Texte intégral
M.-O. Fogiel.- Bonjour L. Chatel. Vous êtes le secrétaire d'Etat chargé de l'Industrie et de la Consommation, également le Porte-parole du Gouvernement. Le Gouvernement qui convoque aujourd'hui les constructeurs, les équipementiers, les sous-traitants, les experts, les représentants des salariés, les industriels, les syndicats du secteur automobile pour des états généraux. Plus de 1.000 personnes y sont attendues tout à l'heure à Bercy. L'objectif : trouver les moyens d'aider ce secteur sinistré par la crise. Tout d'abord, sans cette concertation, sans langue de bois, on irait droit dans le mur ?
Ma réponse est "sans doute, oui". Vous savez, l'automobile traverse une crise, une triple crise en fait aujourd'hui. Une crise financière d'abord ; les constructeurs n'arrivent pas ou arrivent mal à se financer sur les marchés pour le crédit à la consommation pour leurs clients ou bien tout simplement pour leurs investissements courants. Ensuite, une crise de la demande. On voit qu'aujourd'hui, les attentes des consommateurs changent, il y a de nouveaux besoins, la place de la voiture dans la société a complètement évolué depuis quelques années. Et puis ensuite, il y a une crise du modèle économique de l'automobile, une compétition féroce. Je prends un exemple : quand la 205 ou la R5 étaient là, elles avaient cinq ou six concurrentes. Aujourd'hui, sur un segment de marché, il y a 25 concurrentes.
Mais cela doit aider a priori les consommateurs à payer moins cher les voitures ? Alors, ça n'aide pas les constructeurs, mais les consommateurs, oui.
Oui, c'est vrai que les prix sont plutôt modérés par rapport à il y a quelques années, mais donc cela entraîne une pression forte sur toute la filière et sur les équipementiers.
Alors, on va voir comment vous allez les aider, ce qui va se passer tout à l'heure à Bercy. Ce matin, le président de PSA, C. Streiff, déclare dans Le Figaro : "L'Etat doit intervenir pour que les banques prêtent normalement". Est-ce que vous allez lui donner satisfaction ? Est-ce que vous allez demander aux banquiers de prêter à l'industrie automobile ?
Comme je vous le disais à l'instant, il y a un des gros sujets qui est la difficulté pour les constructeurs d'accéder au marché financier. Ce n'est pas un sujet franco-français. Tous les constructeurs du monde, aujourd'hui, sont confrontés, à ces difficultés.
On a vu ça à Toyota notamment, une crise, 4 % par an de recul.
Le Gouvernement français travaille aujourd'hui au quotidien. Moi, je reçois quasiment tous les jours les constructeurs, et nous travaillons avec eux pour trouver les moyens de leur redonner une bouffée d'oxygène.
Mais concrètement, est-ce que vous allez demander aux banques ou alors vous allez leur prêter vous-mêmes de l'argent ? Est-ce que vous allez prêter de l'argent aux constructeurs ?
Une partie de leurs besoins sera financée sur les marchés grâce aux banques, et l'autre partie, indiscutablement, nécessitera une intervention de l'Etat.
A quelle hauteur ?
Nous sommes en train de travailler avec eux sur le montant et sur la nature des interventions, savoir si ce sont des garanties, des prises de participations, si ce sont des prêts participatifs ; tout cela, c'est très technique, et nous sommes en train de discuter avec eux, et à ce jour, ce n'est pas tranché. Ce que nous souhaitons, c'est que, globalement, il y ait un grand plan pour l'automobile qui soit annoncé, et c'est l'objet de ces états généraux.
Par N. Sarkozy dans un mois. On parle [d'un plan] de 5 à 10 milliards d'euros. Est-ce que c'est dans cet ordre de valeur ?
L'ordre de grandeur des besoins en liquidités des constructeurs est celui-là. Simplement, dans le détail, nous sommes en train de discuter avec eux.
Est-ce que vous êtes favorable à ce que l'Etat monte dans le capital des entreprises ?
Aujourd'hui, vous savez, le besoin des constructeurs n'est pas forcément le besoin de ce que l'on appelle en fonds propres, c'est-à-dire en prises de participations. Leurs besoins, comme je vous le disais à l'instant, ce sont d'abord des besoins de court terme, de liquidités pour financer le crédit à la consommation d'un côté - deux véhicules sur trois sont achetés à crédit -, mais aussi pour financer leur trésorerie courante. Donc, ce n'est pas forcément la priorité.
Donc, vous allez les aider, mais pas en entrant dans le capital. Alors, vous demandez des contreparties, évidemment à ces constructeurs. Tout se joue là-dessus, sur ces contreparties : maintien des sites industriels, pas de fermetures d'usines en France. Comment allez-vous contrôler qu'il n'y ait pas de délocalisations par exemple ? Vous allez contrôler les grandes entreprises automobiles, mais aussi les sous-traitants ?
C'est très simple. En cinq ans, l'industrie automobile a perdu un million de véhicules en production. On produisait 3,7 millions avec les véhicules utilitaires, il y a cinq ans ; on en produit 2,7 millions aujourd'hui. Il y a donc eu une vraie délocalisation. C'est-à-dire qu'il y a des véhicules, environ 60% des véhicules vendus en France sont aujourd'hui fabriqués à l'étranger.
Mais il y a bien une raison économique à cela !
Oui, il y a une raison économique, et c'est l'enjeu de ces états généraux. Nous, nous avons fait un choix politique, avec N. Sarkozy, c'est de dire : "nous ne laisserons pas tomber notre industrie automobile". On croit à son avenir. Et derrière, il faut donc mettre en oeuvre une politique qui soit compétitive ; il faut que ce soit intéressant pour les constructeurs, que ce soit rentable de fabriquer, par exemple, la Twingo en France et non pas en Slovénie.
Très bien, mais alors, qu'allez-vous faire pour ça ?
C'est justement l'enjeu de ces discussions aujourd'hui.
Vous avez bien une petite idée ?
Nous avons travaillé sur toute la filière. Il n'y aura pas d'annonces aujourd'hui. Il y aura simplement des échanges au sein de la filière.
J'ai bien compris que vous n'alliez rien annoncer, mais est-ce que vous avez des idées sur ce qu'il faut faire ou alors vous attendez ....
On voit très clairement qu'aujourd'hui une Clio fabriquée en Turquie coûte moins cher qu'une Clio fabriquée en France. Comment on résout cet écart de prix ?
Comment ?
Alors, cet écart de prix, il se joue sur toute la chaîne de valeurs ; il faut sans doute améliorer l'organisation de la filière de sous-traitance, aider nos sous-traitants à être plus forts, à avoir davantage de liquidités, de fonds propres. Il faut ensuite travailler avec les constructeurs pour améliorer la compétitivité de leurs usines. Il faut réfléchir aux taxes, à la fiscalité. Donc, tous ces sujets que nous allons aborder tout au long de la journée.
Enfin, le but de ces états généraux, c'est aussi de préparer l'industrie automobile aux changements technologiques. L'avenir, ce sont des véhicules verts et davantage automatisés. Est-ce que vous allez aider les constructeurs à développer ce genre de modèles, qui coûtent cher ?
La réponse est "oui", parce qu'il y a une mutation considérable de l'automobile aujourd'hui, avec l'avènement du véhicule électrique, du véhicule 100 % recyclable, du véhicule 100 % sûr ou automatisé, et aujourd'hui, nous avons la chance en France d'avoir des industriels qui travaillent sur tous ces chantiers, mais qui ne se parlent pas forcément. On a un grand savoir-faire des constructeurs. Donc, le rôle de l'Etat, dans ces cas-là, c'est de fédérer l'ensemble des acteurs et de les encourager à être les meilleurs sur ce chantier. Nous avons deux constructeurs automobiles parmi les dix premiers mondiaux. L'enjeu, c'est qu'ils soient les meilleurs dans le véhicule propre, qui est le marché de demain.
Deux mots pour terminer : vous êtes également le Porte-parole du Gouvernement. Aujourd'hui, donc, N. Sarkozy reçoit les banquiers. Il leur demande de renoncer à leur bonus. Comment cela va-t-il se passer ?
Eh bien, on va voir. Mais vous savez, il y a eu un contrat moral entre l'Etat et les banques, qui a consisté à dire : "nous sommes prêts à sauver le système bancaire pour sauver l'épargne des Français, mais cela nécessite, là aussi, des contreparties". J'ai entendu un certain nombre de dirigeants de banques être réactifs par rapport à cela, annoncer qu'ils renonçaient par exemple à leur bonus ; j'ai entendu d'autres propos que, je dois dire, je trouve assez amoraux, parce qu'il y a eu un contrat moral. La moindre des choses, c'est que, derrière, on ait des contreparties et on ne distribue pas des bonus comme on a pu le voir ces derniers jours.
En un mot, aujourd'hui, c'est un jour historique, B. Obama investi aux Etats-Unis. Quel est le message de N. Sarkozy à B. Obama ?
C'est évidemment un message d'encouragement. C'est indiscutablement un moment historique. Vous savez, peut-être, un message plus personnel. Moi, je suis né aux Etats-Unis, au milieu des années 60, et à l'époque, il y avait encore des lois raciales dans certains Etats. Donc, l'avènement d'un Noir à la tête des Etats-Unis, c'est un évènement absolument formidable, historique, porteur de beaucoup d'espoirs, pour les Etats-Unis, mais je crois aussi pour l'ensemble de ses alliés, pour une nouvelle relation entre les Etats- Unis et la France.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 janvier 2009