Texte intégral
Madame le Commissaire,
Mesdames les Présidentes,
Madame la Directrice,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je suis heureux de clore avec vous la première journée de ce Forum. Il est essentiel que l'Union européenne et les ONG travaillent main dans la main, de manière continue, sur la question des Droits de l'Homme. Parce que les Droits de l'Homme ne vivent que par ceux qui les défendent. Les Droits de l'Homme, ce ne sont pas seulement des lettres inscrites dans le marbre. C'est la somme des efforts singuliers, opiniâtres, de ceux qui luttent jour après jour pour leur liberté et celle de leurs enfants, qui risquent leur vie pour gagner le droit de dire ce qu'ils pensent, qui sacrifient tout pour relever la tête. Et quel que soit leur pays, quelle que soit leur fonction, ceux qui se battent pour les Droits de l'Homme parlent au nom de leur simple humanité, et rien d'autre. "Défenseur des Droits de l'Homme" : ce n'est pas un statut, ce n'est pas une fonction. Face aux Droits de l'Homme, nous redevenons tous de simples particuliers, des hommes et des femmes "qui n'ont d'autre titre à parler qu'une certaine difficulté à supporter ce qui se passe", comme disait Foucault.
Aujourd'hui, bien sûr, est une date un peu particulière. Le 10 décembre n'est pas un jour comme les autres. Chaque année, il est l'occasion de s'arrêter sur la situation des Droits de l'Homme dans le monde, de faire le bilan de ce qui a été fait, de mesurer ce qui reste à accomplir. Et aujourd'hui, cela fait 60 ans. 60 ans de la Déclaration des Droits de l'Homme, et 40 ans d'action humanitaire - puisque cette année, c'est aussi le quarantième anniversaire de la guerre du Biafra. Alors où en sommes-nous ? Où en sommes-nous de ces hommes et de ces femmes opprimés, emprisonnés, massacrés, violentés, bâillonnés ? Sont-ils moins nombreux aujourd'hui ? Où en est-on de l'ancestrale tendance de l'homme à piétiner son semblable ?
Où en est-on du malheur des autres ? Je crois que nous l'avons fait reculer. Notamment parce que nous savons alerter plus tôt, et mieux - ce qui est essentiel. Car on ne piétine jamais aussi bien que lorsqu'on piétine en silence, et le bourreau souvent n'aime pas qu'on lui renvoie sa propre image. Il y a aussi, aujourd'hui, des défenseurs des Droits de l'Homme en plus grand nombre, et leurs gestes font le tour du monde et des coeurs.
Et en même temps je sais combien ces conquêtes sont fragiles ! Parce que ce combat est un combat qui n'est jamais gagné une fois pour toutes - c'est un combat contre nous-même. Il y aura une menace sur les Droits de l'Homme tant qu'il y aura des hommes. Tant qu'il y aura des hommes il faudra lutter pour rendre l'homme à lui-même, à la poésie, à la mémoire, à la justice. Il faudra déjouer les ruses de l'histoire, qui cachent derrière la coutume, la religion, la raison d'Etat, ou la guerre, un peu d'hormone mâle et d'amour propre. L'inventivité des hommes est intarissable, dès lors qu'il s'agit de maltraiter son semblable.
Mais l'oppression la plus insidieuse, la plus silencieuse, la plus originelle peut-être, c'est celle que l'homme exerce sur la femme. C'est cette violence inscrite dans le coeur même de l'édifice social, jusque dans la chaleur recluse du foyer. J'ai connu cela au Kosovo. Les femmes y ont été des proies, des enjeux, des prises de guerre. Mais ce n'était pas pur et simple déchaînement de combattants désoeuvrés. C'était aussi le prolongement d'une idéologie, d'un code d'honneur. Parce que violer une femme, c'était offenser gravement son protecteur. Et le viol est aussi une arme de guerre. L'oppression, c'est aussi le silence imposé, l'impossibilité de dire, de porter plainte, de faire entendre justice et raison lorsque la paix est revenue. Ce sont ces femmes qui sont conduites au suicide, parce qu'on ne veut pas les croire ou les entendre. Au Kosovo, elles furent seulement quelques-unes, peu nombreuses, héroïques, à prendre la parole. C'était leur premier droit, et de les écouter, notre premier devoir.
Silence encore, dans les violences domestiques. Se souvient-on qu'en France, des femmes meurent chaque année, battues par leur compagnon - un décès tous les trois jours en moyenne, selon les chiffres de la police ? Entend-on la plainte des 14.000 femmes qui, chaque année, en Russie, meurent sous les coups de leur partenaire ? - cela veut dire une toutes les 38 minutes. Et l'on pourrait, ainsi, égrainer tous les pays. Pouvons-nous les laisser mourir, sous prétexte que la porte est close, et que l'on n'entend rien ? Pouvons-nous les laisser mourir, sous prétexte qu'elles sont de l'autre côté de cette frontière invisible, qui les met sous la coupe d'un homme, qui a sur elles tout pouvoir ? Mais qui lui donne ce pouvoir ? Et quelles sont ces frontières, plus infranchissables que celles qui séparent les Etats ? Et comment pourrions-nous faire avancer les Droits de l'Homme, en laissant de côté une moitié de l'humanité ?
Je veux vous dire que ces questions me hantent. Je veux vous dire comment elles s'articulent à notre politique étrangère.
L'Union européenne, notamment à travers sa Présidence française, est fermement convaincue que le combat pour les Droits de l'Homme passe par le combat pour le droit des femmes. Nous n'avons pas oublié que les droits des femmes doivent être renforcés et harmonisés en Europe. Et c'est pourquoi la France soutient l'initiative de Gisèle Halimi, d'une "clause de l'Européenne la plus favorisée". C'est une méthode prometteuse, c'est aussi une méthode vraiment européenne : repérer chez les autres, ce qu'il y a de meilleur, et le mettre en commun pour en faire un "bouquet".
Mais le droit des femmes occupe aussi notre politique extérieure. Il est désormais au coeur de nos préoccupations dans les opérations de restauration et de maintien de la paix. Parce que les femmes sont trop souvent victimes de violences sexuelles dans les conflits armés. Parce que les femmes sont les premières sentinelles de la paix, et le premier relais pour reconstruire une société que la guerre a détruite. La France a fait adopter, vous le savez, ces "lignes directrices de l'Union européenne" sur les violences à l'encontre des femmes, qui sont l'objet d'un des trois ateliers de votre Forum, qui permettront de modifier nos modes d'intervention sur le terrain, dans le cadre de notre politique extérieure de sécurité et de défense. Rama Yade a mené, dans ce domaine, un combat très utile et très courageux. Il a fallu se battre aussi, auprès du Conseil de sécurité, pour que la résolution 1325 "femmes, paix, sécurité", reçoive toute sa portée pratique ; auprès de la Cour pénale internationale, pour que les chefs de guerre coupables d'exactions à l'encontre des femmes, ne restent pas impunis. Grâce à ces initiatives déterminées, grâce à cette énergie sans relâche, la cause des femmes a beaucoup avancé. Un grand merci.
Notre politique ne concerne pas seulement la protection des femmes dans les conflits armés. Il importe que sur place soient trouvées des solutions durables, qui s'attaquent aux causes de l'oppression et du malheur ; il faut que se construisent sur place les équilibres et le dialogue, et la modération. A nous, par une action patiente, de les susciter et favoriser, en apportant notre soutien, notre aide, notre reconnaissance, à ceux qui se battent pour une condition plus humaine et plus digne. Chaque jour, le réseau diplomatique français se tient aux côtés des défenseurs des Droits de l'Homme. Dans le monde entier, les femmes et les hommes qui sont la voix de la France travaillent auprès de ces infatigables militants, en dépit des risques et des difficultés. Ils les accueillent, ils leur offrent l'aide, pas seulement morale, de notre pays, un soutien logistique, un appui politique, des conseils. Chaque jour, dans le monde entier, les ambassades de France sont autant de petites enclaves de la patrie des Droits de l'Homme, autant de lieux dont chacun sait, quand il en a besoin, quand l'arbitraire ou la répression menacent, qu'ils sont un havre, un espoir, une solution.
Je veux saluer, à travers vous qui êtes présentes ici, toutes les femmes dans le monde qui se battent pour une condition plus juste et plus digne. Et puisque je me suis beaucoup occupé, ces derniers temps, de ces deux pays, je veux saluer particulièrement Mme Lusenge, qui dénonce les violences sexuelles en République démocratique du Congo, et Mme Williams, qui se bat pour la dignité des femmes au Zimbabwe.
Votre combat est une fierté pour vous-même, pour votre pays, pour l'humanité tout entière. C'est un combat que ne motive aucune haine, seulement le rejet du mensonge et de l'inhumain, le refus de se taire et subir en silence, de renoncer au pouvoir souverain de dire non. Sachez que nous le gardons toujours en mémoire, et que cela inspire et colore notre politique. Lorsque nous faisons dialoguer les deux rives de la Méditerranée, lorsque nous participons à l'effort de pacification et de reconstruction de l'Afghanistan, lorsque nous permettons à des millions de petites filles d'y aller à l'école, nous ne perdons jamais de vue qu'au bout du chemin, il est question de ménager la place pour plus de dignité humaine. La politique ne crée pas les Droits de l'Homme. Mais elle peut ménager les conditions historiques qui les aident à ne pas s'éteindre. Un peu comme la main protège la flamme de la tempête. Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 décembre 2008