Texte intégral
Q - Il existe deux voies de sortie de crise, telles qu'on les qualifie : l'américaine et l'européenne. La première consiste en l'injection massive de milliards dans l'économie, la deuxième consiste en la régulation des marchés. Laquelle vous semble la plus efficace et quelles propositions la France prépare-t-elle pour le prochain sommet du G20 en avril ?
R - Je ne pense pas qu'il faille opposer les deux approches. Nous sommes confrontés à la même crise, qui est née de l'autre côté de l'Atlantique. Comme nos partenaires américains, nous avons mis en place un plan de relance substantiel afin d'éviter la transformation de la crise actuelle en récession durable. Les pays membres de l'Union européenne ont déjà mis plus de 400 milliards d'euros sur la table, ce n'est pas rien ! Mais tout autant que les effets de la crise, ce sont ses causes qu'il nous faut traiter.
C'est grâce à l'impulsion de Nicolas Sarkozy, sous Présidence française, que la première réunion du G-20 a eu lieu en novembre dernier. Et la réunion de Londres de jeudi a marqué un tournant historique ! Nous avons réussi à nous mettre d'accord sur les mesures à prendre pour une relance coordonnée et concertée, pour mieux réguler à l'avenir l'activité des marchés, pour une réforme ambitieuse du système financier international et pour le rendre plus ouvert aux pays émergeants.
Des engagements ont été pris concernant la lutte contre les paradis fiscaux. Je suis heureux de constater que nos partenaires russes, comme tous les autres membres du G20 et de l'Union européenne, se sont finalement montrés très largement sur la même ligne.
Q - Quelle est la différence entre les mesures anti-crise adoptées par la France et la Russie ?
R - Nos pays sont tous les deux affectés par la crise internationale. Cette dernière met en relief l'interdépendance des économies de l'Union européenne et de la Russie. Il y a un large consensus sur les mesures à prendre. La Russie comme la France ont injecté de l'argent dans leur économie et renforcé la protection sociale au profit des plus pauvres. La question qui se pose maintenant est celle de leur mise en œuvre. Je ne souhaite pas pour ma part commenter le détail des décisions prises par la Russie mais ce qui est important pour nos deux pays, c'est de voir dans quelle mesure cette crise nous permet de nous adapter aux contraintes de la mondialisation : ouverture nécessaire des marchés, transparence accrue, confiance des investisseurs, climat des affaires et ouverture réciproque aux investissements.
Q - La signature à Bruxelles de la déclaration bilatérale UE-Ukraine sur la modernisation du système de transport gazier du pays a eu lieu sans la participation de la Russie, en tant que pays producteur de gaz, ce qui a suscité la préoccupation des autorités russes et des administrations en charge des relations économiques extérieures. D'après vous, dans quelle mesure cette déclaration correspond aux principes de la Charte de l'Energie et à l'esprit des relations qui existent entre la Russie et l'Union européenne, principal consommateur de gaz russe ? Comment commentez-vous le résultat de la rencontre entre les représentants des sociétés Gazprom, Gaz de France-Suez, E.On Ruhrgas et Eni, à l'issue de laquelle a été annoncée qu'une telle approche rendait la déclaration de Bruxelles pratiquement irréalisable ?
R - Je voudrais avant tout dire que l'Union européenne n'a certainement pas pour objectif d'écarter la Russie du projet de modernisation du réseau gazier ukrainien ! En effet, comme l'a rappelé la Commission lors de la conférence de Bruxelles, la déclaration adoptée stipule explicitement la possibilité d'associer des partenaires tiers à la modernisation du réseau de transit gazier ukrainien. Et la Russie, dans le domaine de l'énergie et dans d'autres, c'est le partenaire de l'Europe dans une relation d'interdépendance qui doit être fiable et avantageuse pour tous.
Ne nous cachons pas la vérité : la crise gazière a entamé la confiance des Européens dans la Russie, et aussi dans l'Ukraine, ces deux pays ayant des responsabilités et des engagements contractuels en tant que pays producteur et pays de transit. Priver de gaz en plein milieu de l'hiver des dizaines de millions de consommateurs pris en otage est tout simplement inacceptable ! Je tiens d'ailleurs à rappeler que la Russie s'est déjà engagée en faveur de notre sécurité énergétique commune en signant le Traité sur la Charte de l'énergie et en rappelant, lors du G8 de St-Pétersbourg de 2006, sous présidence russe, les principes de la sécurité énergétique.
A mon sens, il est grand temps de dépassionner les questions énergétiques entre la Russie et l'Union européenne. Notre interdépendance énergétique nous invite à approcher ces enjeux de façon réaliste, pragmatique et plus confiante. Travaillons-y ensemble !
Q - Les fonctionnaires de la Commission européenne indiquent que l'avenir du Traité de Lisbonne est encore très peu visible ? Quelles perspectives voyez-vous, pour votre part ?
R - Nous souhaitons que le Traité de Lisbonne puisse entrer en vigueur dès que possible. Nous n'avons pas ménagé nos efforts dans ce sens pendant la Présidence française du Conseil de l'Union européenne. En matière de politique étrangère par exemple, les instruments offerts par ce Traité permettront de pérenniser et renforcer le rôle de l'Union européenne sur la scène internationale. L'importance de ce rôle a été démontrée lors de la crise géorgienne.
Q - Début mars, lors de la rencontre des ministres des Affaires étrangères de l'Alliance nord-atlantique, a été adoptée la décision de rétablir pleinement le fonctionnement du Conseil OTAN-Russie. A cette occasion, il n'a pas été avancé de demande à Moscou de respecter l'intégrité territoriale de la Géorgie dans les frontières précédentes au moment de la mention des relations russo-géorgiennes. Peut-on considérer que pour l'OTAN ce problème n'est déjà plus si actuel ?
R - La France a plaidé le 5 mars pour une reprise de la coopération entre l'OTAN et la Russie. Cela ne veut pas dire du tout que nous ayons changé notre point de vue sur le caractère inacceptable de la reconnaissance par la Russie de l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie ! La Russie s'est d'ailleurs totalement isolée sur ce dossier. Elle doit respecter ses obligations et ses engagements internationaux. C'est la position de tous les alliés, exprimés par le Secrétaire général de l'OTAN.
Nous souhaitons par ailleurs que les discussions engagées à Genève aboutissent. Les mécanismes de prévention et de règlement des incidents adoptés à Genève le 17 février doivent être mis en œuvre sans plus tarder !
Q - Dans l'une de vos récentes interviews, vous avez dit que la Russie, à la suite du lancement du projet de "partenariat oriental", ne doit pas se sentir "prise dans un encerclement", comme cela s'est produit lors de l'élargissement de l'OTAN. Vous n'avez pas exclu que la Russie puisse être également invitée à coopérer dans le cadre de ce partenariat. Est-ce des idées concrètes de participation de la Russie au partenariat oriental sont prêtes ? Avez-vous déjà invité la Russie à participer à ce partenariat, ne serait-ce qu'au niveau du statut d'observateur ?
R - Le Partenariat oriental qui sera lancé lors du sommet de Prague le 7 mai n'est dirigé contre personne, bien au contraire. Les pays auxquels il s'adresse sont demandeurs d'une relation renforcée avec l'Union européenne. Ne croyez-vous pas que la Russie aurait tout avantage à avoir à ses frontières une zone de prospérité et de stabilité ? L'Union européenne est prête à y contribuer.
Il y a des défis d'intérêt commun à relever : sécurité, énergie, pressions migratoires, développement économique. La Russie peut aussi y contribuer.
Q - D'après vous, quel délai minimum est nécessaire pour élaborer un Traité pour la sécurité européenne ? Quelles sont les exigences de la partie française à l'égard de ce traité que vous qualifieriez de cardinales, indiscutables, et lesquelles pourraient faire l'objet de compromis ?
R - Je me suis rendu récemment au Tchad où nous venons d'achever une mission dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et de défense. J'ai pu constater à quel point les hélicoptères mis à disposition de l'Union européenne par la Russie avaient contribué à son succès. Cette opération est l'exemple type de coopération concrète dans le domaine de la sécurité qu'il faut développer entre l'Europe et la Russie.
Concernant la proposition russe d'une nouvelle architecture de sécurité européenne, le président de la République a eu l'occasion à Evian puis à Munich d'indiquer notre disponibilité à discuter de la sécurité de l'Europe et de la sécurité en Europe. Nous souhaitons pour notre part préserver les mécanismes qui fonctionnent, qu'il s'agisse de l'Union européenne, de l'OTAN ou de l'OSCE. Ce qui ne nous empêche pas de travailler avec votre pays sur des projets concrets d'intérêt commun, comme l'Iran, l'Afghanistan, le terrorisme, la prolifération, la piraterie maritime... Les sujets ne manquent pas hélas.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 avril 2009