Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec le quotidien serbe "Vecernie Novosti" le 22 décembre 2008 à Paris, sur les relations franco-serbes et les perspectives d'adhésion de la Serbie à l'Union européenne.

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Q - Comment jugez-vous le niveau actuel des relations franco-serbes? Comment le fait que la France a été l'un des premiers pays à reconnaître l'indépendance du Kosovo peut influencer les relations entre les deux pays ?
R - Pour ce qui est des relations entre nos deux pays, nous n'avons pas chômé ces derniers mois ! J'ai eu le plaisir de recevoir à plusieurs reprises mon homologue Vuk Jeremic ici à Paris. Le président Sarkozy a reçu le président Tadic à Evian le 9 octobre. Nous avons donc un dialogue suivi, et ce n'est pas de trop parce que les sujets ne manquent pas entre nous. Bien sûr, il y a la question du Kosovo. Vous connaissez l'engagement français, nous avons eu des désaccords avec Belgrade. Nous espérons que le déploiement de la mission Eulex va permettre d'aplanir les difficultés et de répondre aux préoccupations légitimes des uns et des autres. Je salue d'ailleurs l'engagement constructif de tous afin que comme prévu Eulex se déploie dans l'ensemble du Kosovo au bénéfice de toutes les communautés qui y vivent et notamment des Serbes du Kosovo.
Q - Comment voyez-vous l'agenda du parcours serbe vers l'Union européenne ? Quand la Serbie pourra en devenir Etat membre à part entière ? Quand est-ce qu'enfin les citoyens de la Serbie pourront voyager sans visa en Europe à laquelle géographiquement ils appartiennent ?
R - Bien sûr, la place de la Serbie est en Europe, dans l'Union européenne, nous l'avons redit avec force pendant notre Présidence du Conseil de l'Union européenne.
Mais l'adhésion de la Serbie à l'Union européenne, permettez-moi de vous le dire, est une question qui repose désormais très largement entre vos mains. Bien sûr, nous regrettons de ne pas avoir pu avancer plus vite pendant notre Présidence. Vous connaissez les conditions qui restent pour l'entrée en vigueur de l'Accord de stabilité et d'association. Nous avons fait tout notre possible pour convaincre l'ensemble des Etats membres. Les étapes suivantes, j'en suis confiant, seront franchies. Mais c'est des autorités de Belgrade que cela dépend. Je fais confiance à l'équipe en place et à son engagement pro-européen pour accomplir les efforts nécessaires, notamment au regard du TPIY.
Pour ce qui est des visas, j'ai donné des instructions à notre ambassade à Belgrade pour faire le maximum pour accélérer la délivrance des visas. Comme vous le savez, la France avait été à l'initiative, en avril dernier, de mesures de gratuité en matière de délivrance de visas. Bientôt 80 % des visas seront délivrés gratuitement !
La libéralisation proprement dite aura lieu quand la Serbie aura mis en oeuvre les mesures définies par la Commission. C'est la même procédure pour tous les pays des Balkans occidentaux.
Q - Est-ce que l'entrée de la Serbie dans l'Union européenne sera conditionnée par la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo? La Serbie peut-elle, comme, par exemple, Chypre, entrer dans l'UE sans avoir la souveraineté étatique sur tout son territoire ? En effet, la Serbie pourra-t-elle terminer avec succès son processus d'intégration européenne si la situation actuelle continue, c'est-à-dire, si certains pays reconnaissent l'indépendance du Kosovo et d'autres non ?
R - Les conditions à l'adhésion à l'Union européenne sont les mêmes pour tous les Etats candidats. Cela dit, il faudra bien que Belgrade et Pristina trouvent un arrangement, c'est d'ailleurs dans l'intérêt des deux pays comme de toute la région. Pour ce qui nous concerne, nous ne ménagerons certainement pas nos efforts pour arriver à un résultat dans ce sens.
Il faut donc continuer à avancer sur la perspective européenne et surtout travailler à la paix et à la réconciliation. C'est dans l'intérêt de la Serbie d'aller de l'avant avec tous ses voisins.
Q - Les autorités à Pristina ont pour la première fois été contre la position européenne en refusant le plan en six points des Nations unies sur la reconfiguration des forces internationales au Kosovo. Vous avez également conseillé à Pristina qu'un accord sur le déploiement d'Eulex est dans leur intérêt. Etes-vous déçu de la position des autorités du Kosovo que vous avez soutenues sur leur chemin vers l'indépendance ?
R - Ce qui est important pour nous, c'est que tant les autorités serbes que les autorités kosovares ont accepté de collaborer au déploiement de la mission EULEX décidée par les 27. C'était un point essentiel pour parvenir au déploiement de la mission européenne sur l'ensemble du territoire du Kosovo. Les autorités kosovares ne se sont jamais opposées au déploiement d'EULEX, malgré leur réserve sur le plan en 6 points que vous mentionnez. Je ne peux que me réjouir d'un tel aboutissement. La mission EULEX s'est mise en place le 9 décembre, elle travaille dès à présent pour le bénéfice de toutes les populations du Kosovo. Je crois que c'est une bonne nouvelle pour tous.
Q - Actuellement relativement peu de pays dans le monde (un quart environ) ont reconnu le Kosovo comme un Etat indépendant. Est-ce que cela éloigne le Kosovo de la possibilité de devenir un jour membre des institutions internationales comme l'Union européenne ? L'Union européenne, par exemple, voit un futur européen au Kosovo mais pour certains pays de l'Union, comme par exemple l'Espagne, le Kosovo n'est qu'une région de la Serbie. Comment ce problème se résoudra-t-il ?
R - Après seulement dix mois d'existence, l'Etat du Kosovo est reconnu par 53 Etats, dont 22 des 27 Etats membres de l'Union européenne. Des Etats peuvent vivre et être reconnus par les autres sans participer pour autant à l'ensemble des organisations internationales existantes. Pour l'Union européenne, nous trouverons une solution, j'en suis confiant.
Sous notre Présidence, nous avons réaffirmé l'avenir européen de tous les Etats des Balkans, et donc du Kosovo. Je crois que c'est par le dialogue et dans cette perspective européenne commune des Etats des Balkans, que nous pourrons travailler à la paix, à la réconciliation, au développement économique et social, toutes choses auxquelles aspirent tant les populations de la région.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 décembre 2008