Interview de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "Les Echos" le 25 novembre 2008, sur le compromis signé au niveau européen en matière de régulation et de gestion des marchés agricoles.

Prononcé le

Média : Energies News - Les Echos - Les Echos

Texte intégral

L'accord signé jeudi matin, qui rapproche l'agriculture des règles du marché, ne va-t-il pas à contre-courant d'un retour de l'Etat dans l'économie ?
L'intention initiale de la Commission était bien de soumettre davantage l'agriculture à la seule loi du marché. Mais nous avons été plusieurs ministres à nous opposer à cette approche. Nous nous sommes battus pour préserver le cadre communautaire, les outils d'intervention et de gestion des marchés.
Etes-vous parvenu au résultat que vous souhaitiez ?
Oui, le compromis est solide et équilibré. L'agriculture européenne a besoin de gouvernance. L'une des leçons que les gouvernements tirent de la crise financière mondiale, c'est qu'il faut davantage de transparence, de surveillance et de réglementation : ce serait tout de même un comble de les supprimer là où elles existent déjà ! Je ne dirais donc pas que le compromis de la semaine dernière consacre un virage vers la libéralisation.
Vous avez maintenu les quotas laitiers jusqu'en 2015, mais ces outils de régulation sont appelés à disparaître.
Personnellement, je regrette la suppression des quotas. Mais cette décision s'impose à nous : elle a été prise par les ministres européens en juin 2003 à une très large majorité. En Europe ce qu'une majorité a fait, une majorité peut le défaire. Mais, actuellement, cette dernière n'existe pas.

Entre-temps, le marché du lait s'est retourné. Ma responsabilité est donc de ne pas attendre 2015 sans accompagnement. Avec le soutien de l'Allemagne, j'ai obtenu que la levée des quotas soit aménagée. Il y aura donc une surveillance étroite de l'état du marché laitier et deux rendez-vous ont été pris en 2010 et 2012 afin d'évaluer l'impact de la hausse des quotas. Enfin, les outils d'intervention sur les marchés de la poudre et du beurre ainsi que le stockage privé du beurre ont été intégralement maintenus. Nous pourrons enfin aider les producteurs de lait à cette sortie des quotas dans les zones fragiles. Ce qui compte c'est que nous disposions d'une boîte à outils.

Comment allez-vous utiliser cette boîte à outils ?
D'abord, nous allons pouvoir revoir la répartition des soutiens pour mieux aider les filières en danger comme l'élevage ovin, les productions animales à l'herbe, le lait en montagne, le bio et développer les protéagineux. Il s'agit de rendre la PAC plus équitable. Ensuite, nous pourrons financer sur fonds européens le développement de l'assurance-récolte et l'instauration de fonds sanitaires pour mieux protéger les entreprises agricoles exposées aux risques sanitaires et climatiques.

La redistribution n'est-elle pas moins importante que ce que vous vouliez ?
Elle est tout de même forte : 5 % d'ici à 2013. Ainsi, nous allons réduire de 1 % par an les aides directes de la PAC qui représente 9 milliards d'euros, pour le consacrer au deuxième pilier, c'est-à-dire au développement rural. Nous pourrons financer les nouveaux défis, comme la biodiversité et la réduction de la dépendance énergétique des exploitations. Et puis, il y a la redistribution que nous allons décider avec la boîte à outils dont je parlais à l'instant.
Les aides des grandes exploitations seront moins réduites que prévu au profit des éleveurs...
Il y a un écrêtement supplémentaire de 4 % des aides supérieures à 300.000 euros. La Commission avait proposé un dispositif plus progressif. Mais l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui disposent de très grandes exploitations céréalières, ont réclamé qu'il soit moins important.
Pensez-vous que cette réforme d'étape permettra de sauvegarder la PAC après 2013, à l'occasion de la refonte du budget européen ?
Les choix que nous avons faits la semaine dernière sont valables, de mon point de vue, pour l'avenir. Nous amorçons un rééquilibrage vers un nouveau modèle agricole durable : une agriculture économiquement productive et écologiquement responsable.
Le fait que les prix ont chuté depuis un an a-t-il changé les enjeux de la PAC à moyen terme ?
Tous les experts disent que la tendance des prix des céréales sera au-dessus de celle des dernières années parce que l'offre est structurellement inférieure à la demande. Il y a donc une perspective durable de prix élevés, même si ce marché est éminemment volatil et nécessite le maintien d'outils d'intervention. Je ne change pas non plus de discours sur la crise alimentaire. L'Europe ne peut pas se contenter de s'occuper de son seul destin alimentaire. Elle doit participer à ce défi mondial. Il ne s'agit pas de dire que l'agriculture européenne doit nourrir le monde. Mais plutôt que d'autres régions auraient intérêt, comme nous, à s'organiser et à mutualiser leur production et leurs risques.
La PAC est-elle menacée pour l'après-2013 ?
Les périodes de négociations budgétaires sont propices à la remise en cause de la PAC. On connaît les arguments avancés : premièrement, elle absorberait une trop grande part du budget européen, 33 % en 2013. Mais c'est le seul budget mutualisé au niveau européen. Si on mutualisait les budgets nationaux de recherche, on obtiendrait 2 % du PIB européen, soit quatre fois le budget agricole ! On lui reproche aussi de mobiliser cet argent pour 4 % de la population active, mais on oublie que ces 4 % nourrissent les 96 % restants et jouent un rôle majeur dans l'entretien des territoires et la biodiversité. Et puis, derrière la PAC, il y a une certaine idée de l'Europe. Certains se satisferaient d'une vaste zone de libre-échange où régnerait la compétition fiscale et sociale. Or les politiques communes constituent le ciment de l'économie européenne. Et il existe au sein du Conseil une majorité de pays pour partager cet avis.
Source http://www.u-m-p.org, le 7 janvier 2009