune. Et la plupart des Etats-membres se sont, alors retrouvés pour réaffirmer « qu'il est nécessaire que l'Union européenne continue de disposer après 2013 d'une politique agricole commune et suffisamment ambitieuse ». C'est un point fort, quand on sait que certains de nos partenaires voulaient bien parler de l'agriculture, mais sans faire référence à la PAC !!!
Notre contrat est rempli : nous avons engagé le débat politique. Il va désormais se poursuivre, notamment durant la Présidence tchèque.
Depuis l'élargissement de l'Union européenne, c'est la première fois que les 27 Etats Membres ont ensemble un débat politique et constructif sur la PAC que ce soit pour conclure le bilan de santé ou pour anticiper l'avenir. C'est un atout pour les prochaines échéances.
Et maintenant ?
Nous devons arrêter les modalités de mise en oeuvre de cette réforme qui s'appliquera en 2010. Nous avons, désormais, les moyens de réorienter notre politique agricole. Mon objectif est d'arrêter les propositions pour la fin janvier.
De tous les débats que nous avons conduits dans le cadre des assises ou dans les départements en février dernier, nous en avons retiré un enseignement : la nécessité de bouger les lignes. Je crois que l'on peut dire ensemble :
- que le statu quo est suicidaire pour l'avenir de la PAC et incompréhensible pour les agriculteurs,
- qu'il y a un consensus sur les disparités de soutien entre les productions, disparités générées par l'histoire de la PAC et ses réformes successives,
- que nous devons inscrire nos choix dans la perspective de 2013.
J'ai une conviction. Si nous ne faisons rien, la PAC sera rejetée par les agriculteurs et par nos concitoyens qui ne la comprendront plus. Le débat sera très rude pour les prochaines perspectives financières. Nous ne pourrons plus justifier notre soutien à l'agriculture dans sa forme actuelle.
Notre politique agricole doit avoir du sens. Elle doit être juste.
Je salue la qualité de vos réflexions. La délibération que vous avez adoptée ce matin est porteuse d'une vision de notre agriculture à laquelle j'adhère.
C'est essentiel : c'est d'elle dont il faut débattre. Si nous sommes d'accord sur elle, alors la mobilisation des différents outils que nous avons obtenus, sera plus facile. Nous n'avons pas négocié des outils pour « jouer avec », mais pour se donner les moyens d'inscrire notre politique agricole dans la durée.
Mais cette boîte à outils ne contient pas l'avenir de l'agriculture. L'avenir de l'agriculture, c'est aussi la contractualisation de vos débouchés, la structuration de vos filières, leur capacité à dégager de la valeur. C'est votre responsabilité.
Vos priorités construisent une politique agricole plus juste, plus lisible. Elles rejoignent les miennes :
- nous devons dégager des moyens pour soutenir les productions essentielles aux équilibres économiques et écologiques de nos territoires : la production ovine et la production laitière en montagne.
- nous devons redéfinir La politique aux productions animales à l'herbe : ses objectifs, son niveau, sa forme en lien avec les primes animales couplées.
- nous devons réduire notre dépendance en protéines végétales. C'est un enjeu pour notre élevage, pour l'environnement, pour l'équilibre des cultures. Tout cela milite pour un développement des protéagineux, les industriels eux-mêmes sont preneurs. Le développement de l'agriculture biologique participe de ces deux mêmes objectifs : répondre à un marché et préserver l'environnement.
- nous devons mettre en place des outils de couverture des risques. Vos entreprises sont les plus exposées et les moins bien protégées. Ces outils préparent l'avenir. Et il serait d'ailleurs stratégique, pour anticiper, d'ouvrir le chantier au niveau national sur des dispositifs de mutualisation de risques économiques.
La question, c'est comment et dans quelles proportions réoriente-t-on notre politique agricole ?
Il n'est jamais facile de réformer. Il est plus facile d'attendre. Mais, je crois profondément que notre responsabilité collective aujourd'hui, c'est de traiter la question de la légitimité de notre politique agricole.
Je ne serai pas le Ministre qui sacrifiera l'avenir de notre agriculture. Je vous disais le 11 juillet : à nous de transformer une crainte de changement en perspective. Nous avons les moyens de le faire. Il nous faudra de la détermination. Je ne doute pas qu'ensemble nous en ayons.
Deuxième point : le Grenelle de l'environnement
Vous allez débattre cet après-midi avec Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET.
Souvenez-vous ce que nous nous disions au lancement du Grenelle de l'environnement. Et regardons les résultats.
L'agriculture n'a pas été marginalisée, les agriculteurs ont été des acteurs et une véritable force de propositions, sans frilosité. Nous sommes retrouvés sur la conviction que l'excellence environnementale est une opportunité pour notre agriculture. Elle peut tracer le chemin d'une nouvelle forme de développement et d'une nouvelle performance.
Où en sommes-nous ?
le plan Ecophyto 2018, en avance sur l'échéancier, a fait l'objet d'un accord tout à fait improbable, il y a encore un an. Il va vous donner les moyens concrets de faire évoluer au plus vite les pratiques. Ce plan réussira, si c'est le vôtre. C'est pourquoi, j'ai voulu avec le gouvernement que les actions soient ciblées sur l'appareil de développement. Vous le savez, la CMP a tranché lundi. Les recettes additionnelles, liées au relèvement de 50% à terme d'ici 2011 de la redevance pour pollution diffuse, seront fléchées, après de multiples débats sur l'Office National de l'Eau et des Milieux Aquatiques (ONEMA). Elles financeront à hauteur de 17 millions d'euros en 2009 des actions concrètes permettant aux agriculteurs d'adapter leurs pratiques.
Je connais vos craintes sur les impasses techniques. Je vous rappelle que nous ne laisserons pas d'agriculteurs sans solution,
Deuxièmement, nous sommes engagés sur la voie du triplement des surfaces en agriculture biologique d'ici à 2012. Des mesures concrètes sont d'ores et déjà mises en oeuvre, notamment le doublement du crédit d'impôt et la suppression du plafond des aides à la conversion.
Nous ne réussirons pas sans le concours de tous sur le terrain : les acteurs de la bio, ceux de l'agriculture conventionnelle, les collectivités territoriales. Les conférences régionales sur l'agriculture biologique seront rénovées. Les chambres régionales d'agriculture y joueront un rôle important en en assurant le secrétariat.
Troisièmement, nous construisons le nouveau modèle énergétique de notre agriculture. Il vise à réduire la consommation d'énergie et à développer la production d'énergie sur les entreprises agricoles.
L'annonce par le Président de la République dans le cadre du plan de relance de 30 millions d'euros pour les projets de développement durable va nous permettre de lancer le plan, pour financer des projets de méthanisation et des investissements dans des équipements d'économie d'énergie et de production d'énergies renouvelables.
Quatrièmement, le plan de certification environnementale des exploitations agricoles est en cours de définition avec l'ensemble des partenaires.
Le Grenelle de l'environnement a fixé un objectif ambitieux : 50% d'exploitations engagées dans la démarche en 2012. Cette démarche est une démarche de masse. C'est essentiel pour qu'elle ait un véritable effet environnemental et pour qu'elle puisse être valorisée. L'expérimentation que vous avez lancée dans 5 départements (Tarn, Oise, Rhône, Ille-et-Vilaine, Meuse) sera déterminante pour finaliser le dispositif.
J'ai entendu vos inquiétudes sur le quatrième programme d'action nitrates. Malgré les efforts engagés, les actions doivent être renforcées.
Mais efficacité et pragmatisme doivent aller de pair. Je connais les difficultés liées à la mise en oeuvre de la couverture totale des sols en hiver. Un groupe de travail les examinera pour y apporter des solutions pratiques. Et les arrêtés définissant les programmes d'action ajusteront les conditions de mise en oeuvre. Il y aura de la souplesse dans les territoires.
En s'appuyant sur cette dynamique du Grenelle, mon ambition est, avec le monde agricole, de porter une agriculture durable, économiquement productive et écologiquement responsable.
Acteurs des territoires, acteurs du développement, les chambres d'agriculture ont vocation à être au coeur de la mise en oeuvre de ce projet. Je me réjouis à cet égard que le contrat d'objectif 2009-2013 que nous avons signé cet été s'inscrive dans cette dynamique. Votre responsabilité, c'est d'organiser la construction de réponses concrètes dans les territoires, pour permettre aux agriculteurs de s'engager dans des modes de développement durables.
Enfin, dernier point de mon intervention, la réforme de l'Etat et la réforme des chambres d'agriculture sur lesquelles vous m'avez interrogé.
La RGPP (révision générale des politiques publiques) est en marche dans l'ensemble des domaines d'intervention de l'Etat, afin de les rendre plus efficients et plus lisibles. Je me suis résolument engagé dans cette réforme. Car il ne s'agit pas seulement de rendre l'Etat plus efficace, c'est-à-dire de faire en sorte qu'il rende le même service pour un coût moindre, mais bien aussi d'améliorer son action.
Je ne reviens pas sur la profonde réorganisation de l'administration centrale, des services déconcentrés et des établissements publics sous ma tutelle. Vous la connaissez.
Ainsi, c'est l'ensemble de votre environnement qui se modernise, se restructure afin de répondre aux nouveaux défis de l'agriculture et de la forêt. Le réseau des chambres d'agriculture ne peut rester à l'écart. La RGPP vous invite à consolider vos chambres régionales, en recherchant la mutualisation des missions et des fonctions. Je sais que cette question est à l'ordre du jour de cette session et que vous en débattrez demain. Je vous engage, dans vos débats, à prendre en compte le formidable élan de rénovation engagé par le ministère de l'agriculture pour renforcer ses échelons régionaux. La pire des stratégies, c'est l'immobilisme. Il faut que vous bougiez pour préparer l'avenir.
Je connais votre détermination, Monsieur le Président, vous m'en avez parlé. Je mesure la difficulté. Vous avez opté pour le volontariat et pour un volontariat ambitieux. Je suis confiant. Mais sachez que l'Etat sera vigilant.
Mutualisation, renforcement des synergies, concentration des moyens s'imposent à tous. Nous n'avons pas le choix. C'est une obligation.
Ensemble, nous avons fait du chemin :
- pour consolider notre agriculture confrontée à des crises sanitaires ou économiques et l'accompagner dans un cap difficile,
- pour préparer l'avenir avec un accord sur le bilan de santé de la PAC qui nous ouvrent des portes vers 2013.
Ce chemin nous l'avons fait parce que l'agriculture est un actif stratégique pour notre pays et pour l'Europe. Nous avons, maintenant, une responsabilité collective. Je sais que je peux compter sur vous.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 18 décembre 2008