Texte intégral
J.-J. Bourdin.- C. Albanel, bonjour.
Bonjour.
Est-ce que vous avez déjà téléchargé illégalement ?
Jamais.
Jamais ! Alors, ceux qui téléchargent illégalement sont des voleurs ?
Non, ce sont des petits pirates occasionnels qui n'ont pas le sentiment de faire une chose bien grave parce qu'ils se disent : « je prends juste un petit bout de musique », quelquefois un film. Mais enfin maintenant, je crois que depuis que le débat est vraiment engagé, quand même, je crois qu'il y a une prise de conscience progressive et le projet de loi c'est ça.
Nous allons entrer dans ce projet de loi et je vous poserai des quantités de questions. Je vais demander aux auditeurs de RMC de préparer leurs questions eux aussi. C. Albanel, vous créez d'abord une Haute autorité, hein.
Oui.
C'est le premier point important de ce projet de loi parce que cette Haute autorité elle aura des décisions à prendre. Cette Haute autorité est composée de juges. Elle sera mise en place quand ?
Elle sera mise en place dès que la loi sera promulguée, le temps de prendre le décret d'application, peut-être avant l'été.
Elle protègera les droits, si j'ai bien compris.
Oui, elle protégera les droits parce que je crois qu'on oublie tout le temps qu'il y a derrière, derrière tout ce débat, il y a des artistes effectivement, des créateurs, des musiciens, des cinéastes, des gens qui s'engagent et qui actuellement subissent un véritable tsunami parce que 50 % d'effondrement de l'industrie musicale qui est composée de petites PME de moins de 20 personnes pour 99 % d'entre elles, c'est vraiment... c'est très lourd, c'est très grave.
Qui pourra saisir cette Haute autorité ?
Ce sont les sociétés d'auteurs. Les sociétés qui défendent les auteurs iront sur les sites et ensuite saisiront la Haute autorité après avoir relevé les adresses IP, et la Haute autorité demandera aux fournisseurs d'accès Internet les données strictement nécessaires, c'est-à-dire nom et adresse, des contrevenant pour, en fait, envoyer...
... de ceux qui téléchargent illégalement.
Voilà ! Et pour se mettre...
... elle va pouvoir sanctionner.
Non, elle va d'abord de la pédagogie, parce que c'est bien ça l'essentiel.
Oui, oui, mais enfin, c'est...oui...
Oui, mais ça va prendre pas mal de temps, c'est-à-dire envoyer un mail en disant, « attention ».
D'abord, on envoie un mail.
On envoie un mail, on envoie un deuxième mail.
Un deuxième mail.
« Attention, vous téléchargez vraiment, etc. », on envoie une lettre recommandée ensuite à l'abonné pour dire que réellement, là il y a un vrai problème, et ce n'est qu'après qu'il peut y avoir en effet une suspension d'Internet, prononcer une suspension d'accès à Internet dans un dialogue d'ailleurs avec l'internaute qui peut être de, je ne sais pas moi, deux, trois semaines. Enfin, c'est pas quelque chose... ça peut être plus long, éventuellement si il y a beaucoup de mauvaise volonté, mais c'est une suspension brève de l'accès à internet.
Passera-t-on par un juge pour accéder aux données personnelles des internautes ?
Il n'y a pas du tout besoin de passer par un juge, ça va être justement des juges de la Haute autorité qui vont le demander aux fournisseurs d'accès à internet.
Donc, la justice n'interviendra pas.
C'est-à-dire, vous pourrez toujours avoir recours à un juge, si par exemple vous jugez que votre suspension est injuste, vous avez tout le temps la possibilité d'avoir recours à un juge et de contester, bien sûr, la procédure. Mais, c'est une autorité administrative. De même que vous avez, je sais pas quoi, le Conseil de la concurrence, vous avez tout le système de retrait de points pour les permis de conduire, par exemple, ce sont les autorités administratives, et ça sera la même chose.
Donc, si j'ai bien compris, je pourrais avoir ma connexion... ma connexion uniquement Internet supprimée ?
Uniquement la connexion...
... si j'ai en même temps la télé, le téléphone, Internet, que se passet- il ?
Eh ben, vous n'aurez que l'accès Internet suspendu. Ca, ça été précisément signé, je rappelle que le projet de loi il s'appuie sur les accords signés par tout le monde, les fournisseurs d'accès Internet, les sociétés d'auteurs, etc., et on peut parfaitement techniquement suspendre le seul accès à internet. Ca demande évidemment un petit peu de temps, ça demande des investissements, et j'ajoute que de toute façon la Haute autorité a la possibilité dans les cas où c'est vraiment impossible, de demander qu'on mette des logiciels pare-feux, c'est-à-dire ce que mettent beaucoup d'entreprises, vous savez, sur leurs ordinateurs, c'est-à-dire des logiciels qui empêchent des salariés d'aller jouer, je ne sais quoi, de partir sur internet. Il y a plusieurs possibilités, si vous voulez, qui sont des réponses.
Donc, ce sont les fournisseurs d'accès qui devront faire la police, en quelque sorte...
Non, pas du tout !
...Qui devront couper uniquement Internet et non pas le téléphone ou la télévision. On est bien d'accord ?
Oui, mais ils ne font pas la police, en fait ils se contentent d'appliquer des décisions prises par d'autres.
Techniquement, d'appliquer techniquement, hein, C. Albanel.
Techniquement, en effet, oui, c'est ça exactement.
Mais ça va leur coûter cher ça.
Oui, mais ça on est en train... on va en discuter, il y a des appréciations...
... vous allez en discuter, ce n'est pas discuté ça encore. Il y a des appréciations...
... qui va payer ?
Justement, nous allons en discuter avec eux.
Qui doit payer ?
Non, on va s'arranger.
Qui va payer, qui doit payer, C. Albanel ?
D'abord, je précise que les fournisseurs d'accès à Internet, ce n'est pas des investissements énormes, ils seront faits une fois pour toutes...
...entre des dizaines de millions d'euros, quand même.
Non, non, non.
Non ? Ben, c'est ce qu'ils disent.
Le maximum qu'on évalue...
... Free nous parle de 30 millions.
Le maximum qu'on évolue pour Orange qui représente la moitié à peu près du marché, c'est un maximum de 10 millions d'euros.
Ah bon !
Pour pouvoir répondre à toutes les demandes, très rapidement et de manière automatique aux demandes faites par la Haute autorité et pour pouvoir s'adapter dans la cadre du triple play. Donc, on va discuter de tout ça. Je fais remarquer que les fournisseurs d'accès à Internet vont récupérer beaucoup de bandes passantes parce que le piratage mange, entre guillemets, beaucoup, beaucoup de bandes passantes. Je veux dire qu'il y aura aussi un intérêt pour eux à s'engager dans ce processus dont je veux dire vraiment qu'il est très pédagogique, et qu'il est très mesuré, et qu'il s'accompagne d'une offre légale beaucoup plus importante.
Mais pourquoi adopter une loi contre le téléchargement illégal ? Ca, alors, là, c'est la question que tout le monde se pose. Pourquoi est-ce qu'en France on est toujours obligé de passer par la loi ?
Parce que c'est une... il y a énormément.
... parce que les professionnels n'ont pas pu s'entendre ?
Si, ils se sont entendus puisque justement ils ont signé, on a 47 signatures qui représentent toutes les parties. C'est bien différent d'il y a quelques années où vous aviez la musique contre le cinéma, les fournisseurs d'accès à Internet contre tout le monde, tout le monde a signé. Mais ils ont signé parce qu'on est en France avec une intervention de l'Etat, et ça c'est quelque chose qui a mis tout le monde d'accord, le fait que à un moment donné...
Ils ont signé sur le dos des internautes, quoi !
Non, ils n'ont pas signé sur le dos des internautes, ils ont signé un engagement. Pourquoi ? Parce que aujourd'hui les fournisseurs d'accès à Internet ils ont intérêt aussi à s'entendre avec les producteurs de contenus, et on voit bien qu'il y a des intérêts communs. J'observe qu'il y a énormément de pays où il y a effectivement des accords directs qui sont passés entre les fournisseurs d'accès...
... ben oui ! C'est la très grande majorité même, pas énormément, c'est la très très grande majorité.
Vous savez, pour les internautes il n'y a pas forcément de gains extraordinaires. In fine, ils ont aussi dans certains pays une suspension d'abonnement et il n'y a aucune confidentialité des données, c'est-à-dire que quand c'est juste le fournisseur d'accès avec les sociétés d'auteurs, eh ben leurs données, tous les renseignements circulent librement.
Mais je ne comprends pas pourquoi on n'arrive pas en France à confier la lutte contre le téléchargement illégal aux fournisseurs d'accès et aux acteurs culturels. Moi, je ne comprends pas.
Parce que les fournisseurs d'accès n'ont pas envie en France....
...est-ce que vous comprenez, vous, C. Albanel, franchement ?
Parce que les fournisseurs d'accès, spécialement en France, n'ont pas envie justement de faire la police. Ils n'ont pas envie... ils préfèrent appliquer des décisions prises, ils sont conscients des enjeux et c'est pour ça qu'ils sont rentrés dans la discussion. Ils veulent avoir des... ils ont besoin de contenus, donc ils ont des bonnes relations avec évidemment les auteurs, les producteurs, etc., mais ils n'ont pas envie de faire la police eux-mêmes, et ça je les comprends. Donc, on assume, et faire la police... moi, je crois que c'est vraiment une démarche de responsabilité. Je crois que, vous savez les jeunes ils comprennent très bien...
...enfin, non, pas, les internautes pas vraiment, on ne peut pas dire, C. Albanel, non ?
Non, écoutez, vous savez, il ne faut pas non plus exagérer...
...ah bon, d'accord ! Les internautes sont d'accord.
... l'importance de certains groupes très, très agissants qui sont en train d'inonder la terre entière de messages, etc., dans la blogosphère. Je crois qu'il ne faut pas trop exagérer les choses. Quand il y a autant de films téléchargés par jour illégalement que d'entrées en salle, c'est-à-dire 450.000 à peu près, on voit qu'il y a un vrai, vrai problème.
Enfin, pour l'instant, ça ne gêne pas le cinéma, apparemment.
Si, bien sûr, que ça gêne !
Parce que les chiffres sont bons là, quand même.
Oui, mais pourquoi ? Parce que on sait bien qu'il y a eu « Les Ch'tis », on a eu de très bons résultats cette année...
Enfin, même depuis janvier.
...Dont « Les Ch'tis ». Mais les chiffres seraient sans doute encore bien meilleurs s'il n'y avait pas ce piratage. On est les champions du monde, vous savez, de piratage. On pourrait se passer de ce titre, franchement.
C. Albanel, on est aussi le champion du monde du nombre de lois votées et pas appliquées, avec des décrets qui ne sortent jamais, ça vous le savez.
Oui, vous verrez que celle-ci sera appliquée, et encore une fois de façon mesurée, modeste, et pédagogique.
Bon ! Alors, j'ai une autre question, C. Albanel, est-ce que vous allez supprimer la taxe sur les CD et DVD vierges ?
Alors, comme je ne suis pas encore présidente de l'Europe demain matin, je ne peux pas vous dire que je vais la supprimer. Ce qui est sûr, bon, il y a eu aujourd'hui une victoire de la France, en effet, sur la TVA restauration. Il est sûr...
...Vous savez, attendez ! Les CD et DVD vierges sont taxés pour protéger la création en France.
Oui !
Oui !
Oui, et alors ?
Alors, vous allez supprimer cette taxe ?
Ah non, non, ah, excusez-moi...
Ah, voilà !
...Je pensais qu'on parlait de la TVA, pardon, excusez-moi.
Ah ! voilà, moi je ne parlais pas de la TVA, non, non, non, je parle de cette taxe-là.
Ah non, non, non, ça c'est une taxe justement sur la copie privée, donc ça, je veux dire on ne peut pas... c'est logique, quand les gens font des copies privées pour eux-mêmes, que quand même il y ait un petit quelque chose qui revienne aux auteurs et aux créateurs, c'est logique.
Donc, on ne supprime pas cette taxe.
Non, elle est minime.
Remarquez, une taxe supprimée ça n'existe pas.
On ne sait pas, dans l'avenir !
Oh, oui, enfin, bon ! C. Albanel est notre invitée ce matin. Nous vous retrouvons dans deux minutes...
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 mars 2009