Déclaration de M. Gérard Larcher, président du Sénat, sur l'exigence d'une refondation face à la crise économique et financière, la réaffirmation du rôle du Parlement dans le cadre de la réforme constitutionnelle et sur la valorisation des spécificités du Sénat, Paris, Sénat, le 14 janvier 2009.

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Circonstance : Intervention du président du Sénat à l'occasion de la cérémonie des Voeux 2009, à Paris, au Sénat, salons de Boffrand, le 14 janvier 2009

Texte intégral

Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président Poncelet
Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs, chers collègues
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Messieurs et Mesdames les Représentants des partenaires sociaux,
Messieurs et Mesdames les Représentants des autorités morales et religieuses
Mesdames et Messieurs,
C'est pour le bureau du Sénat, c'est pour moi, un honneur et un plaisir que de vous accueillir, pour la première fois, en ce début d'année 2009, dans cette circonstance assez particulière de ce qu'il est convenu d'appeler la « cérémonie des voeux ».
Je remercie chacun d'entre vous d'avoir bien voulu enrichir de sa présence cette rencontre.
J'ai envie de m'adresser à vous, à coeur ouvert. Mes voeux seront d'abord pour chacun d'entre vous. Ils seront, pour le Gouvernement et pour son action ; pour vous, Monsieur le Premier ministre ; ils seront pour vous et vos familles, Mesdames et Messieurs ; ils seront pour vous-même et pour chacun des pays que vous représentez, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs.
Mes voeux s'adressent aussi à ceux de nos concitoyens qui nous regardent sur la chaîne Public Sénat qui, dans le respect du pluralisme, fait connaître nos travaux et ceux qui les animent.
Ces voeux, cette année, interviennent en des circonstances où, moins que jamais, le futur ne se dessine avec clarté. Mais,
au fond,
toute circonstance nouvelle peut engendrer des perspectives nouvelles.
Vous le savez tout particulièrement, vous, M. le Premier Ministre, qui, avec le Président de la République, avez la responsabilité d'organiser l'avenir de la Nation en ces temps agités.
Vous le savez bien, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs dont les pays affrontent des difficultés similaires, voire parfois plus lourdes, que celles de notre pays.
Vous le savez bien, mes chers collègues et vous tous ici présents qui exercez des responsabilités, souvent majeures, dans notre société.
Nous parlerons donc, d'abord, de la crise puisqu'elle envahit aujourd'hui notre quotidien, qu'elle monopolise parfois un peu trop l'information, qu'elle est au centre des inquiétudes de nos concitoyens.
Cette crise, pour la combattre efficacement, pour la dépasser, il faut mettre en place des politiques qui s'attaquent aux causes de la situation à laquelle le monde est confronté en ce début 2009. Cette crise ne sera surmontée que si les politiques mises en place s'inscrivent dans une cohérence nationale et internationale, dépassant le seul court terme et dans la préparation de l'avenir.
Une telle ambition ne peut être que politique. Elle exige une approche, une analyse, des décisions qui dépassent le simple domaine de la gestion, celui de l'adaptation ou du simple amortisseur des conséquences.
Si l'année 2009 doit être à la mesure des défis qui l'assaillent, 2009 sera une année politique : l'année des analyses politiques, l'année des décisions politiques, l'année aussi du courage politique.
On le sait, cette crise a une origine particulière, et géographiquement localisée. Mais, elle a développé des effets qui se sont étendus à l'ensemble des États, à leur fonctionnement financier puis économique, au progrès social et -je dirais aussi- à la foi en leurs valeurs. N'était-on pas allé aussi au bout d'un système qui a engendré son propre dérèglement ?
Devenue mondiale, la crise comporte des risques pour le développement dans le monde et donc pour la paix.
Regardons ces risques. Ils ont pour noms : protectionnisme et repli crispé sur des solutions purement nationales ; l'altération des programmes d'aide au développement mais aussi, la marginalisation de la promotion du développement durable ; la remise en cause des valeurs fondatrices de nos sociétés et bien sûr, la désignation de boucs émissaires et le développement des extrémismes. Nous sommes entrés dans un temps de tensions.
Mais ces circonstances peuvent, et doivent, être le catalyseur d'un « nouvel ordre mondial ». Le Secrétaire général de l'ONU et le Président de la Commission européenne l'ont dit : à crise globale, solutions globales. Comme l'a déclaré le Président de la République, ce temps peut être la source d'une refondation enfin régulatrice du libéralisme économique.
Cette refondation, elle doit être fonctionnelle. La définition de nouvelles régulations sollicite une coopération internationale, et singulièrement une réglementation plus stricte, notamment des marchés financiers. Les déficits budgétaires et l'effondrement des cours des matières premières exigent, comme l'a fortement souligné le Chef de l'État, des mesures de stimulation économiques cohérentes et coordonnées.
Cette refondation, elle doit être géographique. Les réponses utiles requièrent la participation de toutes les régions du monde : les régions riches, mais aussi les zones d'émergence économique et les pays pauvres.
Mais, surtout, cette exigence de refondation impose un retour au volontarisme. La volonté politique doit organiser, contrôler et maîtriser les régulations qui ont trop longtemps été réputées spontanées. La volonté politique doit agir sur la question et le problème global des déséquilibres monétaires. La volonté politique doit réguler le coût des matières premières. Elle doit coordonner les plans de relance.
Les motifs d'espérance existent.
La conscience de la nécessité d'agir est mondiale. Des plans d'action de relance ont été décidés partout. Ils poursuivent globalement les mêmes objectifs. L'intérêt d'une refondation responsable du libéralisme économique apparaît aujourd'hui au plus grand nombre.
Le changement politique qui interviendra aux États-Unis dans 6 jours dont l'économie est la première du monde constitue une opportunité, porteuse, nous l'espérons, d'un souffle nouveau.
L'importance et la cohérence des plans de relance engagés aux Etats-Unis, en Europe, au Japon, en Chine constituent une opportunité. La politique déterminée de réforme engagée, en France, par le Président de la République et le Premier ministre constituent une opportunité.
Face aux doutes et aux angoisses de nos concitoyens, c'est à nous, leurs représentants, de leur apporter le souffle, la volonté de la résistance optimiste à l'adversité. C'est à nous, leurs représentants, de promouvoir l'intérêt général, de démontrer la légitimité de l'intervention politique.
C'est à nous, responsables politiques, de redéfinir un nouvel équilibre entre un marché dont le dynamisme créateur doit être maintenu et une régulation qui doit être protectrice du tissu social.
J'ai longuement -sans doute trop longuement- parlé de la crise, car c'est autour d'elle -que nous le voulions ou non- que s'organisera notre année 2009. J'en ai parlé car, si nous savons faire de la politique, cette conjoncture défavorable pourrait fonder des initiatives décisives pour un monde alors durablement meilleur, pour une France plus adaptée à la nouvelle donne du siècle.
Pourquoi 2009 ne serait-elle pas aussi « l'année des Parlements » !
Je pense à notre pays, mais aussi à nos amis européens.
Dans des sociétés mises à mal entre le besoin d'évolution et l'exigence de sécurité, les Parlements devront savoir jouer un rôle central. Face aux risques de crispation identitaire, de démagogie, d'exploitation de ce qui peut nous séparer. N'est-ce pas aux Parlements qu'il appartient de s'affirmer comme le lieu de l'échange démocratique, du respect mutuel et de la recherche de la synthèse entre les intérêts de chacun ? Le Parlement peut être le lieu de l'expression de valeurs ; mais de valeurs débattues collectivement, car le Parlement est d'abord un lieu de d??bat. Il doit être le lieu d'expression de ce que nous disent nos concitoyens quand ils nous confient leurs doutes, leurs angoisses, leurs interrogations mais aussi leurs espérances.
Au-delà des débats législatifs sur tel ou tel sujet, le Parlement devra savoir mieux accompagner, et c'est pour moi une priorité, une jeunesse en perte de repère, mais qui est aussi parfois oubliée de nos solidarités ; dynamiser nos territoires et leur gouvernance ; promouvoir les solidarités républicaines ; la garantie, dans la liberté, de la sécurité intérieure ; la réforme de la justice et du système pénitentiaire.
Oui, les défis du temps nous incitent à imaginer des solutions novatrices.
- Redéfinir le cadre territorial de l'application des politiques constitue à cet égard une priorité. La réforme de notre organisation territoriale interpelle directement le Sénat. Notre mission constitutionnelle oblige notre Assemblée. Le Sénat est la Maison des Territoires. Il est garant de la cohésion territoriale du pays. Oui, le Sénat doit répondre à l'attente du citoyen, faire preuve d'audace et de réalisme, dépasser la satisfaction de l'immédiateté.
Ne l'oublions pas, le poids financier et humain des collectivités locales est considérable. Plus de 200 milliards, 70 % de l'investissement public, 1.800.000 agents publics, tout cela animé par un demi-million d'élus.
La France d'aujourd'hui est une République décentralisée. Cela engendre des exigences de démocratie locale et donc des responsabilités pour les collectivités locales. Nos concitoyens expriment une attente forte de proximité, mais aussi une vision d'avenir pour les territoires, sur lesquels ils vivent. Cela manifeste un besoin de resserrement des liens civiques avec les élus de la démocratie locale.
L'émergence du fait métropolitain et d'une nouvelle ruralité dont la vocation n'est pas seulement agricole méritent une attention particulière. Ces deux évolutions portent les éléments du développement durable de notre pays.
Le Sénat doit se mettre en posture d'aborder ce débat essentiel en parfaite connaissance d'un dossier par nature complexe. C'est tout le sens de la mission temporaire sur l'organisation territoriale, dont nous avons initié la mise en place et que préside notre collègue le Sénateur Claude Belot. C'est tout le sens des débats que nous organiserons au fur et à mesure des contributions.
La réforme constitutionnelle votée en juillet 2008 donne au Parlement des pouvoirs nouveaux pour répondre aux aspirations de nos concitoyens.
Le quinquennat et l'inversion du calendrier des élections législatives ont modifié la « donne » constitutionnelle. C'est deux changements ont renforcé la symbiose entre le Président de la République et la majorité législative élue dans la foulée et j'allais dire dans le sillon même de sa propre élection.
Cette situation est nouvelle ; elle conditionne une concertation nouvelle entre l'Exécutif et la majorité qui le soutient. C'est ainsi que la réforme de la Constitution ouvre la perspective du passage du parlementarisme que l'on avait dit rationalisé à un parlementarisme rénové.
Cette réforme sollicite l'affirmation du libre arbitre du Parlement dans la définition de la partie importante de son ordre du jour qui lui sera désormais réservé. Elle appelle le plein exercice, équitablement partagé entre les groupes politiques, des possibilités nouvelles pour le Parlement en matière de contrôle, d'évaluation des politiques publiques, ainsi que dans le domaine de l'initiative législative.
Mais la condition de la réaffirmation du rôle du Parlement réside aussi dans son aptitude à clarifier nos débats, à les rendre plus lisibles pour nos concitoyens. Le droit d'amendement, j'ai déjà exprimé publiquement ma conviction, est consubstantiel à l'exercice de la fonction parlementaire. Ce droit, il faut aussi le défendre contre les dérives qui menacent la lisibilité et la clarté du travail parlementaire. Je me réjouis que, pour ce qui est du Sénat, ces dérives soient rares.
La question de la gestion du temps parlementaire n'est pas pour autant méprisable. Le temps du travail en commissions sera nécessairement accru pour la préparation sur le débat en séance publique. Il le sera aussi dans le domaine du contrôle et de l'évaluation. Le travail en séance ne devra pas être vidé de sa substance. Il doit être clarifié, rendu plus visible, plus dynamique et plus compréhensible, plus compact pour nos concitoyens. Cela est possible par un rôle accru des groupes politiques, tant de la majorité que de l'opposition ou des groupes minoritaires.
Monsieur le Premier Ministre, la mise en place des possibilités ouvertes par la réforme constitutionnelle de juillet dernier constitue une opportunité pour ceux qui croient au parlementarisme, mais aussi en la Vème République. Je pense qu'il est fondamental que tous ceux qui croient à ce parlementarisme et ont conscience de cette opportunité ne gaspillent pas cette chance, quels qu'étaient leurs choix en juillet dernier, car la loi constitutionnelle remodelée est maintenant la loi commune.
Au Sénat, nous avons choisi de donner un « nouveau cap » à notre action.
Il s'agit d'une orientation majoritairement choisie, et collectivement organisée. Il ne s'agit pas d'un oubli de l'action de nos prédécesseurs, qui ont notamment initié et accompagné l'ouverture du Sénat aux nouvelles technologies, à la société civile et à l'international, action que je tiens à saluer à nouveau. Il s'agit d'une volonté commune d'être connus pour nos travaux. Il s'agit d'une volonté collective de promouvoir nos spécificités.
Ce que nous avons décidé collectivement au Bureau du Sénat, je vous le dis, nous allons le mettre en oeuvre. La stabilité de notre budget sur trois années ; la stricte adéquation de nos moyens à nos missions ; le recentrage de nos travaux autour des missions que la Constitution confère à notre assemblée, ce que j'ai appelé le « coeur de métier » ; la transparence, le contrôle et la certification renforcés de nos comptes, selon les modalités que nous avons choisies, en conformité avec la LOLF et avec le principe de l'autonomie des assemblées... Tout cela, nous avons commencé à le faire et nous le ferons.
En matière politique, sans esprit de concurrence avec quiconque, nous valoriserons notre spécificité.
Le fait majoritaire n'a pas la même expression au Sénat qu'à l'Assemblée Nationale. Ici, aucun groupe n'y est majoritaire. Le rapport au temps n'est pas le même qu'à l'Assemblée Nationale. Les approches, les priorités, les sensibilités qui découlent de cette situation sont encore méconnues. A nous de les mettre en valeur.
La spécificité du Sénat, c'est aussi cette expertise particulière et avisée en matière de contrôle, de prospective et d'évaluation ; c'est un sens partagé de la responsabilité dans l'examen contradictoire des textes législatifs ; c'est l'expérience acquise dans l'accompagnement des politiques européennes et notamment dans le contrôle du principe de subsidiarité ; c'est une approche spécifique des relations internationales, que j'ai rappelé le mois dernier à tous les Ambassadeurs ; c'est la promotion du bicamérisme dans le monde.
Une autre spécificité du Sénat que nous affirmerons est celle de la collégialité.
La collégialité, c'est d'abord le rôle de nos commissions permanentes que notre groupe de travail sénatorial, sur la mise en oeuvre de la révision constitutionnelle, souhaite maintenir à 6, plus, bien entendu, la commission en charge des affaires européennes.
La collégialité, ce sont nos groupes politiques. Elle est renforcée, dans sa pluralité, au Bureau du Sénat. Elle va l'être à la Conférence des Présidents, notamment par un poids accru dans l'exercice du vote. Nous veillerons aussi à renforcer ce rôle dans l'accès à l'ordre du jour réservé au Parlement, dans l'organisation et la présidence des missions d'information et de contrôle, dans l'exercice du pouvoir de questionnement, dans la lisibilité des débats en séance publique.
La collégialité, ce sont les 343 Sénatrices et Sénateurs qui constituent, dans leur diversité, la richesse de notre assemblée.
Alors, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs,
Je vous souhaite une très heureuse année.
Il nous faudra, chacun dans nos responsabilités, faire preuve de volonté, donc de courage.
Celui de proposer, de dialoguer, de décider mais aussi de contre proposer et là, le rendez-vous du courage est sans doute plus important encore. Je ne doute pas un seul instant que tel soit le cas.
C'est la raison pour laquelle, avec un optimisme raisonné, je souhaite à chacun d'entre vous une très heureuse année. Très très bonne année 2009.source http://www.senat.fr, le 19 janvier 2009