Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants, à Radio classique le 8 avril 2009, notamment sur les déclarations du Président de la République sur l'Afrique, sa participation à un gouvernement de droite et son opinion sur le Parti socialiste.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

J.-L. Hees.- J.-M. Bockel,  bonjour. Bienvenue sur Radio Classique. Je rappelle que vous êtes secrétaire d'Etat à la Défense. J'aimerais avoir un mot de réaction de vous, tout de suite, sur les propos qui ont été tenus au Sénégal par S. Royal, qui demandait pardon pour le discours prononcé à Dakar par N. Sarkozy. Il y a un jugement très sévère d'ailleurs de la majorité, et du Premier ministre notamment, parlant du "manque de dignité" en cette occurrence de S. Royal. Votre avis ?
 
Oui, c'est un sujet que je connais un petit peu. Je pense qu'elle engage une polémique très artificielle. Elle joue sur sa présence à Dakar pour revenir sur ce discours. Franchement, d'abord à ce discours, on lui a fait dire des choses, climat polémique de l'époque, qu'il n'avait jamais dit sur l'homme africain. Mais surtout, il y a eu avant le discours de Cotonou, que le Président avait fait avant d'être président, et il y a eu quelques temps après, l'an dernier, le discours du Cap où il a brossé un tableau de notre relation avec l'Afrique, des enjeux, des perspectives, qui, je dirais, était beaucoup plus important que celui de Dakar et permettait peut-être de lever certaines ambiguïtés. Alors, quand même, ça, ce n'est pas le plus grave. Le plus grave c'est que, au fond, au-delà de mots qu'on aurait peut-être pus mieux choisir, le discours de Dakar, pourquoi il a tellement dérangé ? Il a tellement dérangé parce que c'est aussi une interpellation aux Africains, y compris aux élites africaines, de se prendre en main, parce que on ne va tout de même pas faire croire, y compris à Dakar, que tout va bien, et que tout ce qui ne va pas, c'est la faute de tout le monde, sauf des sociétés africaines. Donc, à partir de là, cette interpellation, quand elle est formulée, elle dérange toujours. Vous savez, ça me ramène un peu aux propos que j'avais tenus à l'époque et qui m'avaient été reprochés, sur la Françafrique. Et puis, finalement, le Président, y compris il y a quelques semaines à Brazzaville, peut-être avec d'autres mots, mais n'a pas dit autre chose. Il faut que notre relation à l'Afrique change et ce n'est pas, comme l'a fait S. Royal, en s'inscrivant dans la demande de pardon, dans la victimisation qui est peut être d'un mot, aujourd'hui, d'une ère maintenant largement postcoloniale, où nous avons reconnu ce qu'il fallait reconnaître. Moi-même, en tant que secrétaire d'Etat aux Anciens combattants, j'ai, à plusieurs reprises rappelé, que le rôle des tirailleurs sénégalais dans les deux guerres avait été essentiel pour notre liberté et que c'était notre mémoire partagée, etc. Bon, aujourd'hui, il faut se tourner vers l'avenir. Le Président de la République a à plusieurs reprises donné un certain nombre de pistes. Moi, je pense que S. Royal et un certain nombre de mes anciens amis socialistes seraient bien inspirés, eux qui pour certains connaissent aussi bien l'Afrique et s'y intéressent depuis longtemps, d'avoir un discours un peu moins tourné vers le passé. Tout ça, c'est très démagogique, cela vise à tacler le Président de la République de manière facile, mais en réalité on voit bien que ça ne prend pas, et je pense que c'est une faute politique.
 
Mais, J.-M. Bockel, là, vous parlez du fond, c'est bien, mais je parle de l'état, enfin de l'état de la relation politique en France. Il est extrêmement rare qu'un leader de l'opposition, parce que S. Royal compte dans ce pays, aille tacler de façon aussi nette et aussi dure le Président de la République dans un pays étranger, non ?
 
Oui, je trouve que, franchement, je ne suis pas sûr que cela serve la qualité du débat politique en France, et on est, une fois de plus avec le Parti socialiste, et dieu sait si je connais bien le Parti socialiste pour avoir tant essayé de le transformer, avec ce sentiment que n'ayant rien à proposer parce que n'ayant pas fait sa mue, parce que n'ayant pas revisité sa doctrine politique, donc du coup chaque fois qu'il se passe quelque chose dans le monde, chaque fois qu'on est confronté à un grand sujet, la crise économique et sociale, la préparation du G20 puis les conséquences du G20, la question de notre sécurité, l'OTAN, aujourd'hui la relation à l'Afrique, eh bien, on est sur des vieux clichés, sur des vieilles lunes et sur une polémique permanente en se disant - je connais ce discours, je l'ai connu au PS -, "peu importe notre faible crédibilité, peu importe le fait qu'on soit pas d'accord entre nous, de toute façon ceux qui sont en responsabilité forcément génèrent des critiques et de l'impopularité, et le moment venu on ramassera la mise". Sauf, qu'aujourd'hui on constate que, dans les sondages, même si parfois ils indiquent effectivement la réalité de la crise, eh bien le Parti socialiste ne s'en sort pas bien, parce que justement cette attitude de polémique, y compris à l'étranger, contre toutes les traditions, ne renforce pas sa crédibilité.
 
Mais, J.-M. Bockel, vous parliez à l'instant de vos anciens amis, il n'y a plus d'ami du tout à gauche ?
 
Si, beaucoup, beaucoup, beaucoup d'amis à titre personnel, beaucoup d'amis socialistes avec qui je discute et qui souvent dans les conversations sont effondrés de ce qui se passe, comme j'ai pu moi-même le ressentir à certaines époques. Là, tout à l'heure, sur cette antenne, vous évoquiez T. Blair auquel je me référais souvent, mais combien de fois dans mes discussions... Les socialistes ne sont pas plus sots que les autres, simplement ils manquent d'audace. Combien de fois dans mes discussions, disais-je, à l'époque où on me taxait de blairisme, mes camarades, dont certains sont restés de bons amis, me disaient, "mais tu n'as pas tort sur tout, voire même on devrait s'inspirer de ce qu'ils ont fait à notre manière à nous, et quel dommage qu'on n'en ait pas le courage". J'ai le sentiment, vous voyez, quand j'ai accepté l'ouverture et donc j'ai été exclu du PS, certains me disaient : "tu pars peut-être au mauvais moment, peut-être qu'enfin après cet ultime échec le PS va-t-il vraiment se ressaisir". Mais on a vu ce qui s'est passé, on a vu le congrès de Reims, et aujourd'hui bientôt deux ans plus tard, j'ai le sentiment que les raisons qui m'ont fait partir non seulement ne se sont pas estompées mais ce sont encore, hélas, renforcées.
 
On finit sur ce sujet de la politique intérieure française. La Gauche moderne, donc c'est le mouvement que vous avez créé ; c'est quoi, votre destin, J.-M. Bockel ? Personne ne connaît son destin, mais je veux dire, c'est une idée, c'est quoi la Gauche moderne ?
 
Vous savez, si j'ai été à un moment donné à prendre mes distances avec le PS c'était autour d'idées. Comme j'ai commencé juste avant l'arrivée de L. Jospin à dire un certain nombre de choses, à développer un peu cette idée qu'une société même de gauche doit marcher sur deux pieds, à la fois la nécessité de permettre la création de richesse, de ne pas brider l'initiative, et de l'autre côté la cohésion sociale, la solidarité sans laquelle une société éclate - c'était bien avant la crise - eh bien, c'était des idées qui m'avaient animé. Vous savez, moi, j'ai été au gouvernement à l'époque de Mitterrand ; donc, je veux dire j'ai eu une longue carrière au PS, j'étais proche de Delors au même titre que D. Strauss-Kahn et S. Royal, et si à un moment donné, j'ai pris mes distances, ce n'était pas pour faciliter ma carrière, c'est parce que je croyais à des idées, et je n'ai pas changé. Et aujourd'hui, la Gauche moderne, ce n'est pas simplement l'aile gauche de la majorité qui doit recueillir des déçus du PS, c'est aussi, et ce sera de plus en plus, parce que nous partons de rien, une force de propositions. Nous ne serons pas dans la polémique. C'est facile de tacler son propre camp sur des petites phrases, etc. mais ça n'apporte pas grand-chose. Par contre, être force de propositions sur des sujets et sur les sujets demain, enfin qui sont déjà les sujets d'aujourd'hui. Ils sont très nombreux, "qu'est-ce que c'est, demain, en France, que la flexi-sécurité ? " ; donc vous avez le contrat de transition professionnelle, une première illustration, c'est-à-dire plus de souplesse pour l'économie, évidemment avec le respect de certaines règles, mais plus de solidarité pour ceux, et ils seront nombreux, et ils sont déjà nombreux, qui traversent des difficultés liées à l'emploi, etc. Dans ces domaines-là, nous devons être force de propositions. Nous le serons. Nous le serons également sur des questions de société, les questions de justice et de prévention, les questions de santé, d'autres sujets encore. Donc, notre destin c'est vraiment de nous installer. Moi, je fais un tour de France actuellement ; je vais chaque semaine dans une autre ville pour, bien sûr faire mon travail de ministre, mais également pour développer la Gauche moderne, pour montrer que nous avons une valeur ajoutée, que nous pouvons d'ailleurs contribuer le moment venu à ce que nous puissions poursuivre ces réformes dont nous incarnons, je dirais le caractère juste sans lequel aucune réforme n'est possible. C'est ça, notre destin.
 
Mais dites-moi, dans l'intimité, juste en un mot, c'est difficile à vivre de temps en temps d'être entre deux camps comme ça, d'essayer d'avancer ses idées ?
 
Oui, c'est difficile à vivre. Ça été difficile à vivre au moment où j'ai fait la transgression majeure, c'est-à-dire où j'ai quitté une formation politique, qui était ma famille depuis 34 ans, même si c'était une famille déchirée, c'est quand même là que j'ai fait toute ma vie politique. Donc, ça, ça été des moments très durs, y compris avec des amis, avec mon entourage personnel, il a fallu beaucoup en parler, etc. Et puis, ensuite, eh bien, évidemment, il y a aussi la chance d'être dans l'action, d'être dans la réforme, et aujourd'hui, c'est difficile de trouver une autre place souvent, et vous ne l'avez pas fait parce que vous ne restez pas à la surface des choses. Les journalistes me disent, encore la semaine dernière : " mais enfin, Monsieur Bockel, dites simplement que vous êtes de droite. Il n'est pas interdit de changer ; ça n'existe pas d'être à la gauche de la majorité ; si on est avec Sarkozy, on ne peut être que de droite". Ce qui est, soit dit en passant, une vision très française, parce que dans n'importe quel autre pays européen - moi je reste en lien avec toutes les gauches européennes également -, eh bien il peut y voir des coalitions, il peut y avoir des terrains d'entente, il est possible, surtout dans un moment de crise majeure, de travailler ensemble tout en gardant sa sensibilité, ses idées. Mais, vous voyez, en vous apportant cette réponse je vous dis que c'est dur parce que c'est un message qui ne passe pas naturellement dans un pays politiquement un peu figé comme la France. Mais, justement, cela me conforte dans la nécessité qu'il y a de faire bouger les lignes, de faire entendre une autre voix, de sortir de cet éternel schéma droite/gauche et essayer, encore une fois, de permettre à tous ces gens déçus de la gauche, non pas d'aller vers l'extrême gauche, la gauche de la gauche qui ne propose rien, mais de pouvoir peser. Et plus on se renforcera, plus on pèsera, au sein de cette majorité où il y a des gens de droite, où il y a des centristes, dans le sens d'une réforme, certes, mais d'une réforme juste. C'est ça notre mission. Oui, c'est dur.
 
Disons que la complexité fait peur. Je voulais vous parler de l'OTAN, mais la pendule nous a battus. Je vous remercie J.- M. Bockel.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 9 avril 2009