Entretien de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, dans "Le Parisien" du 8 mars 2009, notamment sur l'égalité hommes-femmes, sa place à l'UMP et sur la défense des droits de l'homme.

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Circonstance : Journée de la femme, le 8 mars 2009

Média : Le Parisien

Texte intégral

Q - En cette Journée de la femme, à la Conférence internationale sur les femmes organisée par la présidente libérienne Ellen Johnson-Sirleaf, est-il plus difficile, pour les femmes, d'assumer leur statut quand la crise économique est aussi violente qu'aujourd'hui ?
R - L'égalité hommes-femmes ne devrait plus être un sujet de discussion. Elle devrait être une évidence au regard de tous les combats menés ces dernières décennies pour les droits des femmes. Mais, crise ou pas crise, les faits sont là, têtus. Le taux de chômage des jeunes femmes de moins de 25 ans est supérieur de deux points à celui des jeunes hommes. L'écart de rémunérations entre hommes et femmes est, en moyenne, de 19 %. Et 80 % de ceux qui n'ont qu'un travail à temps partiel sont des femmes. Et ces chiffres datent d'avant la crise. Or, quand la crise est là, les femmes sont les plus vulnérables, les premières frappées.
Q - La parité reste-t-elle une priorité ?
R - Oui. La loi sur la parité a permis, certes, de faire pas mal de progrès. Mais on est encore loin du compte. Alors que la France compte 53 % d'électrices, il n'y a que 18 % d'élues à l'Assemblée nationale et 21 % au Sénat.
On peut donc considérer que les partis politiques qu'il s'agisse des femmes, des jeunes, des personnes issues de la diversité sont conservateurs. Ce sont toujours les mêmes catégories qui sont exclues d'un champ politique très compétitif qui, au fond, met du temps à s'habituer à ces minorités. Pourtant, elles sont statistiquement majoritaires.
"Je suis une militante UMP et l'UMP est, à ma connaissance, un parti de droite".
Q - Approuvez-vous le projet de loi sur le statut des beaux-parents qui ouvre la voie à la reconnaissance de l'homoparentalité ?
R - D'abord, ce projet était un engagement du candidat Nicolas Sarkozy pour reconnaître des droits et des devoirs aux adultes qui élèvent des enfants qui ne sont pas les leurs. Ensuite, ce texte ne crée pas un statut rigide du beau-parent : il porte sur l'autorité parentale et le droit des tiers. Il ne peut donc être réduit à un débat sur l'homoparentalité. Enfin, en ce qui me concerne, j'ai un principe intangible : l'intérêt supérieur de l'enfant. Et ce texte le prend en compte. Sur ces questions de société, je suis, pour le reste, toujours très prudente, et je veux toujours me garder du feu des passions qui s'expriment. Car, très vite, on arrive à des mots excessifs, à des jugements à l'emporte-pièce. Donc, oui, je soutiens évidemment ce texte.
Q - A l'heure de la crise, craignez-vous en Europe une poussée de la xénophobie et un repli dit identitaire ?
R - Il faut être très vigilant pour éviter que les divisions ne l'emportent sur l'esprit de solidarité. Toute crise recèle le danger d'un repli sur soi.
Nous sommes donc aujourd'hui en face d'un choix décisif : soit nous cédons à la peur et à la fuite dans le chacun pour soi, soit nous faisons le choix du courage et de la solidarité. Comme président de l'Union européenne au moment où la crise a éclaté, Nicolas Sarkozy s'est battu pour donner à l'Europe une nouvelle cohésion, pour que nous ayons le plus possible des réponses coordonnées. Il s'agit d'éviter que les angoisses, les souffrances sociales nourrissent les extrémismes. Il faut retenir les leçons de l'histoire : les crises économiques provoquent souvent des crises politiques. Mais la France a les ressorts pour surmonter cette épreuve.
Q - Comprenez-vous l'émotion des Chinois en découvrant que deux bronzes qui, historiquement, leur appartenaient, avaient été mis aux enchères à Paris dans le cadre de la vente Bergé-Saint Laurent ?
R - L'histoire, c'est souvent l'histoire des mémoires blessées ou mal cicatrisées. Les Chinois gardent le souvenir de la mise à sac du palais d'été le Yuanming Yuan en octobre 1860. En plus, ils sont attachés comme nous à leur patrimoine culturel. Alors, que vous dire ? Au moins ceci : sur le plan de la vente aux enchères, la justice a tranché et, pour le reste, nous, gouvernement français, nous n'avons été saisis d'aucune demande officielle du gouvernement chinois.
Q - Ne regrettez-vous pas d'avoir refusé d'être candidate aux élections européennes ?
R - La décision a été prise. Il faut maintenant se concentrer sur les défis collectifs. Mon cas personnel n'a pas d'importance.
Q - Quel est l'état de vos relations politiques avec le chef de l'Etat ?
R - J'ai toujours la même loyauté, la même admiration pour lui, la même sincérité. Je suis constante, vous savez, dans mes engagements comme dans mes convictions.
Q - Pour certains, la défense des droits de l'homme est un luxe pour temps de croissance...
R - Cette crise est aussi une crise morale. Par conséquent, on ne s'en sortira que par les valeurs. Les droits de l'Homme par un temps pareil ne sont pas un luxe. Plus que jamais ils sont nécessaires. Tous les dérèglements qu'on a constatés, les paradis fiscaux, les bonus, les stock-options... tout cela relève de l'absence de règle, de déontologie, de principes.
Et la réponse à cette situation, c'est le rétablissement des principes, des valeurs, des règles, d'une certaine moralisation. Les droits de l'Homme, ce sont aussi les droits économiques et sociaux que le gouvernement s'efforce de promouvoir pour renforcer l'esprit de justice. Ma réflexion aujourd'hui, c'est : comment peut-on, à travers les droits de l'Homme, améliorer le système financier international ? Les droits de l'Homme sont un vecteur de moralisation du système financier international.
Q - Etes-vous de droite ?
R - Pourquoi me posez-vous cette question ? Je suis une militante UMP, et l'UMP est, à ma connaissance, un parti de droite. Cela dit, la défense des droits de l'Homme n'est pas un combat de gauche ou de droite. C'est un combat pour une certaine idée de la France.
Q - A quelles figures de femmes pensez-vous en cette journée ?
R - Il y en a tant. Je veux en évoquer deux, qui sont de véritables combattantes, des femmes debout. Je pense à Marguerite Barankitse, une Burundaise, une Tutsi qui, pendant les massacres de 1993, a refusé, même avec un revolver sur la tempe, de livrer des enfants hutus et qui, depuis, les a tous adoptés. Et puis j'ai en tête Malalaï Kakar, cette policière afghane qui a été assassinée en septembre sous les yeux de ses deux garçons, à Kandahar.
Ce sont toutes deux des femmes méconnues qui ont repris le flambeau du féminisme, et qui méritent qu'on leur rende un singulier hommage.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mars 2009