Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche à l'Assemblée nationale, sur l'intervention israélienne dans le territoire de Gaza ainsi que sur le recul des libertés publiques en France, avec notamment l'atteinte à la liberté de la presse et au droit d'amendement des parlementaires, Paris le 6 janvier 2009.

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Circonstance : Voeux à la presse, à Paris le 6 janvier 2009

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Avec tous les députés socialistes, je vous présente mes meilleurs voeux de réussite professionnelle et d'épanouissement personnel.
Avant d'évoquer avec vous la situation générale de notre pays, je veux exprimer la solidarité des députés socialistes à l'égard de la population de Gaza, victime des combats qui opposent l'armée israélienne et le Hamas mais aussi des civils israéliens frappés par les tirs de roquettes. Nous condamnons cette intervention militaire à Gaza parce qu'elle enterre une nouvelle fois tout espoir de règlement durable et creuse un peu plus le fossé entre Israël et le monde arabe. Le Hamas porte une lourde responsabilité en ayant rompu la trêve. Mais Israël, avec le blocus et cette intervention, est coupable d'une réponse disproportionnée.
Les encouragements donnés par l'administration Bush à l'intervention israélienne sont à cet égard désastreux. Toute la communauté internationale doit faire bloc pour exiger un cessez le feu immédiat, la levée du blocus sur l'aide humanitaire à la population de Gaza et l'envoi d'une force internationale d'interposition. Nous appelons également le président Obama à rompre avec la politique de son prédécesseur et à relancer avec l'Europe, la Russie et l'ONU un nouveau processus de paix. C'est la seule manière de sortir de cette spirale de vengeances au Proche-Orient.
Dans cette affaire, je souhaite que notre pays se prémunisse des poisons communautaristes. Majorité et opposition doivent unir leurs efforts sur la ligne qu'a constamment suivie la France depuis 30 ans : droit pour les Palestiniens à un Etat, droit pour Israël à la sécurité. Sur une question aussi importante, la France doit continuer de parler d'une seule voix et je souhaite que notre Assemblée en donne l'exemple en envoyant une délégation de tous les groupes en Israël et en Palestine.
Pour autant cette convergence de vues ne peut gommer les oppositions radicales que nous avons avec le Président de la République sur l'état des libertés publiques dans notre pays et sur la gestion de la crise économique et sociale.
Si je choisis d'ouvrir mon propos sur la question des libertés publiques, c'est parce que j'ai la conviction que depuis son élection, le Président de la République malmène dangereusement l'Etat de droit et les équilibres démocratiques. On le voit dans une politique pénale expéditive et répressive ; dans l'annonce de la suppression du juge d'instruction qui met en cause l'indépendance de la justice ; dans l'explosion ahurissante des gardes à vue qui touchent les citoyens; dans la prolifération incontrôlée des fichiers de police ; dans la banalisation des atteintes au droit d'asile ; dans la gestion toujours plus arbitraire des expulsions du territoire. D'une conception sécuritaire, l'Etat Sarkozy est en train de glisser à une tentation autoritaire qui touche à tous les domaines : la vie des citoyens ; la presse ; les institutions.
Ce qui se passe dans votre métier, l'information, est particulièrement éclairant. Par touches successives, le Président de la République tisse une véritable toile d'araignée.
Connivences avec les grands patrons de presse ; développement de pressions politiques ou judiciaires plus ou moins discrètes sur les journalistes ; projet de réforme du statut de l'AFP qui garantissait son indépendance ; remise sous tutelle de l'audiovisuel public ; soumission du CSA.
La longue bataille parlementaire que nous avons menée sur le projet de loi audiovisuel (et que nous prolongerons au Sénat) a eu le mérite de mettre à jour cette dangereuse dérive. La défection de députés de la majorité lors du vote prouve que cette inquiétude va au-delà des rangs de l'opposition. Chose incroyable, la principale disposition du texte est entrée lundi en vigueur alors même que la délibération parlementaire n'est pas terminée. J'ai entendu l'indignation du président Larcher. J'ai bon espoir que la Chambre haute dira Non à ce double manquement à l'indépendance du Parlement et de la presse.
Car le plus grave est encore devant nous. Avec le projet de loi organique sur la réforme du Parlement, M. Sarkozy est en train de parachever l'édification de sa République personnelle. Après avoir phagocyté le gouvernement, circonvenu la justice, désarmé les autorités indépendantes, c'est désormais le Parlement qu'il entend bâillonner en limitant son droit d'amendement. C'est là pour nous le pas de trop.
Jamais depuis le roi Charles X, un chef de l'Etat n'avait osé restreindre le droit le plus sacré des parlementaires. Jamais on n'avait poussé si loin la volonté de mater les Assemblées. Avec cette loi organique, le débat parlementaire se réduira à une course contre la montre où l'exécutif et sa majorité seront seuls maîtres du temps et de la discussion. Toutes les grandes controverses deviendront inaudibles. Toutes les oppositions seront éteintes.
Pour se justifier le pouvoir invoque l'usage abusif que nous ferions de ce droit. C'est l'habituelle défense des projets liberticides. Aucune opposition n'a jamais pu interdire à la majorité de faire voter ses projets de loi. Sur 1450 textes adoptés depuis 30 ans, 7 seulement, dont 4 à l'initiative de la droite, ont dépassé les 100 heures de discussions.
Le Président nous dit c'est trop long, c'est du blocage, c'est « la pagaille ». Mais de qui se moque-t-on ? Qui peut croire que dans notre République que consacrer 70 heures d'attention, c'est-à-dire tout juste deux semaines de travail d'un salarié, pour étudier une question aussi fondamentale que l'indépendance de l'audiovisuel publique soit considérée comme de la pagaille..
Croyez vous que les Français ont apprécié quand la majorité a fait voter en une heure la retraite à 70 ans. Ils auraient certainement préféré que le Parlement prenne beaucoup plus son temps pour qu'eux même les Français puissent donner leur avis.
Cette question du temps est au coeur de notre controverse démocratique avec le chef de l'Etat. Dans sa conception autoritaire du pouvoir, N. Sarkozy est constamment pressé de plier le temps et les hommes à sa volonté. Toutes ses volontés doivent être exécutées sur l'heure. Chaque jour un évènement doit chasser le précédent. C'est le tourbillon permanent où l'on ne doit jamais laisser le pays respirer, étalonner, comprendre ce qu'on lui fait avaler.
Voilà pourquoi l'opposition parlementaire le gène. Voilà pourquoi il veut lui retirer ce seul pouvoir qu'elle détient dans nos institutions : Le temps. Le temps d'expertiser. Le temps de débattre. Le temps d'éclairer les Français. Ce temps qui peut permettre de modifier le cours des lois que le Président veut imposer envers et contre tout.
Alors oui ! Le seul abus que connaisse notre démocratie, c'est bien celui d'un pouvoir autoritaire qui ne tolère plus ni la contradiction, ni les contre pouvoirs.
Eh bien nous ne plierons pas. Nous utiliserons toutes les procédures que nous confèrent encore la loi pour défendre la souveraineté de nos assemblées. Nous sommes en état de légitime défense. Soit le gouvernement retire les dispositions contestées, soit il prendra la responsabilité d'ajouter une crise politique majeure à la crise économique et sociale que traverse le pays.
C'est par quoi je veux conclure avant de répondre à vos questions. Le problème n'est plus de se demander si la France est en récession, nous sommes en plein dedans. Il est de savoir si le président apporte les bons remèdes. La réponse est Non. Depuis le début de la crise, M. Sarkozy a certes déployé une énergie utile sur la scène internationale. La remise en mouvement de l'Europe, la recherche d'un gouvernement économique, la mobilisation du G20 pour trouver de nouvelles régulations ont été des initiatives que nous avons appuyées.
Mais comment ne pas voir le décalage qui existe entre le discours du « nouveau monde » et la réalité d'une France qu'il tire en arrière. Comme ignorer qu'on a mobilisé des centaines de milliards pour sauver les banques et les responsables de la faillite financière quand on ne trouve pas à un centime pour aider les salariés et les chômeurs à s'en sortir.
Tous les plans conçus depuis trois mois par M. Sarkozy sont frappés du sceau de cette incohérence.
On nous a promis que le plan de sauvetage des banques allait faciliter l'accès au crédit sans que l'Etat ait à entrer dans leur capital. Aujourd'hui on s'aperçoit qu'elles ne jouent pas le jeu en imposant un véritable parcours du combattant aux entreprises et aux ménages qui veulent emprunter l'argent dont ils ont besoin.
Dans la même veine, le plan de lutte contre le chômage, avec ses dispositifs cosmétiques et son financement squelettique apparaît totalement désarmé face à l'ampleur de la vague de licenciements et de destructions d'emplois que nous connaissons. Les statistiques catastrophiques du chômage ces trois derniers mois sont tout autant la rançon de la crise que d'une politique à contre-emploi qui consiste depuis dix-huit mois à faire « travailler plus » ceux qui ont un emploi et à laisser se débrouiller ceux qui n'en ont pas.
Quant au plan de relance dont nous commençons l'examen parlementaire, tous les experts, même les mieux disposés envers le chef de l'Etat, le jugent déjà dépassé et inadapté à la crise que nous traversons. Derrière des chiffres et des mots ronflants, il se résume pour l'essentiel à des avances de trésorerie envers les entreprises. Comment admettre que les premières victimes de la crise, les ménages, soient complètement oubliés ? Comment comprendre que les grands programmes industriels et de recherche qui dopent l'activité économique et l'emploi ne reçoivent que des miettes ? Comme imaginer que les collectivités locales qui représentent les ¾ de l'investissement public soient marginalisées ? A peine conçu, ce plan en appelle déjà un autre.
Et c'est toute la mystification de son action. Le retour de l'Etat, dont on nous rebat les oreilles, relève bien plus de la béquille d'un système libéral en faillite que d'un changement des règles du jeu. Tout le programme parlementaire qu'on nous présente en atteste : après le paquet fiscal, la retraite à 70 ans, le plan social dans l'éducation national, le grand dépouillement de l'Etat et des protections sociales continue avec le travail le dimanche, la privatisation de la poste, la fin de la loi SRU, les restructurations hospitalières. La dramatique série d'accidents que nous venons de vivre dans les hôpitaux public a jeté une lumière crue sur cette paupérisation des services publics les plus essentiels. Sans doute les défaillances humaines en sont-elles la cause, mais les restrictions budgétaires et les suppressions de poste en sont la racine.
Comme l'a justement écrit un des vos confrères : depuis l'élection de M. Sarkozy, « la France bouge ; mais le plus souvent, c'est pour reculer ».
Ce constat est lourd de menaces. La combinaison d'un Etat autoritaire et d'un Etat inégalitaire est un précipité dangereux dans une société française minée par sept années d'échecs et déstabilisée par cette nouvelle crise.
Le rôle de la gauche n'est pas de souffler sur les braises. Il n'est pas d'appeler à je ne sais quel grand soir. Il est de donner une voix aux millions d'oubliés de la crise. Il est de construire les bases d'un nouveau modèle dans lequel les Français puissent retrouver espoir.
C'est le travail auquel s'est attelé le Parti socialiste. Le 20 janvier prochain sera rendu public son contre-projet de relance. Soyez en sûrs. Ce sera un projet à l'eau forte qui tracera les différences fondamentales de conception et de solutions que nous avons avec le Président de la République. Notre groupe y a contribué à travers la floraison d'amendements et de propositions de loi qu'il a défendus sur la fiscalité, le pouvoir d'achat, le travail, les nouvelles régulations économiques et sociales. En plein accord avec Martine Aubry, le groupe socialiste à l'Assemblée continuera de jouer ce rôle de PME innovante auprès de la maison mère. Avec des projets construits sur la santé, le logement, la fin de vie.
Notre pays a besoin d'une gauche forte et créative. Je me félicite que les intenses batailles que nous menons sur l'audiovisuel public, le travail le dimanche nous aient enfin permis d'être entendus par les Français. C'est la reconnaissance du talent et de la cohésion des députés socialistes, radicaux et citoyens.
Ce n'est qu'un début. Sur tous les grands sujets, le pouvoir trouvera à l'Assemblée une opposition ardente, combative, tranchée qui défendra pied à pied ses convictions et ses solutions. Et s'ils veulent nous faire taire, nous saurons mobiliser tous les moyens du droit et de la communication pour nous faire entendre. Clemenceau l'a dit avant moi : « On ne subit pas le salut ; on le fait ».
source http://www.deputessocialistes.fr, le 15 janvier 2009