Interview de M. Jean-Louis Debré, président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale, à France-inter le 27 avril 2001, sur la libération de Patrick Henry, le projet de loi sur la sécurité quotidienne et la nécessité de réviser les ordonnances de 1945 sur la délinquance des mineurs.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli Comment répondre à la délinquance quotidienne, sachant qu'un acte de délinquance de proximité sur deux, celui qui génère le plus d'insécurité, est le fait d'un mineur ? De nombreux experts dénoncent l'effet de la prison sur les jeunes, qui en ressortent plus agressifs qu'ils n'y sont entrés. Il y a aujourd'hui 750 mineurs en prison, chiffre jamais atteint ! La présentation du projet de loi relatif à la sécurité quotidienne à l'Assemblée par le ministre de l'Intérieur, D. Vaillant, a été l'occasion, tard cette nuit, de vifs affrontements droite-gauche. Question pour le magistrat que vous avez été : on a appris hier la libération sous conditions de P. Henry, après 25 ans de prison. Cela pose évidemment la question de la peine et de sa valeur. Qu'en dites-vous ?
- "D'abord, je pense tout le temps, depuis cette décision, à la famille, cette famille qui vit avec le souvenir de cet enfant, atrocement assassiné ! Je n'aurais pas signé la libération conditionnelle. Mais elle a été prise par des magistrats en leur âme et conscience, et il faut donc la respecter. Je crois qu'il faut maintenant faire très attention, suivre P. Henry, l'entourer. Je crois que nous ne pouvons pas - j'ai entendu tout à l'heure quelques témoignages, disant : "nous sommes satisfaits, heureux ..." être satisfaits et heureux. On doit être vigilants."
Est-ce que la peine peut modifier l'individu ? On va parler de la valeur de la peine : 25 ans de prison changent-ils un homme ?
- "Le comportement des individus en prison est un comportement très différent naturellement de celui qu'ils ont lorsqu'ils se trouvent dans la société. On a bien vu par le passé des gens qui avaient en prison un comportement exemplaire qui, dès qu'ils retournaient dans la société, avaient à nouveau des comportements dangereux. Ce qui m'avait frappé dans cette affaire, c'est le rapport des médecins, des psychiatres qui avaient expliqué à plusieurs reprises, que l'accusé n'était pas amendable. Quand on se souvient de l'atrocité de ce crime, la façon dont l'accusé, le condamné, a vécu avec près de lui le cadavre de cet enfant - c'est horrible ! - on peut être prudent sur sa capacité de réinsertion. C'est vrai, en prison son comportement est exemplaire, mais tous les magistrats - et je l'ai été longtemps - ont vu dans les prisons des détenus qui avaient des comportements exemplaires, parce qu'ils étaient encadrés, entourés, parce qu'ils étaient pris en charge. Mais dès qu'ils retournent dans la société, ils ont des comportements qui ne sont pas exemplaires."
C'est là qu'on voit la difficulté de la question. Tous les grands criminels ont commencé par être des petits délinquants. Vous avez débattu de la sécurité de proximité à l'Assemblée : un délit sur deux, celui qui génère le plus d'insécurité parmi l'opinion, est commis par un jeune. Comment gérer cette question de la primo-délinquance, comme y répondre ?
- "De multiples façons. Je me méfie toujours des gens qui disent : "y'a qu'à ..., y'a qu'une solution ..." Si on avait trouvé la solution, à droite comme à gauche, on l'aurait adoptée. Quels sont les faits auxquels nous sommes confrontés ? Nous sommes confrontés à une délinquance de mineurs de plus en plus jeunes ..."
10-13 ans!
- "Quand j'ai commencé ma carrière de magistrat, je l'ai commencée comme magistrat pour enfants. J'avais affaire à ce qu'on appelait à l'époque "des grands mineurs", ils avaient 16-17 ans. Avoir un mineur en face de soi de 12-13 ans, voire de 10 ans, c'était inimaginable ! Nous sommes confrontés à une délinquance des mineurs de plus en plus jeunes, de plus en plus durs, et qui agissent en bandes. Les ordonnances de 1945 ..."
...Qui protègent les mineurs.
- .".. qui s'expliquaient parfaitement, dans le contexte de l'époque, à savoir qu'il fallait éviter la sanction pénale parce qu'à l'époque le mineur était entouré de régulateurs sociaux - la famille ; la police ; la gendarmerie, qui avaient plus de crédibilité, plus de légitimité, plus d'autorité ; le prêtre dans les communes ; le professeur ; l'éducateur. Tout cela faisait en sorte que lorsque le mineur commettait une petite bêtise, il était immédiatement "pris en charge" par tous ceux qui gravitaient autour de lui. Aujourd'hui, tout cela a disparu."
Justement, on entend les éducateurs dire que si on abolit les ordonnances de 45 et qu'on met par exemple, des enfants de 10-13 ans en garde à vue, si on place des enfants de 13 ans, majorité pénale possible, en détention provisoire, on ne va pas obtenir non plus de bons résultats !
- "Ce n'est jamais satisfaisant d'interpeller un gamin de 10 ans, et ce n'est jamais satisfaisant de placer un homme ou un mineur, en détention provisoire. Vous avez interrogé un éducateur, je crois que cet éducateur n'est pas l'expression de l'ensemble de celles et ceux qui travaillent autour des mineurs. Pour essayer de réduire cette délinquance des mineurs, il y a plusieurs niveaux : le niveau de la prévention, essentiel, et le niveau de la dissuasion, essentiel aussi. Si ni la prévention ni la dissuasion ne sont efficaces, il faut arriver à la répression, hélas ! mais il faut y arriver. C'est dans ce cadre qu'il faut modifier les ordonnances de 45, pour faire en sorte, au niveau d'une part de la responsabilité pénale de permettre aux magistrats et aux juges pour enfants en particulier de prononcer des condamnations. Mais il faut aussi pouvoir les déplacer parce que tous les maires vous le dirons, certains quartiers sont troublés par des bandes, il suffit de déplacer, d'enlever un mineur de ce quartier pour retrouver calme et tranquillité."
Pourquoi faut-il qu'à l'Assemblée cela devienne un débat politicien presque idéologique entre la droite et la gauche ? Alors que là on vous entend réfléchir, comme beaucoup j'imagine ?
- "Pour une raison très simple. D'abord, permettez-moi de le dire, personne n'a une vérité. Or, très souvent, les hommes politiques ont leur vérité. Si je parle avec modération des problèmes de justice et de mineurs, c'est que j'ai été confronté, en tant que magistrat - pendant longtemps, j'ai été magistrat dans la banlieue parisienne - à ces problèmes de délinquance des jeunes et je sais qu'il n'y a pas une solution. Mais la difficulté que l'on a, et c'est là où on retrouve le débat politique, c'est que quand on dit que l'on veut modifier les ordonnances de 45, immédiatement il y a un combat idéologique. C'est absurde ! Les ordonnances de 45 ont déjà été, à multiples reprises, modifiées. Mais si vous dites carrément en France qu'il faut revoir la législation sur les mineurs, il y a un certain nombre de personnes immobiles ou enfermées dans une idéologie politique, parce que l'ordonnance de 45 est l'expression d'une certaine idéologie : la justice doit permettre l'amendement et non pas la sanction, il faut éviter toute intervention du juge et favoriser la réinsertion. Ce sont des débats qui sont intéressants et l'expression d'une période qui est passée. Ce sont des débats de gens qui ne sont pas confrontés à la réalité. La réalité, c'est de savoir comment faire en sorte que le premier devoir de la République, qui est d'assurer la sécurité, soit une réalité."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 27 avril 2001)