Texte intégral
M.-O. Fogiel - Vous êtes le président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA. Vous êtes également producteur de lait en Ille-et-Vilaine. Hier, en déplacement dans le Maine-et-Loire, N. Sarkozy a tenté de rassurer le monde agricole en lui promettant une modernisation offensive. Il anticipe donc la réforme de la Politique agricole commune, qui est prévue en 2013 et qui inquiète les agriculteurs. On va y venir, très concrètement, mais est-ce qu'il a réussi à vous rassurer, N. Sarkozy ?
Le Président a tenu un discours volontaire, mais les mots ne suffisent pas, parce qu'il faut aussi des actes. Je ne vais prendre qu'un exemple. Sur les marchés, il dit "la toute puissance du marché est une idée folle", et en même temps, même sous la présidence française, on n'a pas pu faire avancer nos partenaires sur le fait que, effectivement, les marchés tels que nous les vivons, avec des prix qui peuvent augmenter de plus de 50 % et qui baissent trois mois plus tard des mêmes pourcentages, c'est une situation intenable. Donc...
Donc, vous voulez des actes, et pas des mots ?
Il y a un aspect volontaire, c'est un discours que le Président tient et qui n'est pas totalement nouveau, mais il va falloir convaincre sur le plan européen si on veut nous rassurer.
On va être très concret pour les auditeurs qui nous écoutent, et qui ne connaissent pas votre problématique. Les 27 pays membres de l'Union européenne, ont adopté dans la douleur, le réaménagement de la PAC, en novembre, à Bruxelles, réaménagement qui prendra effet en 2013. C'est donc une redistribution des aides européennes. La France est le pays qui profite le plus des subventions. Aujourd'hui, vous avez beaucoup à perdre ?
Disons que, ce qu'il faut pour ne pas craindre, c'est que les chefs d'Etat et de gouvernements s'engagent sur une ambition européenne sur le plan agricole. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que, ou on choisit l'indépendance alimentaire de l'Europe, la sécurité alimentaire, ce que nous souhaitons, et auquel cas, il y aura évidemment une politique agricole qui nous permettra de remplir cette mission de nourrir la population européenne. Ou alors on dit : il y a des produits que l'on peut trouver moins chers ailleurs, en Amérique latine, en Océanie et ailleurs, et auquel cas, on va totalement ébranler le modèle agricole européen, qui est fait d'exploitations familiales, de dimension modeste, contrairement...
Mais vous avez peur, ce matin ? Vous craignez, vous avez peur ? Est-ce que le monde agricole a peur ce matin ?
Oui, à court terme même, le monde agricole a peur, parce qu'avant même les séances de 2013, dont parle le président de la République - et il a raison -, il y a déjà des redistributions qui vont se faire à partir de 2010. Et c'est vrai que le Salon de l'agriculture va s'ouvrir sur fond d'inquiétude. J'allais dire, une double inquiétude. L'inquiétude de ceux qui ont peur de perdre une partie de leurs aides, et pourtant, il faut que les aides évoluent, je pense qu'il faut soutenir davantage la production...
Bio, j'imagine ?
...De l'élevage à l'herbe, l'agriculture biologique. Et en même temps, il y a aussi une inquiétude sur le plan des marchés, parce que quand on voit la situation du prix de la viande, pour les producteurs - je ne dis pas pour les consommateurs, malheureusement, je dis bien pour les producteurs -, il y a une inquiétude sur le revenu. Le revenu des agriculteurs a baissé de 15 % en 2008. Je crois qu'il y a cette inquiétude à court terme et évidemment, pour l'avenir.
Hier, on expliquait très clairement sur cette antenne qu'il y a les gagnants et les perdants. On prend aux céréaliers en France, pour donner aux éleveurs et maraîchers. Il y a eu des distensions au sein même de votre organisation. M. Barnier arbitrera lundi. C'est un sujet très chaud, ça, prendre aux uns pour donner aux autres, parce qu'il y en a qui gagnent plus que d'autres ?
Il faut être honnête, c'est un sujet chaud, même au sein de la FNSEA. Mais les céréaliers savent qu'ils vont devoir participer au rééquilibrage, en direction de l'élevage notamment...
Mais, il n'y a pas de solidarité du monde agricole ? On ne serre pas les coudes, manifestement.
Si, si, si. Je pense que, bon, il y a des propos, c'est comme dans toutes les professions. Je pense que chacun a de bonnes raisons de défendre ses arguments. Moi, ce que je souhaite faire, c'est que les décisions prises par le... En tout cas, j'insiste auprès du ministre, pour que les décisions qui seront prises, sauvent, protègent en tout cas l'unité du monde paysan, même s'il y a beaucoup de diversité. Mais ce qui est, au-delà, plus important dans cette décision, c'est qu'elle prépare, effectivement, 2013, qu'elle est légitime les aides publiques pour la profession agricole. C'est très important de montrer à l'opinion publique que les aides qui sont servies à l'agriculture, elles ont leur légitimité.
Très bien. Alors, on a bien compris que le Salon de l'Agriculture ouvrait demain. On se souvient que l'année dernière, il y a eu le "casse-toi pauv' con", de N. Sarkozy. Là, est-ce qu'il vient dans un terrain un peu miné ?
Le terrain est celui de l'inquiétude que je viens d'évoquer. J'espère que l'on évitera la petite phrase ou les petites phrases, qui font que, après, c'est la seule façon de parler du Salon de l'Agriculture. Le Salon de l'Agriculture c'est plus important que ça. Ce qui est important, c'est que le Président, demain matin, s'arrêtera une dizaine de minutes, voire un quart d'heure, sur le Pôle Emploi, parce que l'agriculture, par les temps qui courent, c'est peut-être un des secteurs, sinon le secteur qui est le plus rassurant en matière d'économie pour notre pays, et notamment pour l'emploi.
Vous venez d'en parler, donc vous attendez beaucoup de choses de N. Sarkozy. Est-ce que vous vous sentiez mieux compris par J. Chirac que par N. Sarkozy, qui avait plus de sensibilité, quand il parlait notamment aux vaches ?
Je ne sais pas si c'est aux vaches qu'il faut parler, M.-O. Fogiel... Mais, c'est vrai que le Président Chirac montrait beaucoup plus de fibre agricole. Maintenant, ce qui est important, c'est la position du Président sur les dossiers agricoles. Je vais prendre là aussi qu'un seul exemple : quand le président dit : "l'Europe est faite pour protéger les Européens", je dis au Président : commencez par protéger les paysans européens.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 23 février 2009