Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "Europe 1" le 30 janvier 2009, sur la crise économique et le malaise social, la réforme dans la fonction publique et les chiffres du chômage.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Bonjour.

Personne ne devait plus remarquer de telles grèves. Celle-là vous l'avez bien entendue, bien vue ?

C'était une grève importante, il y avait beaucoup de gens dans la rue. En même temps, quand on regarde les choses, par exemple dans la Fonction publique, 3 fonctionnaires sur 4 étaient au travail, ne faisaient pas grève. Mais cela dit, c'est une grève importante, elle est aussi importante que beaucoup des grèves qui ont été...

Donc vous dites aux syndicalistes "il y a de la marge et qu'ils peuvent encore mobiliser davantage" ?

Non, je crois que c'est... il ne faut pas jouer ce jeu-là, ça ne sert à rien, il faut surtout s'écouter, il faut se parler, il faut essayer de se comprendre, c'est ça qui est important. On est dans un temps d'inquiétude immense, il faut se comprendre mais en même temps il faut être fort et garder son sang-froid.

Ce qui s'est passé hier traduit naturellement une attente. Comment vous interprétez, vous, le message qui vous a été adressé collectivement hier ?

Je crois que c'est un message... enfin d'abord de grande inquiétude, de mécontentement aussi par rapport au système en lui-même qui produit beaucoup de... Regardez, le président Obama se fâche par rapport aux bonus de je ne sais quel organisme financier ...

Wall Street.

C'est donc un sentiment de mécontentement, d'inquiétude, de... voilà, c'est tout ça qu'exprime la grève d'hier. Je ne crois pas que ça exprime un rejet de la politique du Gouvernement, je crois qu'il ne faut pas confondre les messages...

Donc ceux qui défilaient hier applaudissaient la politique du Gouvernement ?

Non, je n'ai pas dit ça non plus, je pense qu'il y a beaucoup de gens qui défilent pour des raisons extrêmement différentes. Quand vous êtes un militant politique, vous défilez d'une manière générale d'une façon politisée...

Et quand vous allez perdre votre travail...

Quand vous venez perdre votre travail, vous défilez parce que vous êtes mécontent, parce que vous êtes terriblement inquiet. Donc, il y a beaucoup de messages différents, beaucoup de messages différents. En tout cas, il faut les écouter et il faut je pense rentrer dans un dialogue de confiance avec l'ensemble de l'opinion publique parce qu'on est dans une situation qui nécessite beaucoup, beaucoup d'explications... On n'est pas muets parce qu'on explique beaucoup, mais on ne veut pas être sourds non plus.

Est-ce que c'est un malaise social qui va bien passer bientôt, un jour ou par lassitude, ou une crise sociale ?

Je pense que c'est une crise économique d'abord, ce n'est pas une crise sociale, c'est une crise économique et cette crise économique, elle ne doit pas devenir une crise sociale. Et pour ne pas devenir une crise sociale, il faut agir. Enfin, la meilleure réponse à l'inquiétude et au mécontentement, ce sont les plans de relance, c'est le plan de relance français, c'est donc des mesures concrètes d'actions qui permettent de sortir de cette crise... Parce que les plans sociaux, c'est l'emploi qui est la principale inquiétude, c'est le chômage.

Est-ce que le plan de relance, ça va être le refrain du Gouvernement, de l'UMP, on a entendu X. Bertrand...

Ce n'est pas un refrain. Ecoutez ! Franchement... Non, ce n'est pas un refrain.

Je sais qu'il a été voté hier. Son application et ses résultats, E. Woerth, vont prendre du temps. D'ici là, qu'est-ce que vous faites ?

Ce n'est pas du tout un refrain, les plans de relance c'est des actions extrêmement concrètes avec beaucoup d'argent à la clé, beaucoup beaucoup d'argent à la clé. Et cet argent c'est quoi, c'est de l'investissement. Alors je sais bien qu'on nous dit « il faut mettre plus d'argent dans la consommation, d'autres pays le font ». Mais les autres pays n'ont pas le système économique qui est le nôtre, ils n'ont pas la masse des transferts sociaux, je le dis depuis longtemps et je le redis. Nous avons la chance, heureusement, d'avoir des transferts sociaux importants. Les Allocations familiales elles vont augmenter bientôt, le minimum vieillesse va augmenter bientôt, c'est des choses extrêmement concrètes...

Qu'est-ce que ça représente comme sommes cet amortisseur ?

L'ensemble du système social c'est plus de 500 milliards d'euros, c'est plus que le budget de l'Etat. Quand Monsieur Obama dit aux Américains « on va faire la Couverture Maladie Universelle », les Français l'ont déjà. Alors je ne dis pas qu'il ne faut pas aller plus loin, je dis simplement qu'on doit tenir compte de ce que nous faisons déjà. Et ça absorbe beaucoup des problèmes de la crise, ça absorbe les difficultés pour les plus fragiles. C'est un problème de justice.

E. Woerth, qu'est-ce qu'il faudra pour qu'un nouvel effort soit décidé en faveur du pouvoir d'achat et matière sociale ? Qu'est-ce qu'il faut, quel signe ?

Franchement, il ne faut fermer aucune porte parce qu'il faut surtout s'adapter. La crise elle peut durer comme j'espère ne pas durer, je ne sais pas, nous verrons, mais en tout cas il faut s'adapter. Et nous allons... par exemple, la personne qui est descendue dans la rue hier et qui travaille chez un équipementier automobile et qui vient de perdre son travail, il est venu exprimer son mécontentement, il est venu exprimer son inquiétude, sa demande d'action du Gouvernement. Notre réponse c'est essayer de faire en sorte que le secteur automobile, par des initiatives nouvelles, reparte en France. Nous avons bien des réponses concrètes, des solutions concrètes à apporter, un Gouvernement c'est ça. Les syndicats n'ont pas nécessairement tort parce que ce sont des syndicats et le Gouvernement n'a pas nécessairement tort parce que c'est un Gouvernement. Il faut se parler.

Vous voulez dire que chacun est dans son rôle, il faut se parler. Les syndicats réclament en effet un dialogue social, un vrai. L'an dernier, le président de la République avait lancé avec grande solennité un programme de travail, un agenda etc. En 2009, puisqu'il va les voir et vous allez tous les voir en février, comment vous allez tenir compte de ces revendications ?

Tout le monde voit bien qu'on ne peut pas en rester là, on ne peut pas uniquement être immobile, il faut réformer et il faut certainement changer parfois la méthode de réforme. Je prends un exemple : le lycée, qui a suscité beaucoup de sujets, eh ben ! On a changé la méthode, il faut continuer à le faire. Je prends un autre exemple : l'hôpital...

C'est-à-dire, si on vous retient...

Oui, il faut discuter...

...si on retient, vous maintenez le cap parce que vous le répétez tous mais...

On le répète parce que c'est le cas... Entre-nous, si on changeait de cap, ça créerait encore plus d'inquiétude, Monsieur Elkabbach.

Alors est-ce que la crise ne vous oblige pas à changer d'une certaine façon les réformes que vous envisagiez ?

Mais ça on va... le président de la République va à nouveau en discuter avec les partenaires sociaux. Moi je vais en discuter aussi avec les partenaires sociaux de la Fonction publique...

Donc c'est possible ?

Mais évidemment, on peut toujours discuter des choses. Mais le lycée, par exemple, voilà un sujet extraordinairement sensible dans l'opinion publique. Il faut réformer le lycée, la question n'est pas de savoir s'il faut ou s'il ne faut pas, il faut réformer le lycée, on ne peut pas en rester là. On ne peut pas laisser nos jeunes formés...

Mais par exemple... Et la Fonction publique dont vous êtes...

Il faut aussi continuer à réformer la Fonction publique...

De quelle façon ? De quelle façon ?

Il faut revoir les méthodes de rémunérations, il faut augmenter l'image du fonctionnaire dans la société et notamment qu'il soit mieux payé. Mais pour faire ça, il faut diminuer le nombre...

Faire évoluer les grilles, les statuts ?

Oui, les grilles... Nous sommes en train de le faire pour la grille du B, il faut changer l'organisation probablement même de la Fonction publique, il y a beaucoup de corps, beaucoup d'incapacité en réalité à mener une carrière plus mobile, il faut... enfin accroître la mobilité et puis il faut augmenter les salaires, je le disais. Les fonctionnaires français...

Donc moins de fonctionnaires et mieux payés...

Exactement, mais moins de fonctionnaires, et nous gardons le cap là-dessus.

Dans ce climat de crise, vous pouvez réformer ?

Oui et je pense qu'on peut...

Vous pouvez faire la réforme de la Fonction publique ?

Je pense qu'on peut réformer avec un surcroît d'explications. Le pire c'est que l'opinion publique ne comprenne pas, il faut comprendre.

Hier, vous nous avez prévenus, E. Woerth, les chiffres du chômage seront mauvais, c'est-à-dire ?

Je n'ai pas les chiffres. C. Lagarde les donnera lorsque l'Insee les publiera

C'est dans la journée ou demain, au plus tard !

C'est dans les 24 heures, bien sûr et ils ne peuvent pas être bons. Ils ne sont bons dans aucun pays, ils ne peuvent pas être bons...

Vous nous avez déjà dit qu'ils allaient être mauvais.

Et donc on doit combattre ça.

...ils allaient être mauvais et le mouvement s'amplifie !

Oui, bien sûr, la crise s'amplifie parce que l'économie est touchée. En France, on est plutôt un peu moins touchés, je sais bien que ça ne rassure personne, mais tous les pays sont frontalement touchés. C'est pour ça que je pense qu'il faut à un moment donné déployer une énergie positive, comprendre ce qui se passe. Le compte en banque de la France -vous avez un compte en banque, j'en ai un, tout le monde a un compte en banque dans une banque - le compte en banque de la France il est très, très déficitaire, il est vraiment très, très à découvert. Nous avons beaucoup, beaucoup de dépenses publiques, beaucoup plus de dépenses publiques que de recettes publiques...

Et ça continue, et ça va continuer...

...Donc tout ça, il faut faire très attention à ce qu'on fait parce que si nous voulons absolument faire payer à nos enfants des réponses ponctuelles à la crise, alors il faut faire très attention à ce qu'on fait. Il faut garder son sang-froid et il faut être le plus actif, le plus dialoguant possible, le plus parlant, le plus sensible, le plus juste.

Mais vous dites à vos enfants « c'est 86 milliards d'euros » ou ça va finir en 2009 à 100 milliards, 110 milliards ?

C'est 86 milliards d'euros si...

Ça n'arrête pas de monter !

Mais s'il y a plus de récession, si le monde s'enfonce, si les plans de relance ici ou là ne fonctionnent pas, c'est vrai qu'on peut aller beaucoup plus loin parce que dans ce cas-là, les recettes fiscales diminuent. Et en même temps, nous, on n'augmente pas les impôts en face de ça, on conserve nos politiques publiques. Les régimes sociaux, on nous dit « accordez, faites plus dans les régimes », les régimes sociaux sont déjà en déficit de 15 milliards. On a le droit de dire ça, on a le droit de regarder cette réalité en face. Je sais bien que ça ne résout pas le problème de Jocelyne qui nous écoute en ce moment à Châteauroux, qu'elle a ses propres problèmes et qui dit « mais de quoi il me parle celui-là, il me parle de choses trop générales ». Et pourtant c'est bien la réalité, le Gouvernement il doit être responsable.

Et vous dites à Jocelyne que 2009 sera une année avec du chômage qui montra en France, comme dans la plupart des pays européens et américains ?

Je lui dis qu'on fait tout pour qu'elle garde son job, je lui dis qu'on fait tout pour qu'elle soit la plus heureuse possible, pour qu'elle garde son métier et c'est ça qui compte et que le système économique français, il est plus protecteur que la plupart des autres systèmes économiques. Mais ce n'est pas suffisant. S'il faut aller plus loin, on ira plus loin, mais dans le dialogue.

Et on ira comment ?

En gardant le cap.

Vers quoi plus loin ?

Mais moi, je pense par exemple à l'aide à des secteurs d'activité : l'automobile, je pense par exemple aussi aux jeunes, je pense à l'hôpital, nous devons continuer à réformer parce qu'il n'y a pas de statu quo possible dans ce monde qui bouge tout le temps...

Je change de sujet. Dimanche, vous avez demandé à S. Royal d'expliquer comment elle fonctionne sur le plan financier. Ministre du Budget, E. Woerth, vous en avez trop dit ou pas assez, qu'est-ce que vous vouliez dire ?

Non, je voulais dire tout simplement que S. Royal, on a vu dimanche que quelqu'un l'aidait financièrement, donc je lui dis...

P. Bergé.

P. Bergé...

Et l'autre ?

Je n'ai rien contre P. Bergé, bien au contraire, mais je dis il y a des lois, tout simplement il y a des lois qui régissent les rapports entre la politique et l'argent, et heureusement, parce que c'était sulfureux à certaines époques...

D'accord. Elle vous a répondu depuis que « Désir d'avenir » n'est pas un parti mais c'est une association, une structure de réflexion...

Mais je ne sais pas si c'est vrai, je ne sais pas exactement si c'est vrai mais en tout cas, « Désir d'avenir », si c'est un parti politique, ne peut pas toucher d'argent de la part d'une entreprise ou d'une personne morale et elle ne peut pas toucher au-delà de 7.500 euros d'une personne physique. Tout ça est très précis et c'est tant mieux, il faut beaucoup de transparence.

Est-ce que vous demandez qu'elle rende publics ses comptes ?

Si c'est un parti politique, ils sont publics donc il suffit qu'elle les envoie...

Ce n'est pas un parti politique.

Si ce n'est pas un parti politique, elle ne peut pas toucher d'argent... enfin en tout cas elle ne peut pas... cet argent ne peut pas servir aux élections, ne peut pas servir à l'expression politique. Il y a des règles, il y a des lois, moi je ne dis pas plus, il faut respecter la loi en France.

Mais attention ! Avec ça, avec des remarques faussement innocentes, vous créez du soupçon, vous vous rendez compte ?

Oui, enfin quand je vois le torrent de haine qu'elle déverse dans son livre, vous voyez, moi je n'accuse personne, je suis très serein, je dis : la loi et toute la loi et rien que la loi.

Merci.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 février 2009