Interview de M. François Bayrou, président du Mouvement démocrate (MoDem), à Europe 1 le 11 mars 2009, sur le retour de la France dans la structure militaire intégrée de l'OTAN et le débat parlementaire.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- D'après un sondage Ifop-Paris-Match, 58 % des Français sont favorable à un retour complet de la France dans la structure militaire intégrée de l'OTAN, 37 sont contre ? Faites-vous partie des 58 ou des 37 ?

Je fais partie des 37 et je suis persuadé qu'on est beaucoup plus nombreux que ça. En réalité, vous savez bien que les sondages dépendent beaucoup de la manière dont les questions se posent et sur cette affaire, le débat n'a pas eu lieu, il faut en tout cas que nous l'assumions.

Eh bien il va avoir lieu, parce qu'en 1966, le général de Gaulle avait annoncé sa décision par une simple lettre au Président américain Johnson, il avait tranché tout seul. Cette fois, le Parlement va en débattre dans une semaine et il votera. Le Gouvernement Fillon engage sa responsabilité ; qu'allez-vous faire ?

Je voterai contre, bien entendu, parce que cette décision est lourde de conséquences pour la France. Si je devais définir cette décision, je dirais que c'est une amputation. La France, depuis quarante ans, toutes les sensibilités politiques du pays, s'étaient, au fond, rassemblées autour de cette certitude que la France c'était une partie de l'Occident mais quelque chose de plus que nous avions, nous, une marque d'indépendance, un symbole d'indépendance et une volonté d'indépendance qui a été précieuse dans les moments les plus graves. Je ne [parle] pas pour vous, mais en tout cas, pour moi, j'ai été fier au moment où la France, au moment de la guerre d'Irak, au moment où la France a dit non et a refusé de se joindre à une aventure dont on a vu par la suite quel était le caractère tragique. Et donc, nous avons été fiers. Tout cela, c'était venu du fait que peu à peu, pendant des décennies, nous avions construit cette marque d'indépendance, nous étions des alliés fiables et fidèles mais nous avions cette part de liberté que nous assumions...

Sans vous choquer, c'est du baratin ! Vous voulez que je vous dise pourquoi ? D'abord, parce que la France est déjà...

Je ne sais pas si vous pouvez utiliser des mots de cet ordre...

Déjà, elle est dans l'OTAN, elle est le quatrième contributeur financier et militaire de l'OTAN. Elle participe - E. Balladur le rappelle - à 38 des 48 comités de l'OTAN, elle coopère depuis de Gaulle à l'OTAN. Elle garde la maîtrise de toutes ses décisions, c'est-à-dire qu'elle peut refuser de participer à des opérations militaires qui ne lui conviennent pas. Et puis, fin 1995, si vous permettez, J. Chirac alors président de la République décide en pleine crise bosniaque un rapprochement avec l'OTAN. A. Juppé était son Premier ministre et vous étiez ministre du Gouvernement. A l'époque, pourquoi n'avez-vous pas protesté ?

Eh bien, je regrette infiniment. Vous venez de faire, naturellement, la propagande gouvernementale...

Non ! Comme vous êtes avocat du diable, moi je dois jouer l'autre rôle !

Je ne suis pas l'avocat du diable, je suis l'avocat de la France.

Nous aussi !

Et je trouve que cette manière-là de présenter ainsi un dossier tout ficelé, c'est quelque chose que, ensemble, nous ne devrions pas faire. Alors je vais vous dire exactement les choses : J. Chirac a fait une tentative, il voulait obtenir un rééquilibrage de l'OTAN, je n'ai jamais cru qu'il y arriverait et j'ai toujours pensé que nous garderions cette marque d'indépendance-là. En tout cas, aujourd'hui, en 2009, je considère que nous allons nous priver d'une carte qui était une carte, une des seules cartes qui nous avions dans notre jeu, pour être autre chose qu'allignés à l'intérieur d'un ensemble occidental dont on a vu les bêtises qu'il pouvait faire. J'ai la certitude que si nous avions été à l'intérieur de l'OTAN, nous aurions été avec les autres, aux Açores et dans l'aventure irakienne. Nous allons échanger cette marque d'indépendance contre quoi ? Contre rien ! Dans votre dossier, dans les arguments que vous avez invoqués, il y a une chose qui manque. Vous vous souvenez que le Premier ministre et le président de la République s'étaient exprimés lorsqu'ils ont avancé cette idée, en disant, "en échange, nous allons obtenir la Défense européenne".Qu'avons-nous obtenu ? Rien ! Dites-le dans votre dossier !

Eh bien je le dis, que pour le moment, on n'a rien obtenu.

Nous n'avons rien obtenu !

La France a obtenu les commandements de Lisbonne, les commandements de Norfolk opérationnels en Virginie...

Ça, c'est une blague !

...Ce qu'elle ne demandait même pas en 1995.

Ça, c'est une blague ! Ce ne sont pas quelques postes de généraux à l'intérieur du système de l'OTAN qui vont donner à la France la possibilité de bâtir la Défense européenne indépendante que nous voulions. L'indépendance de la France, c'était une assurance pour l'indépendance européenne. Maintenant, je vous le dis, nous entrons dans l'OTAN, il y a deux conséquences - nous réintégrons le commandement intégré, pour employer les termes exacts. La première de ces conséquences, c'est que nous n'aurons pas la Défense européenne indépendante que nous voulions. Désormais, tout se passera à l'intérieur de l'OTAN. Et deuxième conséquence, et je le dis avec gravité, c'est un aller sans retour, parce que vous n'imaginez pas qu'à chaque alternance, on va entrer dans le commandement intégré et sortir de l'OTAN.

Sauf s'il y a un général de Gaulle...

Ceci s'est fait sans débat, ceci s'est fait parce que la volonté du pouvoir s'est exprimée de la sorte. Je trouve que le peuple français se voit enlever quelque chose de précieux, et qu'il n'est pas juste qu'on ne lui ait pas donné l'occasion de s'exprimer.

On voit bien que le débat est lancé, il est passionné. Encore une fois, moi je fais la contradiction, si vous me permettez. Est-ce que la France, si elle entre totalement dans l'OTAN, garde la décision ultime et souveraine sur sa force de dissuasion, son usage éventuel ?

Encore heureux ! Mais ce n'est pas l'essentiel des choses parce que la force nucléaire, heureusement, on espère tous qu'on n'aura pas à s'en servir. Ce n'est pas ça la question. Mais il y a un comité nucléaire à l'intérieur de l'OTAN on en parle. Encore une fois, entre alliés, on peut parler. J'ai moi-même défendu l'idée que la défense nucléaire de la France, elle ne devait pas être uniquement au service d'un seul pays. Je pense qu'il y a des intérêts qui peuvent être mis en jeu.

Mais c'est un seul pays, la France, qui continue à garder le doigt sur sa dissuasion ?

Encore heureux ! Comment voulez-vous partager cela avec 27 pays ?

On parle d'autre chose : L. Wauquiez, le secrétaire d'État à l'Emploi, a piqué une colère contre total qui, couvert de bénéfices, met 550 salariés sur la touche. Êtes-vous choqué, et choqué par l'État qui parle d'une gestion d'une entreprise ou par Total ?

Je trouve que l'État devrait se mêler de faire passer à cette entreprise qui vient de faire 14 milliards d'euros de bénéfices le message de responsabilité élémentaire. Quand on est dans cette situation d'opulence, au moins, on considère qu'on a le devoir de défendre les emplois dans le pays qui vous a fait ce que vous êtes.

Total exagère ?

Permettez-moi de le dire, c'est grâce à la France que Total est devenu ce qu'il est. Et notamment - je suis un élu, vous le savez, de cette région -, c'est grâce au gaz de Lacq, que Total, Elf, d'abord est devenu ce qu'il est.

Alors, de la gratitude, messieurs de Total ?

Non, de la responsabilité.

De la justice.

Une entreprise ne doit pas, même une très grande entreprise comme celle-là, ne doit pas obéir à la seule loi du profit. La seule loi du profit ou la seule considération de la loi du profit nous a conduit où nous sommes. Il y a une vieille notion à laquelle je crois toujours, qui est d'une entreprise citoyenne. Je suis persuadé qu'on peut le faire passer auprès des dirigeants de Total et qu'il faut le faire de la part du Gouvernement.

À Bruxelles, C. Lagarde a arraché la TVA réduite pour les restaurateurs applicable peut-être dès 2010. Elle leur était promise depuis sept ans. Est-ce que c'est un succès ? Le taux sera bientôt fixé, il coûtera entre 1 et 3 milliards d'euros à l'État. Est-ce que c'est une bonne opération de plus, dans le déficit ?

C'est un engagement qui avait été pris et réitéré par les gouvernements précédents et par ceux-là. Vous vous souvenez qu'on nous disait que l'Europe ne permettrait pas de faire cela, et que j'ai au contraire toujours défendu l'idée qu'on pouvait parfaitement, dans le cadre européen, faire passer une décision de cet ordre... .

..C'est donc une bonne opération ?

...Maintenant, j'ai un souci : c'est que cela soit traduit sur l'addition, au restaurant, des consommateurs. On a tous, de ce point de vue-là, des points d'interrogation à l'esprit. En tout cas, on avait donné des avantages, notamment en charges, pour qu'on puisse maintenir de l'emploi. J'espère que tout cela aura un effet heureux sur l'emploi...

Et que les restaurateurs maintiendront leur promesse de créer en contrepartie des emplois ?

Oui.

Merci à vous, F. Bayrou. Et puis c'est intéressant d'avoir des débats assez animés.

Chauds.

Merci à vous.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 mars 2009