Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à Europe 1 le 21 janvier 2009, notamment sur l'engagement militaire de la France en Afghanistan et sur les relations euro-américaines après l'investiture de Barack Obama.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Pour sa première décision, le Président Obama tient une promesse, il vient de décider de geler les procédures judiciaires pour Guantanamo. Il ferme, il va fermer le sinistre camp de Guantanamo. Est-ce que pour vous c'est un geste symbolique fort au moins ?
 
Vous savez, B. Obama fait lever un immense espoir dans la communauté internationale, dans le monde entier. Il a une immense responsabilité. Cette responsabilité c'est de réconcilier les Etats-Unis avec le monde entier. On est dans cette situation paradoxale aujourd'hui d'un pays, qui est une grande démocratie, qui a ses défauts, mais qui est tout de même une des grandes démocraties du monde, et qui est grosso modo fâché avec le monde entier et donc...
 
Mais est-ce qu'il a bien commencé ?
 
...Et donc, le geste qu'il fait là, est un beau geste. Mais l'arrivée de B. Obama, pour le monde entier, c'est la capacité des Etats-Unis d'être autre chose qu'une hyper puissance, d'être un pays capable d'amener la paix, la sécurité, la stabilité, de réconcilier les peuples.
 
Oui, on a entendu hier, il a dit : "nous, le peuple", il insiste sur les valeurs morales, la justice, l'union de la Nation américaine...
 
...Et donc, ce geste là est un bon geste qui va dans le bon sens pour engager cette réconciliation. Mais cela ne suffira pas, bien entendu.
 
Bien sûr, mais c'est bien de dire "stop" aux excès, aux interrogatoires musclés, à la torture. La France va-t-elle accueillir des détenus libérés de Guantanamo ?
 
Vous avez vu que B. Kouchner et le ministère des Affaires étrangères ont indiqué que la France examinerait cela. Elle examinera au cas par cas, individuellement avec cette préoccupation, bien entendu, qu'à la fois nous ayons cette démarche humanitaire, mais aussi qu'on examine les conditions de sécurité.
 
Qu'est-ce qui vous a le plus impressionné dans cette journée d'investiture ? Le style, les gestes, les propos, la liesse, la ferveur populaire ?
 
C'est fascinant cette capacité des Américains à pouvoir être en communion avec leur pays. C'est quelque chose qu'on aimerait tellement en France, nous qui sommes tellement capables de nous déchirer, de créer de fausses divisions. Voilà un pays et un peuple, qui en dépit des disparités sociales, des disparités raciales, que les uns et les autres vivent au quotidien, eh bien ils sont capables d'avoir ces moments d'union autour de leur pays. C'est extraordinaire !
 
Parce qu'il a déclenché un espoir...
 
Oui.
 
Et puis, on le voyait, lui en smoking, elle, en magnifique robe blanche danser un slow ensemble...
 
Langoureux !
 
...Langoureux sous les acclamations de la foule. On imagine ce qui se passerait en France si c'était possible ou alors dans d'autres pays européens... Pour sa première journée dans le bureau ovale de la Maison Blanche, B. Obama réunit tout à l'heure les services secrets, l'état-major militaire, le général Petraeus en tête, avec un thème : comment quitter l'Irak de façon responsable. Qu'est-ce que cela veut dire ?
 
J'ai rencontré le général Petraeus à Paris, et donc j'ai eu l'occasion de discuter avec lui, et vous avez vu aussi les déclarations de B. Obama durant la campagne présidentielle. Pour les Américains et pour B. Obama, la priorité désormais c'est l'Afghanistan. Et pour eux, l'Irak, si je puis dire, est derrière eux, c'est... Je veux dire, les conditions pour que l'Irak reprenne en main, la totalité de sa souveraineté sont, pour les Américains, réunies. Et donc, désormais, la priorité pour les Américains c'est notamment de transférer une partie des forces qui sont en Irak vers l'Afghanistan.
 
Alors, justement, il va en parler dès ce matin quand il prendra ses fonctions. S'il demande à l'OTAN, aux Européens, de nouveaux renforts militaires pour combattre le terrorisme, comment la France répond-elle monsieur Morin ?
 
Pour la France et pour le président de la République, les choses sont claires. La France a fait un effort considérable en 2007 et en 2008, nous avons envoyé plus de 200 hommes chargés de la formation de l'armée nationale afghane. Parce que, si un jour nous voulons quitter l'Afghanistan, il faut que l'Afghanistan ait les moyens de sa souveraineté.
 
C'est-à-dire qu'un jour on fera comme pour l'Irak, alors pourquoi attendre tant de temps et faire tant de victimes ?
 
Laissez-moi finir. Et donc nous avons fait cet effort là et nous avons fait en outre un effort lors du sommet de Bucarest, d'envoyer 700 hommes supplémentaires pour la stabilisation d'un certain nombre de vallées. Ils y sont. Donc, pour la France, nous avons fait les efforts qu'il faut et il n'est pas question, pour le moment, d'envisager des renforts supplémentaires.
 
Et en Afghanistan, est-ce que la solution passe par les armes ?
 
Bien sûr que non. Il faut à la fois assurer la sécurité et la stabilité. Parce que sinon, vous ne pouvez pas construire des écoles, vous ne pouvez pas construire des hôpitaux, vous ne pouvez pas construire des routes, vous ne pouvez pas mener des projets de développement. Mais dans le même temps, il y a d'autres conditions à réunir qui ne sont pas militaires, parce que la solution ne sera jamais militaire. J'en cite deux, le processus de réconciliation national, il faut que Karzaï discute avec tout le monde et discute notamment avec les talibans. Il faut aussi penser des institutions en Afghanistan qui ne soient pas simplement de plaquer des institutions européennes dans un pays qui est un pays féodal, qui est un pays de clans, qui est un pays de tribus, qui est un pays multi ethnique. Et enfin, il faut que l'aide au développement arrive réellement aux Afghans. Voilà. Et c'est ça le total.
 
Si le Président Obama décide d'envoyer des renforts militaires en Afghanistan, il commet une première erreur ?
 
L'idée des Américains, c'est de...
 
De recommencer l'Irak !
 
...De faire en sorte que ce soit un mouvement global. C'est-à-dire à la fois un mouvement assurant la sécurité et la stabilité, et en même temps, qui engage le processus de réconciliation nationale, des institutions pour l'Afghanistan,
 
Ce serait une erreur ?
 
La réponse ne serait être seulement militaire, elle doit être globale. Si elle est seulement en terme de force, ce serait, à mon sens, un mauvais signal. Il faut que cela soit un tout.
 
Les Français sont aussi atteints d' "Obamania". Est-ce que la politique française va se faire maintenant à Wall Street ou à la Maison Blanche ?
 
Je voudrais simplement ajouter quelque chose là-dessus. C'est que, je vois bien l'"Obamania", mais Obama, c'est le président des Etats-Unis, de la première puissance du monde. Et Obama, en tant que président des Etats-Unis, il défendra d'abord et avant tout les intérêt des Américains et de la puissance américaine.
 
Donc il y a intérêt, à ce que les Européens se défendent eux-mêmes !
 
Et donc, l'idée des Européens, selon lesquels, tout d'un coup, on aurait un homme qui... Non, il restera le Président des Américains et il aura en plus, le besoin de le démontrer aux citoyens américains.
 
Quand vous lisez : "il va faire de l'ombre à l'Europe, et d'abord à N. Sarkozy", qu'est-ce que cela vous fait ?
 
Je ne sais pas où vous avez lu ça, mais...
 
Partout !
 
...Mais j'ai le sentiment qu'on a un président de la République qui, par son activité, démontre qu'on peut tout à fait avoir sa place dans le monde.
 
Ce matin, est-ce que vous réclamez des entretiens prochains avec B. Obama et H. Clinton, vous, Français, membres du Gouvernement ?
 
Il y en aura un jour ou l'autre.
 
A la saint Glinglin ?!
 
Eh bien écoutez, c'est à lui d'en décider.
 
Tous les ex-présidents des Etats-Unis, les élus démocrates et républicains fêtaient donc ensemble et gaiement cette intronisation historique au nom de l'histoire du pays. Et à Paris qu'est-ce qui se passait ? L'opposition se sent brimée - comme on l'a entendu tout à l'heure avec Marc- Olivier et M. Sapin...
 
...Oui, je l'ai entendu.
 
Et réclame devant la tribune du président de l'Assemblée : "démocratie, démocratie !" Ce n'est pas bien ça.
 
Honnêtement, on est dans le tragi-comique, on est dans la farce.
 
Mais vous, vous retenez le comique...
 
On a affaire à un groupe socialiste qui a voté contre la révision de la Constitution. Constitution qui renforce les droits du Parlement, et aujourd'hui, ce même groupe socialiste qui s'est opposé au renforcement des droits du Parlement, s'est opposé à cette révision constitutionnelle, est en train de nous expliquer que la mise en oeuvre de cette révision constitutionnelle va limiter les droits du Parlement. Ce qu'il faut dans cette modification réglementaire sur les temps de parole, c'est un, donner encore au Parlement la capacité d'être un moyen d'alerte de l'opinion publique et qu'il y ait des moyens d'obstruction. Mais là, on est arrivé à une situation totalement excessive et ubuesque, où chaque texte...
 
Mais vous ne provoquez pas l'opposition, entre nous, vous ne la provoquez pas ?
 
...Où chaque texte fait l'objet d'une opposition. Et deuxième chose, honnêtement, lorsque la France est en train de vivre des risques de récession économique majeurs et une crise sociale qui pourrait venir dans la foulée de cette récession économique, qu'on passe des semaines et des semaines sur la modification du règlement de l'Assemblée nationale, il y a un moment où il faut savoir...
 
Ça c'était H. Morin, président du Nouveau centre. Je reviens au ministre de la Défense, les obsèques des huit soldats français morts au Gabon dans l'accident d'hélicoptère auront lieu vendredi en Moselle, après une cérémonie qui va avoir lieu tout à l'heure à Orly, en présence du président de la République et de vous-même. Est-ce que vous avez les résultats de l'enquête sur ce drame ?
 
Non, nous n'avons aucun élément. On ne sait pas si ce sont des facteurs humains ou des facteurs matériels ou si c'est la conjonction des deux. On est en train de mener l'enquête et elle sera forcément longue. On va repêcher l'hélicoptère au fond de la mer, les moyens de la Marine nationale vont être mis en place pour le repêcher, pour qu'on puisse mener l'enquête et savoir.
 
Est-ce que vous allez, dernière question, réduire et revoir le déploiement des forces extérieures françaises ?
 
Le Premier ministre va présenter cela à l'Assemblée nationale la semaine prochaine. Mais en effet, on va adapter le format des forces aux éléments du théâtre militaire.
 
C'est-à-dire qu'il y aura moins de forces françaises en Afrique ?
 
Il y aura, probablement, oui, moins de forces françaises en Afrique. Parce qu'on n'a probablement pas besoin des mêmes niveaux d'effectifs, par exemple en Côte d'Ivoire.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 janvier 2009