Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec la chaîne de télévision bosnienne "BHT 1" le 10 avril 2009 à Sarajevo, sur l'avenir européen de la Bosnie-Herzégovine, le soutien américain à l'adhésion de la Turquie à l'UE et le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN.

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Q - Monsieur Kouchner, bonjour. Merci de répondre à nos questions. D'abord, je voudrais avoir votre avis sur les entretiens que vous avez eus durant votre visite.
R - J'ai été agréablement surpris. Je crois qu'au cours de la rencontre avec les trois présidents, il y a eu beaucoup d'échanges, honnêtes et sincères. J'ai eu le sentiment, Carl Bildt, Karel Schwarzenberg et moi-même, le trio des présidents successifs de l'Union européenne, que nous obtenions des encouragements. J'ai l'impression que la situation est beaucoup plus positive qu'il y a six mois. Mon impression est bonne.
Q - Est-ce que l'on peut dire que votre visite conjointe affirme un soutien de l'Union européenne à la Bosnie-Herzégovine ?
R - Oui, mais nous vous avons simplement ouvert la porte. Les problèmes internes de la Bosnie-Herzégovine, les problèmes évidemment des Accords de Dayton, ce n'est pas facile. Il y a eu je ne sais combien de Premiers ministres, de présidents, de rotations, de comités ; je sais que tout cela est compliqué, mais cela a rendu la paix possible. J'ai constaté, et c'est ma profonde impression, que les gens ont oublié la guerre ; c'est bien. Ils ont oublié cette guerre énorme et cruelle. Leur avenir est bien sûr dans l'Union européenne comme celui d'autres pays des Balkans occidentaux.
Q - Les citoyens veulent adhérer à l'Union européenne, mais il y a beaucoup d'hommes politiques qui craignent cela.
R - Je suis d'accord. Il faut donc que les citoyens, comme vous dites, disent aux hommes politiques très clairement : "Nous voulons aller dans l'Europe". Je crois que c'est dans leur intérêt. Vous savez, ce n'est pas très populaire, dans l'Union européenne, cet élargissement permanent. Je crois que c'est nécessaire parce que vous êtes de la famille, nous sommes les uns et les autres des Européens.
Q - Qu'est-ce que les citoyens de Bosnie-Herzégovine peuvent attendre de la libéralisation des visas ?
R - Cela met du temps parce que tout le monde ne peut pas entrer dans l'Union européenne en même temps. Un rapport va être remis avant la fin de l'année et il y aura un élargissement du régime des visas. Déjà, pour la France, il y a pour les jeunes des facilités de délivrance des visas, qui sont d'ailleurs gratuits. Donc, je comprends que les Bosniens veulent absolument pouvoir voyager. Nous allons leur permettre, mais il faut quand même que les politiques ne bloquent pas tout le temps, que le système des partis soit plus souple.
Q - Quelles sont les relations entre Paris et Washington en ce qui concerne l'adhésion de la Turquie ?
R - J'aime beaucoup le président Obama, c'est un homme exceptionnel. Ses premières mesures ont été formidables. Mais les Etats-Unis ne sont pas membres de l'Union européenne. En matière d'élargissement, leurs conseils sont reçus avec beaucoup d'amitié, mais c'est aux Européens eux-mêmes de choisir. Je comprends les intérêts des Américains, parce que la Turquie est leur alliée. Ils ont des bases en Turquie. J'ai été un des partisans farouches, un des rares partisans de la venue de la Turquie dans l'Union européenne. Mais honnêtement, je trouve que nos amis turcs doivent faire attention, défendre avant tout la laïcité. Pour le moment, ils suivent la procédure d'adhésion : on ouvre des chapitres, nous continuons de les ouvrir. Le résultat n'est pas donné d'avance.
Q - Dernière question sur le retour de la France dans le commandement de l'OTAN.
R - C'est fait. Il fallait rentrer dans le tout petit bureau, le 39ème bureau. J'ai été responsable du Kosovo et j'ai été très engagé en Bosnie-Herzégovine. Quand on a des soldats qui risquent leur vie - et je viens de porter une gerbe aux 95 soldats français décédés -, il vaut mieux connaître les scénarios. A mon avis, il vaut mieux connaître les opérations et ne pas découvrir le plan stratégique au dernier moment. Par ailleurs, nous avons été membre fondateur de l'OTAN et nous avons toujours participé à toutes les missions. Il était normal de se méfier au temps du général de Gaulle ; il y avait l'armée américaine sur notre sol, avec des armes qui devaient être commandées par la France, mais c'était une autre époque.
Maintenant, le monde a changé et l'OTAN va changer. Nous allons discuter et proposer des visions stratégiques nouvelles pour l'OTAN : qui nous menace ? Qui ne nous menace pas ? Quels sont les dangers nouveaux ? Voilà ce que cela va nous permettre de faire.
Q - Avez-vous un message pour les citoyens de Bosnie-Herzégovine ?
R - Chers Bosniens, nous sommes vos amis. Nous ne sommes pas venus vous donner des ordres, il n'y a pas d'ordres à vous donner, pas même des conseils. Vous êtes dans la famille européenne, venez rejoindre le reste de la famille. Ne vous laissez pas arrêter par des obstacles, ni administratifs ni politiciens. Vous êtes ensembles. Vous avez fait le plus important et le plus difficile, vous avez construit la paix. Maintenant, vous pouvez choisir votre destin politique. A mon avis, à mon avis seulement, il est en Europe. Soyez les bienvenus. Mais pas tout de suite, il y a des conditions.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2009