Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à Europe 1 le 18 février 2009, sur la réunion entre les partenaires sociaux et le chef de l'Etat et sur la situation en Guadeloupe.

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Média : Europe 1

Texte intégral


 
J.-P. Elkabbach.- Vous avez écouté Europe 1 : cette nuit, des scènes de guérilla, de vandalisme en Guadeloupe. Le leader, E. Domota, est lui-même débordé, les élus ne maîtrisent rien, FO fait partie du mouvement LKP ; ce matin, que dit le leader de FO sur la Guadeloupe ?
 
Je dis deux choses : il faut que le calme revienne. Jusqu'à maintenant, jusqu'à ces derniers jours, c'était un mouvement déterminé mais serein. Là, il y a depuis deux, trois jours, quelque problèmes, des problèmes effectivement, il ne faudrait pas que ça tourne au drame, j'attire l'attention là-dessus.
 
On n'est pas loin du drame...
 
Oui, ça peut arriver à n'importe quel moment et ce serait vraiment dramatique. Et donc, j'appelle chacun à prendre ses responsabilités. Le mouvement syndical les prend, je dis bien, ces dernières semaines dans le calme. Maintenant, il faut aussi que le Gouvernement prenne les siennes, et notamment... Écoutez, on devrait être sortis de ce conflit depuis plus de quinze jours ! Si le message qui avait été lu par monsieur Jégo, enfin à travers le préfet, était respecté, où il s'engageait à des allégements de charges pour les entreprises permettant derrière un deuxième accord sur les salaires. Donc, il faut en sortir maintenant.
 
Mais à votre avis, c'est l'Etat qui doit payer pour les augmentations de salaires ?
 
Pour une partie, oui, pour notamment toutes les petites entreprises qui sont effectivement dans la difficulté.
 
C'est-à-dire qu'aux Antilles on continue comme avant, c'est toujours l'Etat qui casque. Et les partenaires sociaux que font-ils sur place, les patrons locaux ?
 
Non, non, non. Il y a des discussions plus faciles d'ailleurs, il faut le savoir, en Martinique, entre les syndicats et le patronat, il y a un dialogue social qui fonctionne mieux qu'en Guadeloupe. Mais dans le même temps, il y a un problème qu'on ne règlera pas en quinze jours, mais de structure de l'économie, notamment en Guadeloupe, et avec quelques familles qui détiennent la totalité de l'île. Eh bien ça, il faut le régler à un moment donné, ça c'est d'un autre temps !
 
L. Chatel, invité de M.-O. Fogiel, appelait tout à l'heure au calme au nom du Gouvernement. Vous, vous dites aussi, appel au calme, vous qui faites partie du mouvement d'E. Domota ?
 
Oui, bien sûr, il faut être calme dans ces périodes, mais il faut sortir du conflit très rapidement en répondant aux revendications.
 
O. Besancenot, que vous connaissez bien, se rendra vendredi en Guadeloupe. À votre avis, y va-t-il pour prêcher le calme ?
 
C'est à lui qu'il faut poser la question. Je ne le connais pas personnellement, c'est à lui qu'il faut poser la question. Il est dans un rôle politique, moi je suis dans un rôle de syndicaliste.
 
En France, je veux dire en Métropole comme aux Antilles, tous les partis, y compris les partis de gauche et les syndicats, doivent maintenant, et vous le savez, compter avec lui, qui allume les mèches et qui les entretient, "politiquement" comme vous dites.
 
Ce n'est pas notre conception. Nous, nous faisons valoir nos positions, nos revendications, nous sommes prêts au dialogue, mais à un moment donné quand votre interlocuteur tire le tapis, ça pose un problème.
 
Vous participerez cet après-midi au sommet social de l'Elysée. Vous savez déjà beaucoup, beaucoup, puisque vous avez tous travaillé ensemble. Est-ce que la surprise serait qu'il n'y ait pas de surprise ?
 
On laisse entendre qu'il pourrait y en avoir, je ne sais pas, on verra ça cet après-midi. Effectivement, nous avons été reçus les uns et les autres la semaine dernière pendant une heure et demie, deux heures, par plusieurs ministres du Gouvernement. Ça a été l'occasion de préciser nos demandes sur les différents points. Et ce que j'ai senti lors de cette réunion et des contacts depuis, c'est qu'ils sont ouverts, apparemment ouverts sur certaines pistes, du type, ce que j'appelle "le curatif indispensable" : comment améliorer le chômage partiel ?...
 
Les soins d'urgence ?
 
Oui, si vous voulez. Comment améliorer le chômage partiel, son indemnisation... Nous, on demande qu'il puisse être couplé avec de la formation, par exemple. Mais dès qu'on aborde un autre dossier, qui est celui du pouvoir d'achat, on sent que là, ça se referme...
 
Mais d'abord sur le dialogue social, le président de la République et le Premier ministre répètent qu'ils croient au dialogue social. Vous qui les voyez souvent, pensez-vous qu'ils disent vrai ?
 
Oui, mais il faudrait qu'ils écoutent un peu plus. Je vais prendre un exemple - mais on pourrait en prendre beaucoup - : la situation des chômeurs de + de 56 ans, qui ont acquis leurs droits à la retraite, mais ils ne peuvent pas la prendre parce qu'ils n'ont pas 60 ans. Jusqu'au 1er janvier, ils bénéficiaient d'une allocation, ça s'appelait "l'allocation équivalent retraite", qui leur permettait de vivre dignement jusqu'à la retraite. C'est supprimé ! Ces gens-là, passent - parce qu'ils ne retrouvent pas de boulot - ils passent en un mois de 1.100 euros à 400...
 
Ça fait partie du paquet social...
 
Oui, mais attendez, ce n'est pas cher, mais il y a un blocage là-dessus ! Moi, je ne comprends plus, c'est du curatif ça !
 
La priorité, est-ce que c'est d'augmenter les salaires ou d'aider ceux qui ont perdu leur emploi ou qui ne vont pas tarder à le perdre ?
 
Les deux. Pourquoi je dis "les deux" ? Parce que là, on est dans une conception économique des choses. Si l'on veut effectivement participer à la reprise de la machine - tout ne se règle pas en France - mais si l'on veut y participer et soutenir l'activité, il y a effectivement des annonces à faire, et dans le cadre du plan de relance, sur l'investissement. On peut discuter des modalités, mais ça, on n'a pas dit que ce n'était pas bon. Mais il faut accompagner cela de soutien à la consommation. Donc ça, c'est la question du pouvoir d'achat. Bien entendu, que pour les salariés qui perdent leur boulot ou qui vont être en chômage partiel, il faut aussi aider, comme les jeunes qui n'ont aucun revenu aujourd'hui, il faut aider ça aussi.
 
Et si je vous dis entre le pouvoir d'achat et l'avenir des entreprises ? Vous ne me dites pas comment vous faites l'équilibre, vous me dites "les deux mon général" - ou mon sergent...
 
Mais ce n'est pas incompatible. Je reprends une formule qui n'est pas de moi : "la fiche de paye n'est pas l'ennemie de l'emploi". C'est une conception de l'économie. Chaque fois que nous avons réclamé dans des moments difficiles des augmentations des salaires, c'est aussi "réglo" que le patronat dire : "attendez, on ne pourrait jamais, vous allez faire couler les entreprises". L'histoire monter que ce n'est pas vrai.
 
L'ordre du jour de l'exécutif pour le sommet de l'Elysée, c'est mobilisation générale pour l'emploi, pour sauver l'emploi qui existe, mais surtout pour en gagner et en créer aujourd'hui et demain. Qu'est-ce que vous faites, vous, J.-C. Mailly, pour cette mobilisation-là ?
 
Justement, il y a les pistes sur le pouvoir d'achat parce qu'on dit que ça soutient l'activité, ça soutient la consommation, ça va remplir des carnets de commandes, c'est un élément important. Il y a effectivement le soutien à l'investissement, mais cela a déjà été évoqué. Troisième élément, élément-clé, il faut aussi préserver les services publics. Tout le monde constate aujourd'hui, au sens large, que c'est un sacré amortisseur social dans notre pays.
 
Est-ce que ce soir vous réclamez un "oui" à toutes vos revendications, tout, tout de suite, ou est-ce vous distinguerez des étapes ?
 
D'abord, si sur le pouvoir d'achat il n'y a aucune piste d'ouverte si ce n'est la question de l'impôt sur le revenu, ça va vraiment être très court. Donc on pèsera ce soir ce qui sera annoncé et ce qui ne sera pas annoncé. S'il y a des choses qui sont positives, je le dirais à la sortie. Si on a obtenu telle ou telle chose, je le dirais. Mais après on regardera globalement, ça c'est évident.
 
Mais les réactions...
 
Mais il y aura des choses qui seront discutées après, mais ça on le sait.
 
Et qu'acceptez-vous de négocier après ?
 
Si c'est pour nous renvoyer la répartition des profits dans les entreprises avec une discussion avec le patronat, je pourrais venir vous revoir au mois de septembre, ce n'est pas réglé, je peux vous le dire tout de suite.
 
Et pour les semaines qui viennent, pensez-vous que ça va durer plusieurs mois ? Vous acceptez un délai des discussions de trois, six, huit mois, cette année ?
 
Ça peut être le cas sur certains point en matière de formation ou autre, qui demande des négociations. Mais ce que nous attendons aujourd'hui, c'est que, sur ce qui est de sa responsabilité, le Gouvernement annonce. Le Smic, c'est le Gouvernement, et personne d'autre. Si je prends cet exemple. L'allocation "équivalent retraite", c'est le Gouvernement et personne d'autre. Donc, ça, on demande des réponses rapides. Après, ce qui peut être renvoyé à des discussions, on discutera après.
 
Les réactions sont prévisibles et classiques après le sommet de cet après-midi. On peut même prendre le pari. Est-ce que FO trouvera insuffisantes les mesures proposées et appellera encore à poursuivre la pression sur le Gouvernement ?
 
Si les mesures sont insuffisantes, bien entendu que nous...
 
Mais est-ce que vous les jugerez de toute façon insuffisantes ?
 
Mais j'attends la fin de la sortie. J'ai dit à plusieurs reprises que je suis déterminé, je n'y vais pas avec une liste de Noël, ce n'est pas le Père Noël que je vais voir, c'est le président de la République, donc j'y vais avec une liste de revendications. Je suis déterminé, mais je l'ai dit, je suis sceptique. Pourquoi sceptique ? Compte tenu des contacts que nous avons eus.
 
Il y a des milliers et des milliers de salariés en France qui ne sont pas syndiqués. Vous tous, vous représentez autour de 8 %, les syndicalistes, 8 % des salariés, c'est-à-dire, 4 % des Français. Est-ce que vous pensez aux autres salariés ?
 
Mais attendez monsieur Elkabbach ! Vous discutez de ça ! Vous pensez, vous, que les droits des salariés français sont inférieurs aux droits des salariés allemands ou suédois ? Non, ce sont les mêmes. C'est une création, c'est une logique, c'est ce que j'appelle, moi "le modèle républicain" ou "la république sociale". Alors, on pourra en discuter. Mais quand les syndicats français appellent, vous avez bien vu qu'il y a du monde dans la rue.
 
C'est un moment important aujourd'hui ?
 
Oui, c'est un élément important. Maintenant, attention à ne pas non plus monter en épingle - mais c'est le pouvoir qui fait ça aussi - des rendez-vous qui peuvent être décevants, les gens attendent beaucoup.
 
Dernière question, est-ce que vous restez favorable à la journée d'action prévue le 19 mars ou vous la conditionnez aux résultats du rendez-vous de cet après-midi ?
 
Si on a satisfaction ce soir, sur l'essentiel de nos revendications...
 
Pas sur tout, s'il y a une partie positive, vous dites...
 
Sur l'essentiel... Enfin, pas simplement un point, il faut être clair. On va peser l'ensemble. Si sur la consommation, ça ne bouge pas, ce ne sera pas satisfaisant. C'est là que je dis que je suis sceptique.
 
Mais si ça bouge un peu ?
 
Si ça bouge un peu, on verra un peu. Mais en tous les cas, mon pronostic, je le dis clairement, c'est que le 19 aura lieu.
 
Et il y en aura encore, comme ça, jusqu'à l'été ?
 
On se reverra le 23 février.
 
Et ici aussi. Bonne journée !
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 février 2009