Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "LCI" le 13 février 2009, sur les prévisions économiques pour2009, la poursuite de la réforme de l'Etat et de la réduction de ses dépenses, sur les bénéfices de Total.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Croissance en berne : moins 1,2 % sur le dernier trimestre 2008. La France s'installe donc dans la récession. Est-ce que le Gouvernement n'a pas trompé les Français en nous disant qu'on était un pays à part, moins touché que les autres, plus épargnés, mieux protégés ?

C'est le cas d'ailleurs, on est un peu moins attaqués, enfin, un peu moins touchés par la crise que d'autres...

Vous ne continuez pas un peu la méthode Coué, là ?

Non, non, non, non. J'ai quand même l'habitude de dire la vérité ; c'est un peu moins que dans d'autres pays. Mais d'un autre côté, la crise, la récession, elle est totalement mondiale. Donc, la France est touchée de plein fouet et durement, très, très durement, la crise est très profonde, voilà. On a toujours dit la vérité, on a toujours fait en sorte, à la fois dans les projets de loi de Finance, à la fois dans les collectifs budgétaires, dans les discussions, on a toujours fait en sorte de dire la vérité, et en temps réel, c'était le cas du président de la République, de la ministre de l'Economie, de moi-même. Donc, ce n'est pas un sujet... On a vraiment dit totalement la vérité.

Vous allez devoir au nom de la vérité corriger vos prévisions pour 2009. Il y a eu un rêve de + 0,5, maintenant, on est plutôt à moins 1. Aujourd'hui, vous voyez quelle croissance, quelle décroissance en 2009 ?

On va réviser - C. Lagarde l'a dit, il y a quelque temps - on va réviser d'ici le mois de mars et sous sa responsabilité, je pense qu'il faut le faire en prenant un peu de temps pour analyser tout cela, mais les chiffres qui ont été indiqués, c'est en tout cas évidemment des chiffres négatifs. Bien sûr, qu'il y aura une décroissance, comme on dit, durant l'année 2009. C'est le principe de cette crise : la production industrielle s'est cassée la figure, les indicateurs sont très mauvais, le commerce international fonctionne mal, l'économie financière et l'économie réelle aussi, le chômage s'installe, c'est une crise ! Et on le dit depuis un certain nombre de mois, il faut bien en tenir compte. Et la seule attitude par rapport à cela, c'est de se battre, et se battre avec beaucoup, beaucoup de vigueur et beaucoup de coordination internationale, européenne et mondiale.

Alors, se battre. Ces chiffres vont avoir pour conséquence une baisse évidemment des rentrées fiscales attendues par l'Etat sur 2008 et surtout sur 2009. Comme vous voulez quand même dépenser pour relancer l'activité, vous allez devoir accélérer la suppression du nombre de postes de la fonction publique ?

On va devoir... Bien sûr, les déficits vont augmenter mécaniquement. En réalité, les chiffres 2009 on voit bien que le premier trimestre ne se passe pas très bien, il suffit de discuter avec des PME ou des partenaires sociaux ; on discute en ce moment avec B. Hortefeux et l'ensemble des partenaires sociaux pour regarder comme essayer de préserver au mieux les uns et les autres, parce qu'une crise c'est de discuter pour chacun, pour chaque Français, ce n'est pas une crise virtuelle, c'est évidemment tout ça. Maintenant, des déficits qui se creusent, à partir du moment où les recettes fiscales rentrent moins bien, au moins on sait pourquoi. Une fois que la croissance a repris, les recettes fiscales retrouvent le chemin, c'est vrai aussi pour les dépenses d'investissement. Alors, est-ce qu'on doit compenser ? Non, on ne peut pas compenser. Ce qu'on doit faire...

Supprimer des dépenses de fonctionnement, supprimer des postes...

Ce qu'on doit faire, c'est faire en sorte que toutes les dépenses de fonctionnement et les dépenses courantes de l'Etat ne progressent pas et qu'on continue à les maintenir et à les maîtriser. L'idée vraiment, c'est de faire en sorte qu'on investisse au maximum avec de l'argent public pour sortir de la crise, et que par ailleurs toutes les dépenses courantes soient des dépenses qui soient tenues. Parce qu'une fois la crise passée - et c'est évidemment l'idée des plans de relance, c'est de faire passer cette crise - on revient à un niveau de déficit qui était le niveau de déficit de l'année dernière ou il y a deux ans, c'est-à-dire, un niveau de déficit presque structurel de la France, les 2,5 %, qui n'est pas acceptable, et que nous devons continuer à diviser. On est donc sur les deux sujets. Et sur les postes de fonctionnaires, il faut continuer à réduire le nombre de fonctionnaires en France...

Vous accélérez ?

...et en même temps, il faut augmenter le statut, pas le statut de la fonction publique mais le statut individuel de chaque fonctionnaire, la reconnaissance de la nation vis-à-vis de chaque fonctionnaire, en continuant à privilégier les fonctionnaires et leur carrière, je pense par exemple à des revalorisations à un moment donné au travers du fait qu'on retourne vers les fonctionnaires la moitié des économies que nous faisons lorsqu'on ne remplace pas un fonctionnaire sur deux partant en retraite, on continue et on tient le cap là-dessus parce que c'est l'intérêt des fonctionnaires et c'est l'intérêt du pays.

Augmentez les recettes de l'Etat en augmentant les impôts ! Supprimez le paquet fiscal, montez l'IS ?

Surtout pas. Si on augmente les impôts aujourd'hui pour essayer de compenser avec des diminutions de fiscalité, de rentrées fiscales, c'est à ce moment-là une crise qu'on approfondit. Aucun acteur économique aujourd'hui qui subit des difficultés, que ce soit un ménage, que ce soit une personne, physique ou une entreprise, ne peut accepter une augmentation de prélèvements obligatoires. Chaque fois qu'on prélèvera de l'argent sur le plan public, c'est chaque fois de l'argent qu'on retirera à des investissements privés et donc de l'emploi. Il faut tout faire pour protéger l'emploi, tout faire pour protéger l'emploi au maximum, passer cette crise, et tout faire aussi pour préserver les plus fragiles durant la crise, c'est l'objectif de la politique du Gouvernement et du Président.

Et compte tenu de ces nouveaux chiffres, il ne faut pas déjà un deuxième plan de relance pour...

Mais il y a eu plein... En fait, il y a plein de plans de relance, vous voyez bien. Il y a ce plan de relance à 26 milliards qui est fondé sur l'investissement, c'est le coeur de notre politique. Et puis, à côté, il y a les systèmes sociaux français qui jouent le rôle d'absorbeurs un peu de crise ou de difficultés pour les uns et pour les autres. Quand on augmente les allocations familiales, quand on augmente le minimum vieillesse, et bien d'autres choses encore, ou les retraites...

Ce sera sur la table le 18 février ?

Bien sûr. C'est un extraordinaire absorbeur de crise, parce que c'est de l'argent de transferts sociaux, public, qui vient essayer d'aider les uns et les autres. C'est 9 milliards d'euros en dehors des effets de démographie. En dehors du fait qu'il y ait plus de retraités qui rentrent en retraite, uniquement sur le plan financier, c'est 9 milliards d'euros. Quand M. Thibault dit "8 à 0" en parlant de la taxe professionnelle - comme si on essayait d'aider les chefs d'entreprise ; en fait, on aide bien les entreprises et les emplois - ce n'est pas "8 à 0", c'est au moins 9 à 8, au moins si on prend l'ensemble des prestations familiales et sociales.

Et mercredi, sur la table il y aura encore du concret sur le pouvoir d'achat ?

Bien sûr qu'il faut du concret, il faut du concret, et il en faut encore, parce qu'il y a des sujets sur lesquels on peut faire beaucoup de progrès, on en discute actuellement. Le président de la République souhaite que la réunion du 18 ce soit une réunion concrète. Ce n'est pas une réunion dans laquelle on va discuter, dans laquelle on va renvoyer à des groupes de travail. Evidemment, il y aura des mesures concrètes, je ne peux pas préjuger de ce qu'elles seront, mais ce sont des mesures qui peuvent aller du chômage à d'autres points. Comment essayer d'aider nos compatriotes les plus fragiles, les plus exposés, les plus exposés à la crise dans cette période ? Et en même temps, comment relancer au plus vite ? Parce que la meilleure façon d'éviter les souffrances individuelles des uns et des autres, c'est de sortir de la crise, il ne faut pas oublier cette priorité-là.

Aider les Français les plus fragiles, il y a une solution : le CAC 40 a annoncé de gros bénéfices, il y a de bons résultats pour les entreprises françaises, appliquons tout de suite la règle des trois tiers, donnons un tiers de ce bénéfices aux salariés !

Il faut réfléchir à tout ce qui est répartition des bénéfices entre capital - le capital, il faut bien le rémunérer...

C'est fait. Visiblement, on distribue les 14 milliards !

...parce que s'il n'y a pas de rémunération du capital, il n'y a pas d'entreprise.

Ça c'est fait.

Il ne faut pas diaboliser, il ne faut pas diaboliser. Il faut évidemment faire en sorte que les salaires puissent progresser, et puis il faut investir dans l'entreprise. Donc, le président de la République a eu raison de lancer ce débat, parce que le monde va changer, ce n'est pas des propos grandiloquents, mais le monde il a changé, et il doit changer à cause de cette crise, et il faut réfléchir à ce type de sujets parce que ce sont des sujets d'unité nationale, et d'unité économique. Alors les grands profits, les profits des grandes entreprises, en ce moment ce sont des... Heureusement d'ailleurs qu'il y a des profits dans les entreprises, parce que s'il n'y avait pas de profits dans les entreprises, alors on dirait "c'est horrible, les entreprises ne font plus de bénéfices !".

Qu'est-ce qu'on en fait ?

Donc, il faut que les entreprises continuent à faire des profits, les grandes entreprises françaises, tant mieux. Et en même temps, dans cette période de crise, il faut qu'elles réfléchissent sur l'affectation de ces profits, notamment lorsque ces entreprises ont été aidées. Il y a deux types d'entreprises : il y a celles qui ont été aidées- les banques, les secteur automobile - et puis il y a les entreprises qui n'ont pas été aidées, et c'est tant mieux. Ce n'est pas tout à fait les mêmes règles qui doivent s'appliquer. En plus, ces entreprises sont souvent françaises mais aussi internationales, alors c'est ça qui compte. Et puis leurs salariés ne sont pas si mal traités, je crois.

Une étude de cas : les 14 milliards dégagés par Total, qu'est-ce qu'il faut demander à Total ? Que ça crée des emplois, investir encore, par exemple ?

Total c'est le cas d'une entreprise qui n'a pas été aidée par l'Etat. Je veux juste remarquer que Total fait d'énormes bénéfices et c'est tant mieux, je suis content quand une entreprise française réussit...

Sauf que les Français ont payé l'essence chère à la pompe.

Je suis très, très, très heureux que Total fasse des bénéfices parce que c'est une grande entreprise française qui réussit. Maintenant, quand on regarde les autres entreprises du secteur, notamment des entreprises américaines, elles font plus de profits que Total, donc il faut être très vigilant à ça. Parce que ce n'est pas non plus inscrit dans la durée, il faut être très vigilant, très vigilant à ça, il faut bien protéger tout ça. Et la plupart de son bénéfice, 90 % du bénéfice, il est réalisé à l'extérieur de la France, donc ça aussi il faut le prendre en compte. Cela dit, les dirigeants de Total, comme de toutes les entreprises, doivent se poser la question, même et surtout en temps de crise, de l'affectation de ces profits ; plus d'investissements, je ne sais pas. C'est à eux de répondre, mais c'est une question qu'ils doivent aborder, évidemment, mais très tranquillement, et avec beaucoup de détermination.

Autre étude de cas, négatif, celui-là : Peugeot. Est-ce que les Français n'ont pas été grugés par Peugeot qui, d'un côté, a pris l'argent, et de l'autre, supprime des emplois ?

L'annonce était maladroite, incontestablement maladroite. Le lendemain du fait que l'Etat aide à hauteur de 3 milliards d'euros Peugeot, il y a une annonce de cette nature. Il faut savoir aussi que c'est une annonce qui repose sur l'année dernière, ce sont aussi des départs volontaires, et ce sont des départs sur l'ensemble des implantations internationales de Peugeot. Et sur la France, ça concerne, c'est vrai, encore trop - plus de 3.000 personnes - mais dans le cadre de départs volontaires. En tout cas, c'est évidemment maladroit, et évidemment la contrepartie - il y a contrepartie -, la contrepartie des aides de l'Etat est très précise, il y a eu une bagarre formidable là-dessus ; le président de la République a imposé sa volonté et c'est tant mieux, c'est évidemment de ne pas licencier en France, qu'il n'y ait pas de fermetures d'usines, et qu'il y ait des relocalisations. Quand on est un ouvrier équipementier automobile et qu'on est client ou fournisseur plutôt de Peugeot, ça vous intéresse directement. Et franchement, c'est une bonne chose, on doit sauver le secteur économique, et même temps automobile, et en même temps il doit changer de comportement en ce qui concerne les investissements en France.

Suppression de la taxe professionnelle, quelle est votre piste privilégiée pour compenser ?

Je pense qu'il y a deux ou trois pistes qui doivent être regardées : il y a la taxe carbone. M. Balladur l'a déjà évoquée, il faudra y réfléchir, parce que c'est un changement... Il est contre. Oui, mais peut-être, il faut en discuter, c'est à lui de mettre le sujet sur la table, c'est un sujet très, très intéressant, c'est une fiscalité fondée sur le Grenelle, donc c'est un changement fiscal. C'est aussi la valeur ajoutée, parce que la valeur ajoutée c'est de l'économie ; et puis c'est aussi de la taxe foncière, du foncier économique. Et puis les collectivités locales aussi, elles doivent comme l'Etat, au fur et à mesure du temps, commencer à réduire le rythme d'évolution de leurs dépenses publiques. Bien évidemment, je suis maire, je le dis.

C'est vrai que TRACFIN a donné le J. Dray à la presse ?

Mais c'est faux, c'est archi faux ! Et d'ailleurs j'ai écrit aux avocats de M. Dray pour dire que TRACFIN avait fait totalement son métier là-dedans. Ce qui aurait été anormal, c'est qu'elle ne transmette pas ce dossier. Elle a transmis ce dossier. Je regrette infiniment en tout cas qu'il se soit retrouvé sur la place publique. Il n'avait rien à faire sur la place publique. Cela ne concerne pas TRACFIN. TRACFIN ne travaille pas comme ça et le ministère de l'Economie non plus !
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 février 2009