Interview de Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat à la solidarité, à Radio Classique le 25 mars 2009, sur les salaires des grands patrons, les moyens alloués au secrétariat d'Etat à la solidarité et l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

 
Marie-Hélène Duvignau.- La secrétaire d'Etat à la Solidarité est l'invitée de Radio Classique. Bonjour V. Létard.
 
Bonjour.
 
Alors, occuper votre poste en ce moment en pleine crise, ça ne doit pas être toujours simple, on va en reparler. Mais je voudrais d'abord qu'on revienne un petit peu sur le discours de N. Sarkozy, qui a voulu faire de la pédagogie, expliquer son attitude face à la crise. Vous pensez qu'il a su convaincre au moment où les Français attendent plus, notamment en terme de pouvoir d'achat, au moment où l'on pense que les efforts ne sont pas répartis de façon équitable ; vous pensez qu'il a pu convaincre hier soir ?
 
Je pense, il a montré en même temps ouverture et détermination, c'est-à-dire qu'il a souhaité rappeler combien il serait vigilant et exigeant en direction des grands patrons d'entreprise, qui, dans des périodes où ils sont amenés à licencier, où ils sont amenés à véritablement mettre en place en fait des procédures qui mèneront effectivement à des réductions d'emplois ou qui bénéficient effectivement d'argent public, pour accompagner leur entreprise, eh bien, ces chefs d'entreprise, ces grands patrons doivent faire l'effort par eux-mêmes de renoncer à bonus, à stock-options ou, le cas échéant, effectivement, à toutes les formes de primes possibles et imaginables. Simplement, il a rappelé que s'il fallait aller plus loin, il serait en capacité d'aller plus loin, et qu'il serait encore une fois très ferme. B. Hortefeux a aussi précisé ses propos, puisque lui, de son côté, a bien rappelé que L. Parisot avait jusqu'à la fin du mois pour essayer de proposer un code de bonne conduite des grands patrons, et que, au cas où cela ne serait pas suivi d'effet, il faudrait effectivement se poser la question des mesures législatives ou réglementaires nécessaires pour être plus ferme et faire en sorte que cela s'applique parce que c'est une mesure morale, parce que moi, qui suis élue locale dans le Valenciennois, la semaine dernière, on m'a annoncé 240 suppressions d'emplois, moi aussi, je peux entendre ça quand il s'agit de spécialiser une activité, de maintenir les emplois restants, par exemple, là, c'est une entreprise de 600 salariés, je peux l'entendre, à condition que tout soit fait par une entreprise qui fait du résultat, pour justifier d'une reconversion et d'autres moyens, ce que je veux dire, c'est qu'il faut se mettre à la place des salariés, il faut entendre que ceux qui vont perdre leur emploi, qui gagnaient peu, et qui n'auront plus rien, et qui devront être accompagnés dans cette reconversion, les entreprises ont le devoir, lorsqu'elles font du résultat, de les accompagner par tous les moyens possibles et de trouver des voies, et d'accompagner les pouvoirs publics dans les solutions alternatives en terme de reclassement professionnel et de création d'autres activités.
 
Et vous, personnellement, vous êtes favorable à une loi pour encadrer ces bonus, ces primes, ces parachutes dorés ?
 
Très concrètement, très clairement, si ce que le président de la République a demandé n'est pas suivi d'effet, moi, je pense qu'il faut en arriver-là.
 
C'est clair, donc une loi pour empêcher les bonus des patrons...
 
Je pense que nous sommes dans un contexte, encore une fois, moi, je le vis au quotidien, dans le Valenciennois, qui est une zone qui a déjà été touchée dans les années 80 très fortement, très cruellement, avec 28% de chômage sur mon arrondissement, lorsqu'on a perdu la sidérurgie et les mines. Nous sommes remontés à 11% de chômage, ce qui est un effort considérable du territoire en terme de reconversion, aujourd'hui, nous avons bien l'intention de nous mobiliser, aux côtés des entreprises, car s'il y a des entreprises qui peut-être sont moins "vertueuses", entre guillemets ou ont besoin de se faire un peu rappeler à l'ordre, il y a aussi beaucoup de PME, beaucoup de grandes entreprises, que je côtoie au quotidien, et qui se battent pour maintenir l'emploi.
 
Et le fait qu'il n'y ait pas eu d'annonce concrète de N. Sarkozy sur ce problème hier soir, en disant : "bon, s'il faut aller plus loin, on ira plus loin", mais il n'y a pas eu d'annonce concrète hier soir, ça ne risque pas, selon vous, d'accroître un petit peu le malaise social actuel, c'est bien tendu...
 
Moi, je pense qu'entre le discours du président de la République et celui que mon collègue B. Hortefeux, en tant que ministre du Travail, a rappelé et complété, on a quand même les éléments qui permettent d'expliquer que le président de la République souhaite d'abord le dialogue, mais qu'il saura être ferme si nécessaire.
 
Dans votre quotidien, au ministère, des exercices comme ça, des exercices d'explication de la politique de N. Sarkozy, ça vous aide, vous arrivez à faire passer le message ?
 
Eh bien écoutez, je fais passer un message, c'est celui de la solidarité présente au coeur du Gouvernement. C'est-à-dire que, on a souvent... enfin, on entend beaucoup plus souvent les propos concernant effectivement le règlement de la crise économique, on oublie de rappeler que dans le champ de la solidarité, par exemple, dans le mien, en ce qui concerne la politique du handicap ou de la dépendance des personnes âgées, eh bien, cette année, notre budget a progressé de 920 millions d'euros pour accompagner des créations de places nouvelles, par exemple, en maisons de retraite ou en services d'aide à domicile, et que malgré cette réalité économique complexe, la politique en faveur des personnes âgées par exemple bénéficie d'un budget qui a progressé de plus de 8%. Dans l'exercice budgétaire que vous connaissez bien, qui est extrêmement difficile, c'est la preuve tangible que pour mettre en oeuvre le Plan Alzheimer, pour accompagner les plus fragiles d'entre nous, le Président a fait des choix qui sont des choix qu'on n'entend pas suffisamment parce que, effectivement, la crise a pris le dessus. Mais il faut savoir que son souci a été de tenir sa promesse aussi en matière de revalorisation de l'allocation adulte handicapé, il a dit : je l'augmenterai de 25% pendant mon mandat, 5% en 2008, 5% en 2009, et nous continuerons 5% chaque année, pour arriver au résultat. Nous avons travaillé sur...
 
Vous avez assez de moyens pour mener votre politique de solidarité aujourd'hui ?
 
Mais il en faut toujours plus, et c'est bien la logique de la politique en faveur du handicap et des personnes âgées, c'est chaque année faire progresser notre budget.
 
Parce que c'est quand même effectivement les personnes donc qui dépendent, on va dire, de votre ministère...
 
Bien sûr...
 
Les personnes âgées, adultes handicapés, c'est les plus fragilisés face à la crise...
 
Bien sûr, bien sûr...
 
Donc quand vous entendez que des entreprises bénéficient de milliards d'euros de subventions, de soutien, bon, les banques, etc., vous ne dites pas : mais mon ministère en aurait besoin de tellement plus.
 
Mais c'est toujours plus, bien sûr, bien sûr que nous nous défendons et nous nous battons pour avoir chaque année cette progression budgétaire, nous l'obtenons. Quand je dis que j'ai 920 millions d'euros de crédits supplémentaires, une énorme partie de ces 920 millions d'euros est ce qu'on appelle des crédits de fonctionnement, c'est-à-dire que c'est pour créer du personnel. Donc cette somme, ce n'est pas une somme, ce n'est pas une aide, ce n'est pas une garantie d'emprunt, ce n'est pas une aide unique à l'investissement, quand on dit : 920 millions d'euros de plus, c'est acté définitivement, c'est-à-dire que chaque année, je vais les récupérer, ils vont venir dans la base de l'enveloppe dont je dispose. C'est-à-dire que mon budget médico-social handicap dépendance passe de dix-neuf à vingt milliards d'euros, il augmente presque d'un milliard, et que ça, c'est définitif. Et qu'à chaque fois que j'obtiens une augmentation, je l'obtiens durablement.
 
Aujourd'hui, face à une situation économique et sociale difficile, comment est-ce qu'on choisit ses priorités dans votre ministère, quels sont les dossiers où vous dites : bon, là, il faut y aller ?
 
Eh bien, par exemple, si on regarde en fait la politique en faveur des personnes âgées, pour reprendre celle-là, priorité, c'est faire en sorte d'accompagner le vieillissement de la population, créer des places nouvelles, le plan de relance nous a aidés à accélérer le mouvement, on a prévu 7.500 places en faveur des personnes âgées, nouvelles et autorisées cette année. On en fera 12.500. On va continuer à améliorer la qualité de la prise en charge, ce qu'on va faire, c'est qu'on va renforcer le personnel soignant dans les établissements qui ont besoin d'être mieux dotés, on va créer 10.000 emplois nouveaux en 2009, dans le champ des personnes âgées. Donc c'est en même temps créateur d'emplois. Il nous faut aussi travailler sur un autre sujet qui est le mien, qui est le droit des femmes, sur l'égalité professionnelle.
 
Dans cette période de crise, est-ce qu'on ne se dit pas : bon, ça, c'est le dossier qui va passer un petit peu au second plan...
 
Eh bien justement, je crois que, et avec le soutien de B. Hortefeux, nous avons confié à B. Gresy, qui est une IGAS, une inspectrice générale des Affaires sociales, la préparation d'une note d'orientation qui nous sera rendue en juin, fin juin, début juillet, pour négocier avec les partenaires sociaux l'avancée sur la réduction des écarts salariaux, nécessaire. Est-ce qu'il est besoin de mesures réglementaires, voire législatives ? Si c'est nécessaire, on le fera au deuxième semestre 2009 pour que les femmes ne soient pas la variable d'ajustement, mais je souhaite aussi qu'on parle de la place des femmes dans les conseils d'administration d'entreprise. Aujourd'hui, elles sont 9% dans les entreprises. Ce n'est absolument pas possible.
 
C'est peu.
 
Et donc, il nous faut absolument progresser aussi sur ce sujet.
 
Mais au-delà d'une réalité économique, c'est aussi tout un problème de mentalité qu'il faut changer. Là, comment vous agissez, comment on fait ?
 
Eh bien, là, nous agissons d'abord avec l'Education nationale, ça commence par l'orientation des jeunes filles, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, on voit que malgré tout, il reste encore des comportements et des idées reçues, autant des familles que des enseignants, que des jeunes filles elles-mêmes ; on est encore dans le stéréotype de genre, c'est-à-dire que, une jeune fille va plutôt vers les professions médicosociales ou alors, si elle fait des longues études, plutôt médecine. Mais par exemple, aujourd'hui, à la sortie des écoles d'ingénieurs, vous avez moins de 20% de filles, alors que dans les Bacs scientifiques, elles sont majoritairement titulaires de Bacs scientifiques, mais ensuite, elles choisissent des orientations qui les éloignent de la progression vers des postes à responsabilités. Et donc ça commence là le travail, c'est lutter contre ces stéréotypes, travailler avec l'Education nationale sur une meilleure orientation, et faire en sorte que les femmes soient plus présentes dans les postes à responsabilités, et puis, il faut bien sûr que les femmes ne soient pas la variable d'ajustement de la crise, c'est pour ça qu'on veut absolument remettre sur le tapis la question de l'égalité professionnelle, et qu'il faut aller plus loin sur l'égalité salariale, même si la période de crise est complexe, mais nous travaillerons avec les partenaires sociaux pour faire ça dans la concertation, et trouver les voies et moyens de progresser sur ce sujet.
 
Alors gros dossier, V. Létard, pour terminer, vous êtes membre donc du Nouveau centre. Les élections européennes se profilent, ce sera en juin ; vous êtes optimiste pour votre parti ? Vous ne craignez pas un vote sanction, vu la situation économique et la politique du Gouvernement, qui peuvent faire l'unanimité, on l'a vu avec les manifestations dans la rue ; comment vous vous positionnez sur ces élections ?
 
Eh bien écoutez, moi, je me positionne... nous avons pris le parti d'être partenaires de la majorité présidentielle, d'y apporter, un peu comme je le fais au sein de mon ministère, eh bien, une fibre humaniste, européenne, historiquement européenne, puisque le Nouveau centre, vous le savez, c'est une composante ancienne, en tout cas, ce sont d'anciens membres de l'UDF, qui ont choisi d'être partenaires de la majorité. Notre souci, c'est de venir défendre cette idée, en fait, cette différence et cette complémentarité par rapport à l'UMP, et montrer qu'on peut avoir un projet politique économique, libéral, mais un libéralisme et un capitalisme régulés, citoyens, et ça, j'y tiens, et je me bats au quotidien pour que ce soit comme ça, et qu'on puisse avoir à côté, effectivement, la volonté de faire en sorte que les plus fragiles ne restent pas au bord de la route, et se battre au quotidien pour que cela aussi, ça fasse partie du projet politique, et du projet politique européen. Enfin, l'Europe, je me bats pour elle, parce que si nous avons réussi, comme je l'ai dit, dans les années 80, à passer de 28% de chômeurs à 11% de chômeurs, c'est parce que nous avons bénéficié de l'objectif 1, c'est-à-dire de milliards d'euros de la solidarité européenne, qui ont été affectés à ma région, parce qu'elle était en grande souffrance, et que, grâce à ça, on a su reconstruire notre tissu économique et former les gens qui étaient sortis de l'emploi. Et donc l'Europe, ça n'est pas que du virtuel, c'est aussi du réel, c'est du concret. Il faut le rappeler à tous les Français, grâce à cela, nous, dans le Nord-Pas-de-Calais, on a réussi à faire en sorte que des tas de familles qui étaient dans une situation dramatique ont pu retrouver un avenir.
 
Les élections européennes, c'est donc au mois de juin. V. Létard, merci d'avoir accepté notre invitation sur Radio Classique ce matin...
 
Merci à vous.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 26 mars 2009