Interview de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, à "Canal Plus" le 2 octobre 2008, sur les mesures envisageables en matière de politique de l'emploi.

Prononcé le 1er octobre 2008

Intervenant(s) : 

Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben, C. Roux & L. Mercadet.- M. Biraben : Je vous rappelle que vous pouvez adresser toutes vos questions à L. Wauquiez, vous allez sur le site Internet de Canal et vous cliquez sur "la Matinale", Léon se fera le relais de vos questions. L. Wauquiez, donc, secrétaire d'Etat à l'emploi est notre invité.

C. Roux : Oui, il a eu la lourde tâche cette semaine d'expliquer que le chômage était de retour, qu'il affichait ses plus mauvais scores depuis quinze ans et, pire que cela, allait durer. L'opposition dénonce les mauvais choix économiques qui se traduisent concrètement aujourd'hui ; la majorité répond : crise financière et ralentissement économique. La réalité est là, 41 300 chômeurs de plus au mois d'août en France, l'angoisse monte autour de la crise financière. Bonjour !

Bonjour.

M. Biraben : L. Wauquiez bonjour, le mercredi matin, on ouvre bien entendu, Le Canard Enchaîné et on trouve ce titre : « L'Ecureuil a trop jonglé avec ses noisettes », ça c'est pour nous faire rire et puis la suite est moins drôle : « La situation financière des Caisses d'épargne est devenue un secret, une affaire d'Etat plombées par leurs filiales Nexity et Natixis, elles recherchent, les Caisses d'épargne, 6,5 milliards d'euros. Vous avez des informations ?

Eh bien le but, surtout, c'est que personne ne prenne les noisettes. En terme de crise financière, on est dans une situation où toutes les rumeurs sont possibles et ce genre de rumeur est totalement destructeur. Donc notre travail, c'est d'essayer de s'assurer effectivement qu'on n'a pas une crise, que ce que l'on observe sur les autres pays européens ne soit pas contagieux. Mais, il y a la tempête. La bonne nouvelle c'est que la maison, en France, est plutôt plus à l'abri par rapport à la côte que ce qu'on a sur les autres pays. Mais la mauvaise nouvelle c'est qu'il y a quand même la tempête !

C. Roux : Restons sur la Caisse d'épargne, vous nous dites ce matin, ce n'est qu'une rumeur ?

Oui, parce que dans une période de tempête financière comme celle qu'on a, où on a vu Fortis ou des grands établissements bancaires américains, c'est très facile de dire : tel établissement, tout d'un coup, en braquant le projecteur sur lui, a des difficultés. On ne va pas se raconter d'histoire, on traverse une période qui est une période difficile. Donc, évidemment tous les établissements peuvent être menacés. Le point important et c'est ce qui est le meilleur gage pour les Français, c'est ce qu'a dit le Président de la République : il n'y aura aucun épargnant qui sera floué. Parce que l'Etat, si jamais un établissement, même en France a des difficultés, apportera sa caution.

C. Roux : Donc, si la Caisse d'épargne avait des difficultés, l'Etat serait là pour soutenir la Caisse d'épargne, quoi qu'il arrive ?

Exactement, ce qui est la meilleure garantie pour les épargnants.

C. Roux : La difficulté, c'est qu'en ce moment on se dit : on ne peut pas nous dire la vérité ! Parce que ce serait la panique sur les marchés financiers. Alors vous nous dites c'est une rumeur. Les gens qui ont peut-être de l'argent à la Caisse d'épargne se disent : de toute façon, ils ne nous diront pas, c'est un secret d'Etat en ce moment.

Non, c'est exactement pour ça.... C'est vrai, je comprends très bien ce que vous voulez dire sur ce soupçon qui peut exister. Mais c'est pour ça que le Président, dès jeudi, a voulu que les choses soient mises sur la table. Il a dit : "peut-être qu'il y aura des grands actionnaires qui vont perdre de l'argent, mais nous, notre préoccupation c'est qu'aucun épargnant ne doit perdre son épargne. Et c'est pour ça que je le dis officiellement et que j'engage ma parole de Président de la République là-dessus". Donc ça, c'est le point qui est le meilleur gage pour les épargnants en France. Après, il y a effectivement un équilibre à trouver. Oui, on a une situation difficile, oui, on ne va pas se mettre la tête dans le sable et faire semblant que tout va bien. Mais à côté de ça, je crois qu'il ne faut pas céder à la panique, on a besoin de sang-froid dans la période actuelle.

C. Roux : Alors vous dites, il ne faut pas céder à la panique, F. Fillon dit ce matin dans les Echos : « Les banques françaises ne sont pas à l'abri des difficultés »

Non, elles ne sont pas à l'abri des difficultés, pour les raisons qu'on a dites : c'est qu'on est dans un système européen. On n'est pas protégé par magie, le nuage de Tchernobyl ne s'arrête pas à la frontière. Donc, oui, on est dépendant de ce qui se passe en Europe et de ce qui se passe aux Etats-Unis. Mais c'est ce que je disais, il y a la tempête, on est sur la côte, la maison est plutôt plus protégée que ce qu'on a ailleurs, ça c'est la bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle c'est qu'il y a quand même la tempête !

C. Roux : Donc vous dites aux Français : n'ayez pas peur !

Je leur dis en tout cas : c'est dur mais on va se battre.

C. Roux : Alors le chômage. Le constat vous l'avez fait, le chômage augmente. Vous nous avez dit cela va durer. C'est au niveau des solutions que l'on se dit : est-ce que le Gouvernement a de bonnes nouvelles à nous annoncer ? Vous avez évoqué hier les contrats aidés, c'est-à-dire un traitement social du chômage ; est-ce que l'Eta - vous nous dites qu'il n'y a plus d'argent - a les moyens de renforcer les contrats aidés ?

Les contrats aidés d'abord, il faut bien que tout le monde comprenne ce dont il s'agit. Je vais prendre un exemple concret, parce que cela permet tout de suite de mieux comprendre. Je visitais la semaine dernière une entreprise en Alsace, un laboratoire qui voulait recruter 30 personnes, ils ont fait le pari de donner leur chance à des gens qui étaient en CDI et à des jeunes sans expérience. On les a mis en "contrats aidés" pendant six mois, avec en même temps une formation. Ils n'avaient aucune formation de techniciens de laboratoire, en six mois, ils ont pu, comme ça, prendre ce job. Le but des contrats aidés, c'est ça, c'est de mettre un pied à l'étrier à des gens qui sont éloignés de l'emploi, qui n'ont peut-être pas la bonne formation, mais auxquels on va donner une chance. C'est un outil que j'ai toujours défendu, depuis six mois, depuis que je suis secrétaire d'état à l'emploi, on a toujours dit, on a besoin de ce levier. On a fait une relance en juillet de 60 000 contrats aidés, avant ce mauvais chiffre. Aujourd'hui, c'est une chance, parce que cela nous permet d'avoir la montée en puissance.

C. Roux : La question c'est : est-ce que l'on va au-delà ? On connaît la situation, on sait que le chômage a augmenté de manière spectaculaire au mois d'août, est-ce qu'on va au-delà ? E. Woerth a dit hier : il y a déjà beaucoup de traitement social du chômage dans le budget 2009, il y a déjà les moyens disponibles. Lui, c'est le gardien du temple de Bercy, il dit en gros, il n'y a plus d'argent, il y a déjà ce qu'il faut, on ne va pas en rajouter.

Eric fait son job, moi ce que je dis, c'est qu'en période où l'emploi est difficile, il y a des gens - ce n'est pas simplement des chiffres - c'est des familles qui peuvent être en difficultés. Si on a besoin des contrats aidés et que cela leur permet d'aller vers l'emploi, on les utilisera.

C. Roux : Il faut aller au-delà de ce qui est prévu dans le budget ?

Pour l'instant, on a ce qu'il faut dans le budget, mais si jamais la situation de l'emploi continue à se dégrader, il faudra qu'on réagisse. La seule chose, c'est que ce n'est pas la seule réponse, ce serait beaucoup trop caricatural. De la même manière, il faut que l'on améliore l'accompagnement des employeurs à l'ANPE. Il faut que l'on collecte mieux toutes les offres d'emploi, aller les chercher une par une. On a passé un partenariat par exemple avec la RATP qui recrute 2 000 emplois chaque jour. Hier, j'étais dans une association « Nos quartiers ont du talent » qui s'est mobilisée pour éviter que les jeunes aient la barrière du CV. C'est-à-dire vous présentez votre CV, mais comme vous êtes un jeune, personne ne vous reçoit jamais.

C. Roux : Cela ressemble à des rustines, c'est ça le problème.

Je ne sais pas, si vous traitez ça de rustine, mais cela a accompagné 3.000 jeunes, qui ont réussi comme ça à trouver un emploi, alors que jusque là, ils se heurtaient à un mur de verre. Moi je n'appelle pas ça une rustine, j'appelle ça une bonne solution.

M. Biraben : Léon, vous avez question de téléspectateur.

L. Mercadet : Oui, bonjour Monsieur le ministre, c'est Philippe qui demande une explication sur le chômage : on nous dit que la hausse du chômage est due en partie à la crise et l'Allemagne a vu son taux de chômage baisser en août. Explications ?

Alors l'Allemagne a vu son taux de chômage baisser en août, par contre en juillet, il avait été mauvais en Allemagne. L'Espagne a eu une chute de l'emploi de 30 % en moins d'un an, alors que la France pour l'instant a toujours sur l'année un taux de chômage qui a baissé. L'Angleterre a vraiment plongé ; au Danemark, la situation est aussi difficile.

L. Mercadet : Oui, mais l'Allemagne, pourquoi l'Allemagne ? Eux, ils se portent bien, alors qu'ils sont touchés par la crise comme tout le monde, ils ne sont pas sur la planète Mars !

Pour une raison, c'est que l'Allemagne, cela fait à peu près 7 ans qu'ils ont enclenché les réformes de fond. Donc ils ont fait un travail de fond depuis 7 ans, c'est ce que nous, on essaye aussi de faire et c'est une partie des réponses que je dois apporter : la réforme de la formation professionnelle, avec un service public de l'emploi qui soit plus efficace, mieux accompagner les demandeurs d'emploi. Sur tout ça, on a des progrès à faire et on a trop souvent mis la poussière sous le tapis.

C. Roux : Oui, ce que l'on se dit tous ce matin, c'est qu'elle a bon dos la crise. Cela vous permet de dire : bon le chômage c'est la faute à la crise, le pouvoir d'achat, c'est la faute à la crise, c'est ce que dit l'opposition d'ailleurs qui vous reproche...

Oui, et je vais vous dire clairement ce que j'en pense. Je trouve que c'est assez ridicule, parce que je pense que l'heure n'est pas aux polémiques politiciennes. La crise, elle est là depuis un an, elle a commencé à l'été dernier, apparemment il y en a certains qui le découvrent. C'est une crise d'une très grande ampleur, on voit très bien ce qu'elle génère, on voit très bien l'inquiétude qu'elle a sur l'opinion en France. Donc le but ce n'est pas d'essayer de l'instrumentaliser pour de la petite cuisine politicienne, c'est d'essayer de trouver des solutions concrètes et c'est ce que j'essaye de faire. Je ne dis pas que la crise a bon dos, on a et j'ai ma part de responsabilité. Il y a des choses qui relèvent de moi. Est-ce que les contrats aidés fonctionnent ? Est-ce que, quand vous poussez l'ANPE, cela s'améliore ? Est-ce que la formation professionnelle est plus efficace pour vous ? Ça c'est mon job et là-dessus je dois rendre des comptes.

C. Roux : Ce que dit aussi l'opposition, c'est une réflexion plus construite, elle dit, c'est la faute des heures sup, c'est-à-dire que le Gouvernement a fait le choix d'encourager les heures supplémentaires et non pas la création d'emplois. M. Aubry qui parle de fiasco dit que le Gouvernement a abandonné la lutte contre le chômage.

Ah, j'ai une petite suggestion, c'est si, plutôt que de raisonner en "c'est la faute à", on raisonnait en disant : voilà la solution que l'on vous propose.

C. Roux : Sur les heures sup, ce n'est pas totalement faux ?

Là-dessus, là encore, essayons d'être pratiques. En Espagne, l'intérim a plongé deux fois plus qu'en France, ils n'ont pas les heures sup. Nous, au contraire, on a eu une entrée dans la crise qui a été plus tard, notamment parce qu'on a eu tout ce plan de relance et y compris les heures sup. C'est toujours le vieux raisonnement, cela ne m'étonne pas d'ailleurs que ce soit M. Aubry qui le sorte. Vous savez que pour créer de l'emploi en France, il faudrait partager des parts de gâteau de plus en plus petites. Les 35 heures, oui, cela a eu un effet catastrophique sur l'emploi. Maintenant c'est derrière nous, ce qui m'intéresse c'est plutôt les propositions pour demain.

M. Biraben : On sait que les chiffres qui ont monté sont dus à l'intérim qui a plongé. Quel prochain secteur et quelles sont les tranches d'âge qui vont être touchées maintenant par le chômage ?

Ce qui me préoccupe beaucoup et qui est un peu un tabou en France, c'est notamment la situation des seniors, ceux qui ont au-delà de 50 ans et sur lesquels je trouve qu'on a organisé depuis vingt ans un massacre en laissant de côté du marché de l'emploi. Un autre point, c'est que, ce que je vais essayer de trouver, ce n'est pas seulement les secteurs qui vont plonger et les secteurs qui vont embaucher demain, parce qu'il ne vaut pas que l'on soit uniquement dans le fait de subir la crise. Par exemple, les emplois verts, qui sont un secteur où on va embaucher. Les emplois de services sur lesquels on est en train d'essayer de travailler pour les relancer. Ça ce sont des secteurs où on peut trouver les emplois de demain. Lundi, on était avec C. Lagarde sur Romainville ou 1 000 emplois avaient été détruits par Sanofi. En développant un réseau de PME dans le secteur des biotech, ils ont pu en reconstruire 1 200 en trois ans, ça c'est des bonnes solutions, c'est là-dessus qu'il faut travailler.

M. Biraben : Léon, vous avez une question.

L. Mercadet : Une question d'Inès sur ce qu'on fait de l'argent qu'on a, à la banque. Elle nous dit : mais dites, on est couvert jusqu'à 70 000 euros, l'Etat garantit 70 000 euros, mais pas plus. Donc ce qui est au dessus de 70 000, on le retire ou pas ?

Alors très bonne question d'Inès. Il y a un système d'assurance qui existe, indépendamment de l'Etat qui vous garantit que quoi qu'il arrive, même si l'Etat ne fait rien de 70 000 euros, ce qu'a dit le Président, c'est qu'on garantissait la totalité, y compris au-delà.

L. Mercadet : Y compris au-delà des 70 000, d'accord.

C. Roux : Une dernière question, on apprend dans les Echos, c'est-à-dire, on le savait, mais les Echos en font un papier ce matin, qu'il va y avoir une baisse des allègements de charges aux particuliers qui emploient des salariés à domicile, ce n'est pas une bonne nouvelle ça, pour le secrétaire d'Etat à l'emploi, cela va encourager le travail au noir.

Non, au contraire, le secteur, quand vous employez quelqu'un à domicile, est très aidé, le but c'est au contraire de le conforter. Mais ce que je voudrais c'est qu'on le conforte à travers un deuxième plan sur le service à la personne. Ça c'est des allègements de charges d'ailleurs, personne ne le sait, qui sont relativement peu utilisées, peu lisibles. Je préfère un plan qui soit très clair sur les allègements de charges pour le service à la personne. On va lancer ça, c'était prévu pour la fin de l'année, je souhaite l'avancer, pour que dès octobre on puisse avoir une avancée sur les services à la personne.

C. Roux : A cause de la hausse du chômage, parce qu'il y a urgence ?

Oui, parce que cela suppose de réagir.

M. Biraben : On va passer maintenant au "J'aime, j'aime pas". Vous nous dites si vous aimez ou si vous n'aimez pas. J'aime, j'aime pas la pétition des salariés d'Alcatel Lucent pour que S. Tchuruk et P. Russo rendent leur golden parachute ?

Je la comprends !

M. Biraben : Vous aimez ?

Eh bien oui, je comprends cette pétition, voilà, cette histoire des golden parachute, c'est un vrai problème. On ne peut pas avoir quelqu'un qui part, en ayant sabré une entreprise et en plus en touchant le pactole.

M. Biraben : Donc vous soutenez ?

C. Roux : J'aime, j'aime pas J.-M. Rouillan, au NPA, Nouveau Parti anti capitaliste d'O. Besancenot ?

Heureusement que vous m'avez développé le sigle.

C. Roux : J.-M. Rouillan, ancien co fondateur d'Action directe, groupe armé.

J'aime pas. D'abord, la politique elle se fait autrement qu'avec des pistolets ou de l'action terroriste. Et puis surtout, je ne vois jamais les propositions constructives et ça pour moi c'est le repère. Quand on fait de la politique c'est pour essayer de faire bouger les choses, ce n'est pas pour juste être dans une posture de dénonciation.

M. Biraben : Un point de vue d'homme sur une femme, pour finir. J'aime, j'aime pas S. Palin ?

Elle me déconcerte. Personnellement, je ne me vois pas tuer du grizzli en Alaska. Je suis vraiment engagé au côté d'Obama à titre personnel. Je l'ai rencontré aux Etats-Unis, c'est quelqu'un pour qui j'ai beaucoup d'admiration. Et je pense qu'il ferait beaucoup de bien aux Etats-Unis. Mais c'est un point de vue très personnel et pas du tout, en tant que membre du Gouvernement !

M. Biraben : C'est assez rare, effectivement d'entendre un membre du Gouvernement s'exprimer sur les élections américaines. Merci beaucoup d'avoir été avec nous.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 octobre 2008