Interview de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, à I-Télé le 16 mars 2009, sur le projet de loi internet et création, la protection des droits d'auteur et le téléchargement illégal.

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Média : Itélé

Texte intégral

 
 
 
 
 
 
L. Bazin.- Notre invitée politique ce matin, C. Albanel, ministre de la Culture et de la communication. Ça chauffe autour de votre loi Internet et Création, c'est le moins qu'on puisse dire. La semaine dernière, à l'Assemblée, la gauche dénonçait un texte répressif et régressif, vous avez répondu et dénoncé ceux qui font passer la Haute autorité, que vous considérez comme respectable, constituée de magistrats, pour une antenne de la Gestapo.
 
Non, c'était un mot malheureux, c'est un mot malheureux. Ce que je voulais simplement dire, c'est qu'il y avait des caricatures que je trouvais vraiment excessives, pas très honnêtes, tendant à faire passer ce qui va être une Haute autorité composée de magistrats, qui va avoir un rôle essentiellement pédagogique quand même - c'est-à-dire, accompagner l'offre légale d'un côté, et puis, envoyer des mails d'avertissement, un, puis deux, puis une lettre recommandée avec un long processus, qui est vraiment un processus pédagogique, et qui, avec, in fine, mais vraiment c'est in fine, in fine, une suspension de l'accès Internet, et encore, une brève suspension - pour une espèce d'organe anti-jeunes, policier, etc. C'est ça...
 
"Big brother"...
 
C'est ça que j'ai voulu dénoncer, de façon peut-être...
 
"Big brother", voilà, ce que vous dites...
 
Ce n'est pas du tout "Big brother", on n'est pas du tout dans "Big brother", absolument pas, il n'y a absolument pas de surveillance généralisée des réseaux. Tout ce qu'on entend est absolument faux.
 
Alors, vous avez entendu ce qu'a dit J. Attali, vous l'avez lu sans doute dans L'Express ?
 
Mais J. Attali est un opposant de la première minute à cette loi...
 
Oui, mais avec quels mots : "pour une fois qu'on peut fournir quelque chose gratuitement à la jeunesse, on préfère engraisser les majors de la musique et du cinéma devenus cyniquement, consciemment, les premiers parasites de la culture.
 
Moi, je trouve que c'est vraiment quelque chose qui est tout à fait faux, d'une part, et qui est complètement démagogique d'autre part, c'est-à-dire, d'abord, c'est faux, parce que, par exemple, dans la musique, s'il y a 99% de PME, c'est-à-dire que ce sont des petites boîtes de moins de vingt personnes, ce sont elles qui plongent, il y a eu 50% d'effondrement de la filière musicale au cours des deux dernières années, et vraiment, l'angoisse, elle est partout, elle est dans tous les milieux du cinéma, y compris dans l'animation, le court-métrage ; absolument pas, ce n'est pas du tout les majors, c'est aussi tous les petits indépendants, d'ailleurs, ils se font entendre partout, il y a eu 10.000 signatures la semaine dernière...
 
Et il n'y a pas si longtemps, c'était P. Devedjian, qui était ministre de l'Industrie en 2003, et qui disait : "l'industrie du disque, elle n'a que se sauver elle-même parce que globalement, elle n'a rien fait de ce qu'on pouvait faire pour se sortir de là". P. Devedjian...
 
Oui, bien sûr, mais enfin, les choses... on n'est plus en 2003, on est en 2009. Depuis, il y a eu d'énormes efforts qui sont faits, il y a eu une prise de conscience, il y a de l'offre légale intéressante, il y a des sites où vous pouvez écouter de la musique en streaming autant que vous voulez, vous avez des systèmes d'abonnement d'offre légale vraiment pas chers, pour des millions de titres. Je trouve qu'il y a beaucoup d'efforts qui sont faits. Et on va aller encore plus loin. Donc je trouve que c'est quand même assez faux et c'est très démagogique, parce que...
 
Vous dites que c'est un mauvais procès, voilà ce que je comprends...
 
Voilà, parce que dire que ça doit être gratuit, parce que c'est sur Internet - c'est-à-dire qu'on peut exproprier au fond les artistes, les musiciens, etc., parce qu'on est sur Internet -, mais alors, je ne sais pas, allez dans les librairies, servez-vous, entrez dans les cinémas gratis, il n'y a pas de raison de s'arrêter. Je veux dire, pourquoi avoir cette idée que la culture, parce qu'elle est sur Internet, est gratuite ! Non, je pense qu'il faut maintenant trouver un équilibre où il y a d'un côté la liberté sur Internet, c'est important, et puis, il y a quand même une façon de rémunérer tous ceux qui sont derrière, les chanteurs, les musiciens, etc., parce que, autrement, eh bien, vous savez, ça va disparaître, c'est tout simple.
 
Il y a une forme de piège autour de cette loi qui est en train de se refermer, on le sent bien dans ce débat, est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux retirer la copie et en discuter, on pose rituellement la question à tous les ministres de ce Gouvernement ?
 
Vous savez, je crois que ce n'est pas du tout un piège qui est en train de se refermer, c'est une loi qui n'est pas une loi imposée par le Gouvernement, elle est issue d'accords interprofessionnels, c'est-à-dire, ce sont les accords menés par D. Ollivennes, qui ont réuni tous les fournisseurs d'accès Internet, les télévisions, toutes les sociétés d'auteurs et tout le monde, il y a eu 47 signataires de l'ensemble du secteur, y compris les fournisseurs d'accès Internet qui ont signé ceci...
 
Vous ne répondez pas à ma réponse, vous n'envisagez pas un retrait une seconde ?
 
Non, pas du tout, eh bien écoutez, non. C'est à partir de tout ça, à partir d'accords interprofessionnels, tout le monde était d'accord, qu'on a élaboré une loi et qu'on a beaucoup travaillé. Donc je crois que c'est une bonne loi, je peux vous dire qu'elle est très attendue, que partout où je vais, que ce soit aux Césars, partout, au Midem, tout le monde me dit : mais alors, est-ce que ça arrive, parce qu'il y a une angoisse énorme du secteur, et d'ailleurs, les gens s'expriment de tous côtés, vous avez pu voir les appels, y compris avec des gens... Quand vous avez T. Dutronc, Juliette, etc., qui sont à gauche, et qui signent et qui disent : on soutient la loi, et que vous avez le Sénat, vous avez tous les socialistes au Sénat qui votent la loi, avec des gens comme C. Tasca, vous avez J. Lang qui soutient la loi, vous pouvez quand même vous dire que peut-être, cette loi est utile.
 
Ça veut dire qu'on abandonne complètement l'idée d'une TVA à 5,5 sur le disque ?
 
Ah mais non, pas du tout, c'est un combat, et c'est le combat qui est déjà lancé. On a déjà obtenu donc sur la restauration, ça veut dire qu'on peut obtenir évidemment des TVA à 5,5, qu'il faut absolument l'obtenir...
 
Même si les Allemands ont dit : attention, cette affaire de TVA sur la restauration, c'est la Der des Ders, c'est terminé, après, plus...
 
Eh bien écoutez, ils l'avaient déjà dit avant, mais il faut vraiment se battre, parce qu'il y a beaucoup de pays européens aujourd'hui qui pensent comme nous qu'il faut que les disques soient moins chers, et le meilleur moyen, c'est une baisse de la TVA.
 
Je reviens sur le climat du moment, les accusations qui ont volé contre votre loi, et encore une fois, "liberticide", "régressive", "répressive". Comment vous jugez, vous, la polémique autour du film « Welcome » ?
 
Je crois que justement c'est une polémique. C'est un film émouvant- moi je ne l'ai pas encore vu, j'ai envie d'aller le voir - c'est un film émouvant, parce que dès que ces problèmes... évidemment que ce sont des problèmes terribles qui s'incarnent, un jeune qui veut passer en Angleterre absolument, avec cette vie tellement dure et tellement... bon, tellement éprouvante et dure, voilà. En même temps, la polémique, ça a été certaines comparaisons avec les Juifs de l'Occupation...
 
La polémique, oui, c'est ça, c'est les sans-papiers aujourd'hui, ce sont les Juifs en 43...
 
Oui, et ça, c'est vraiment... moi, là, je comprendrais très bien que... là, on est complètement dans l'excès, et vraiment, je trouve que ce n'est pas très... ce n'est pas le sujet, ce n'est pas le sujet. Le sujet c'est les migrants, c'est la différence entre le Nord et le Sud, c'est cette situation où effectivement...
 
Donc laisser le cinéma où il est, c'est ça, même si le cinéma veut porter une parole comme celle-là ?
 
Je trouve que le cinéma doit être du cinéma vérité. Quand vous allez voir les films de Ken Loach, vous voyez effectivement une vérité à un moment donné d'un état de la société, avec des problèmes de société très lourds qui se posent, et je pense qu'on ne peut qu'être ému et probablement être en situation d'empathie. Pour autant, évitons les amalgames, évitons les comparaisons avec des réalités qui n'ont rien à voir...
 
Le patron du groupe socialiste, J.-M. Ayrault, veut projeter « Welcome » à l'Assemblée le 18...
 
Ecoutez, je crois qu'on peut toujours projeter « Welcome », mais bon, il ne faut pas que... je souhaite simplement... c'est un beau, certainement un très beau film, et tous les gens qui l'ont vu me l'ont dit, et je vais le voir, je sais que V. Lindon y est absolument remarquable, P. Lioret...
 
Il est passé à l'Assemblée nationale la semaine dernière, V. Lindon...
 
Oui. P. Lioret est un grand réalisateur, et « Je vais bien, ne t'en fais pas », c'est un très beau film, pour autant, n'en faisons pas une opération de récupération politicienne, ça serait quand même très dommage...
 
Ce gouvernement n'est pas liberticide, comme dit la gauche ?
 
Non, je crois que ce gouvernement n'est évidemment pas du tout, du tout, du tout liberticide, par contre, par exemple, dans mon secteur, il se soucie des droits des artistes.
 
Les droits des artistes autour de cette loi. On en reparlera dans quinze jours, puisqu'il y a un gap, comme on dit, de quinze jours maintenant...
 
Et voilà, alors, suite à la réforme institutionnelle, il y a un arrêt maintenant effectivement au Parlement, et puis, nous allons reprendre.
 
Très bien. Nous aussi, on s'arrête pour le rappel des titres. Et puis, on va reprendre, on va parler du Salon du livre, et puis, vous entendrez ce qui s'est dit ce matin sur les autres antennes. A tout de suite.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 16 mars 2009