Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'enjeu et la dimension universelle de la Déclaration universelle des Droits de l'homme du 10 décembre 1948, Paris le 10 décembre 2008.

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Circonstance : Célébration du 60è anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme : allocution de Bernard Kouchner le 10 décembre 2008 à Paris

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Oui, comme c'est vrai, "les enfants de la guerre ne sont pas des enfants, on n'est plus un enfant quand on a connu la Terre à feu et à sang". Pourquoi faut-il avoir connu la guerre pour tant aimer la paix ? Pourquoi ces souvenirs s'effacent-ils si vite ?
Le 10 décembre 1948, ici même, les représentants des nations du monde ont proclamé l'acte le plus visionnaire, le plus généreux et le plus fondateur que la communauté internationale n'ait jamais adopté. Ce soir, la Déclaration universelle des Droits de l'Homme a soixante ans.
Soixante ans, l'âge d'un être humain, qui peut déjà contempler son oeuvre mais à qui il reste assez de force pour accomplir encore de grandes choses.
Tout ce que j'ai vu dans ma vie, tout ce que j'ai entendu et ressenti me ramène à la conviction que s'agissant de Droits de l'Homme, les acquis sont toujours fragiles et qu'il n'y a pas d'enjeu plus essentiel et plus élevé que de défendre ce que cette déclaration a d'incomparable : sa dimension universelle, mise à l'épreuve d'un monde sans repère et sans mémoire.
Et ce combat d'idées, qui fut l'aventure d'une génération et qui sera celle de toutes les générations, il nous faut donc le mener et affirmer avec force que la déclaration universelle n'est pas un concept occidental imposé mais bien le patrimoine partagé de l'Humanité. Que la force morale et la légitimité de cette déclaration, appelée aussi à juste titre "protestation" par ses auteurs tiennent à ce qu'il n'existe pas deux façons de souffrir de la torture selon les latitudes, que ce sont, partout au monde, les mêmes sentiments de révolte qu'éprouvent ceux qu'on a injustement condamnés, qu'aucune femme sur terre ne trouve normal d'être violée, défigurée ou réduite en esclavage au motif de je ne sais quelle tradition, culture ou régionalisme. Les Droits de l'Homme sont universels parce que l'Homme est universel, que ses souffrances sont universelles et que partout il aspire à la même dignité.
Transmettre donc. Enseigner, enraciner dans le coeur des plus jeunes l'attachement profond aux valeurs de cette déclaration, et, dans un monde incertain, où tout incite au repli sur soi, élever des citoyens du monde, ouverts, concernés, engagés : voilà l'enjeu du futur, je n'en connais pas de plus haut.
Car si notre responsabilité c'est de nous interroger : quelle terre laisserons-nous à nos enfants ? Je me demande ici, ce soir, quels enfants laisserons-nous à notre terre ?Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 décembre 2008