Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le rôle de l'Union européenne et l'initiative arabe de paix pour mettre fin notamment au conflit israélo-arabe, Paris le 18 décembre 2008.

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Circonstance : Discours de Bernard Kouchner à l'occasion du Premier Forum euro-arabe à l'Institut du monde arabe (IMA) à Paris le 18 décembre 2008

Texte intégral

Monsieur le Secrétaire général, Cher Amr
Madame la Commissaire, Chère Benita
Monsieur le Président de l'IMA, Cher Dominique,
Mesdames Messieurs les Ministres, les Parlementaires, les Ambassadeurs
Je voudrais d'abord saluer l'initiative de l'Institut du monde arabe (IMA) et de son président d'organiser ce premier forum euro-arabe : c'est une merveilleuse occasion de dialoguer, d'échanger et d'enrichir par le dialogue nos cultures, si proches mais parfois si différentes et conflictuelles. Je salue aussi l'arrivée d'Amr Moussa et de Benita Ferrero-Waldner au sein du haut conseil de l'IMA. Leur présence contribuera à resserrer le lien entre l'IMA, la Ligue arabe et la Commission européenne. C'est enfin un plaisir pour moi de constater le rayonnement retrouvé de l'IMA, conforme à l'ambition qui l'a porté il y a plus de vingt ans.
Je voudrais profiter de la présence de tant de personnalités de haut niveau, et provenant d'horizons si divers, pour évoquer avec vous le processus de paix, le rôle de l'Union européenne et celui du monde arabe. Les conclusions adoptées par les 27 chefs d'Etat et de gouvernement au Conseil européen le 12 décembre résument mieux que tout discours notre ambition. Le conflit israélo-arabe est une question prioritaire, non seulement en lui-même, mais aussi pour faciliter le règlement des crises afghane, iranienne et irakienne. Car ce conflit rayonne au-delà de ses frontières et reste emblématique pour l'opinion mondiale. L'Europe est décidée à y travailler avec la nouvelle administration américaine. Nous souhaitons que le président Obama et Hillary Clinton puissent y consacrer leur force et leur énergie dès les premiers mois, sans attendre comme leurs prédécesseurs, la dernière année de leur dernier mandat.
Dans ce contexte, une initiative mérite d'être particulièrement saluée. C'est l'initiative arabe de paix.
Vous le savez, le 28 mars 2002, à Beyrouth, à l'initiative du Prince héritier d'Arabie Saoudite - aujourd'hui sa Majesté le Roi Abdallah -, l'ensemble des pays de la Ligue arabe a fait un geste historique, un geste que, cinq ans auparavant, même les plus utopistes n'auraient pu concevoir : une offre de paix de l'ensemble du monde arabe avec Israël, une paix définitive et globale, en échange d'un retrait des territoires occupés, de l'émergence d'un Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale et du règlement juste et agréé de la question des réfugiés.
Cette offre exceptionnelle a été saluée par le Quartet et l'Union européenne. La paix devra être négociée et Israël peut à bon droit discuter, contester tel ou tel aspect du plan. Et chaque détail, chaque mot, chaque formule, chaque ambiguïté, comptent dans un conflit vieux de soixante ans. Le plan n'a pas à être endossé tel quel.
Mais il a un grand mérite : il montre la voie et répond aux plus profondes aspirations : la pleine et sûre insertion d'Israël dans son environnement régional ; l'émergence d'un Etat palestinien viable contribuant à rendre sa dignité à tout un peuple.
Cette offre s'appuie sur une conviction, que vient d'ailleurs de réitérer avec force le nouveau prix Nobel de la Paix, M. Martti Ahtisaari : celle que tout conflit peut s'achever. Le conflit israélo-arabe n'est pas différent des autres conflits, il s'achèvera. La réconciliation est toujours possible.
Un environnement régional apaisé n'est pas inconcevable, bien au contraire. Le Liban se stabilise, grâce à nos efforts, ceux de la Ligue arabe, ceux du Qatar. La Syrie normalise sa relation avec le Liban. Elle a promis le 15 octobre l'établissement de relations diplomatiques avec le Liban, reconnaissant ainsi pour la première fois l'indépendance de celui-ci. Israël et la Syrie poursuivent leurs pourparlers indirects qui, j'espère, pourront déboucher prochainement sur des négociations directes. Le Processus d'Annapolis n'a certes pas donné des résultats tangibles mais il a rendu naturel l'invraisemblable : que les dirigeants israéliens et palestiniens se rencontrent régulièrement et parlent sans tabou des questions les plus sensibles, relevant du statut final. Notre soutien renouvelé à l'Initiative arabe de paix, ne remplace pas notre appui au Processus d'Annapolis. Il le complète et l'approfondit. C'est aussi le message adressé pour la première fois depuis 2004 par le Conseil de sécurité, lorsqu'il a adopté la résolution 1850.
Je n'oublie pas Gaza, dont la situation est critique. 1,5 million d'hommes, de femmes et d'enfants vivent enfermés. La situation doit changer radicalement, elle est dangereuse sur un plan humanitaire et sécuritaire. Israël doit lever le blocus et laisser circuler les biens et les personnes. Mais le Hamas doit cesser et faire cesser immédiatement les tirs de roquettes qui sont injustifiables. Qui accepterait que la trêve ne soit pas reconduite ? Le Hamas doit aussi libérer sans condition Gilad Shalit.
L'offre de paix arabe a le mérite d'offrir une approche globale. Israël se voit offrir la paix non seulement avec les Palestiniens, mais aussi avec l'ensemble de sa région. C'est un élément essentiel pour répondre à l'aspiration légitime d'Israël de vivre en paix et en sécurité. Cette approche permet de prendre en compte les dimensions syrienne et libanaise du conflit. Elle permet de traiter dans un cadre général des questions qui ont des implications régionales, comme Jérusalem ou la question les réfugiés. Elle permettrait de faciliter la réconciliation inter-palestinienne, si le Hamas souscrivait à cette initiative.
L'offre n'est pas que de pure forme. Nous avons pu constater lundi à New York lors d'une réunion entre les membres du Quartet et une dizaine de pays arabes représentés au meilleur niveau que les pays arabes étaient sincèrement attachés à la recherche d'un accord de paix avec Israël. Cela ne se fera pas en un jour, bien sûr. Il va falloir réfléchir à des mesures de confiance qu'Israéliens et Arabes pourraient prendre car il faut encore briser beaucoup de préjugés, d'ignorance et de malentendus, et donner de la crédibilité aux discours.
Il faut aussi rendre plus opérationnelle l'initiative arabe en réfléchissant sur le chemin qui permettrait d'atteindre cet horizon. Quelle doit être la séquence ? Quels doivent être les gestes effectués de part et autres pour progresser ensemble ? Vu la complexité des problèmes, la difficulté à imposer des compromis, et la lourdeur des concessions indispensables, il faudra procéder par étapes.
On peut déjà envisager un début de normalisation des relations du monde arabe avec Israël. Je pense ici à l'ouverture de bureaux de représentation commerciale, à des vols avec Tel Aviv, à des investissements économiques. Ceci suppose, du côté israélien, l'arrêt effectif de la colonisation - les dirigeants des pays arabes les plus modérés nous le rappellent à chaque instant. Tant que la colonisation continuera, il ne pourra y avoir de confiance dans le processus de paix, dans la valeur des dirigeants de l'Autorité palestinienne, dans la valeur même de la négociation. A terme c'est l'existence même de deux Etats qui risque d'être remise en cause si cette colonisation se poursuivait. L'Union européenne l'a rappelé à maintes reprises et encore lors du dernier Conseil Affaires générales. Le Quartet l'a suivie lundi : la colonisation doit être gelée, y compris à Jérusalem-Est.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 décembre 2008