Interview de M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, à Canal Plus le 15 avril 2009, sur l'ouverture des états généraux de l'outre-mer, la participation syndicale aux débats et l'accès de Mayotte au statut de département.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben : Bonjour Y. Jégo.
 
Bonjour.
 
M. Biraben : Soyez le bienvenu. Nous avons eu tout à l'heure E. Domota, le porte-parole du LKP au téléphone à qui nous avons posé une question. Nous allons vous poser la même. A quoi vont servir les états généraux d'Outre Mer ?
 
A permettre de dresser les bases d'un nouveau modèle pour l'Outre Mer. On a vu dans cette crise qu'il y avait une crise sociale - d'ailleurs monsieur Domota est un leader syndical, il était à la tête de revendications syndicales - mais qu'au-delà de ça, il y avait d'autres types de problèmes, des problèmes de société, des problèmes de modernisation du format économique, des problèmes de relation avec l'environnement de chacun de ces départements. Les états généraux c'est l'idée de dire : on permet à la société de s'exprimer et puis ensuite on prendra un certain nombre de décisions sur la base de ce qui aura été dit ou de ce qui n'aura pas été dit en fonction de la façon dont les uns et les autres s'empareront de ces états généraux dans les quatre départements d'Outre Mer, dans toutes les collectivités d'Outre Mer et pour les ultra marins dans l'hexagone.
 
G. Delafon : Alors précisément les états généraux d'Outre Mer, ils ont été voulus par le président de la République en février dernier pour répondre à des conflits sociaux d'abord. Or précisément les syndicats boycottent ces états généraux. Quel est l'intérêt alors si les syndicats ne sont pas là ?
 
Les états généraux ils ont été voulus par le président de la République en disant, au-delà de la crise sociale sur laquelle je propose moi président de la République des mesures sociales, un plan de 580 millions d'euros qui a d'ailleurs permis la signature partout d'accords de sortie de crise, il faut le noter, au-delà de ça le président de la République a dit : cette crise elle traduit autre chose ; elle traduit un modèle qui s'est usé, elle traduit un certain nombre de problématiques qu'on ne peut pas balayer simplement parce qu'on a signé un accord social avec les syndicats. Pour sortir de cette crise, il faut aller plus loin, il faut mettre en mouvement la société pour qu'elle réfléchisse à son avenir. Il faut ouvrir les portes d'un nouveau modèle. Il a même dit le président de la République, "sans tabou".
 
G. Delafon : Et ça, ça peut se faire sans les syndicats ?
 
Bien sûr. Les syndicats sont partie prenante de la société. D'abord il y a des syndicats qui participeront, d'autres qui ne participeront pas. Chacun prend ses responsabilités, chacun peut dire "j'apporte des idées", chacun peut dire "je ne veux pas apporter des idées", chacun peut dire "c'est politique", chacun peut vraiment participer. Il y a beaucoup d'élus qui ont d'ores et déjà fait passer le message comme quoi ils participeraient même s'ils n'étaient pas de notre famille politique. On va voir ce qui ressort des états généraux, on va mesurer le degré d'implication des sociétés concernées et puis au bout de ces états généraux, le Gouvernement prendra un certain nombre de décisions. Moi je crois qu'il est bien de précéder les décisions quand il y a des décisions de fond, d'un dialogue, d'une concertation, d'un temps d'expression. Ceux qui ne veulent pas participer, ils prennent leurs responsabilités.
 
G. Delafon : Certes mais l'urgence ça reste quand même l'économique et le social, ça on l'a vu. C'était clair dans le conflit et en Guadeloupe et en Martinique. Or tout dernièrement, les accords que vous avez signés, notamment l'accord Bino, le LKP dit [que] cet accord, sa pérennité n'est pas assurée, l'augmentation de salaire qu'on nous a promise au bout de trois ans, elle ne tiendra plus. Qu'est-ce que vous répondez à ça ?
 
Ce n'est pas vrai, l'augmentation de salaire accordée par les entreprises est une augmentation de salaire qui est pérennisée. La question qui se pose c'est dans trois ans lorsqu'un certain nombre de mesures annexes, comme par exemple les 100 euros par mois du RSA transformé, s'interrompront, qu'est-ce qui se passera ? On a pris des engagements, notamment de dire s'il faut poursuivre quelques années de plus, le temps que l'économie reprenne de la vigueur. Le Gouvernement est prêt à le faire. Vous voyez, on apporte des réponses.
 
G. Delafon : Donc vous dites que le Gouvernement est prêt à aller au delà des trois ans prévus ?
 
On est prêt à aller au-delà des trois ans prévus, le temps que l'économie puisse absorber des augmentations de salaire. Les augmentations de salaire, il ne suffit pas de le décider dans une salle pour que l'économie puisse s'absorber, il faut aussi que l'activité économique le permette. Il y a une crise, nous venons de voter une loi importante à l'Assemblée nationale la semaine dernière pour soutenir l'économie. S'il faut un peu plus de trois ans pour redresser l'économie et qu'il faut poursuivre un certain nombre de mesures, le Gouvernement le fera pour ne piéger personne.
 
G. Delafon : Mais est-ce que sur ce point précis, ça n'aurait pas été au patronat local de prendre ses responsabilités et de payer, lui, pour cette augmentation de salaire ?
 
Le patronat local a pris une partie de ses responsabilités. Si vous me demandez si j'aurais souhaité qu'il puisse aller un peu plus loin, oui sans doute puisque le patronat de Guadeloupe par exemple a été moins loin que le patronat de Martinique qui a été plus en avant. Ce n'est pas à moi de juger. Ce sont des partenaires sociaux, ils négocient librement sur les augmentations de salaire. L'Etat joue son rôle d'amortisseur social. On voit dans cette crise combien c'est important. Et on apporte des garanties dans le temps. Il y a une volonté de dire : on apporte une réponse sociale mais au-delà de ça il faut une réponse de société, il faut moins d'importations, plus de productions locales. Il faut remettre une partie de la société en activité parce qu'il y a trop de chômage. Enfin il faut redessiner le modèle, d'où les états généraux.
 
G. Delafon : Et un prix de l'essence qui soit digne - et ça c'est un thème qui vous est cher. Vous négociez actuellement. Est-ce que les Guadeloupéens et Martiniquais peuvent espérer très sincèrement une baisse des prix de l'essence assez rapidement ?
 
On a déjà marqué des points, l'essence aujourd'hui en Guadeloupe et en Martinique est de 2 centimes en dessous de la métropole. Donc on a fait une longue partie du chemin. Ce qu'il faut maintenant assurer c'est que dans le temps, on n'aura pas des hausses incompréhensibles. Quand vous avez une hausse de 50 centimes du prix de l'essence en quelques mois sans que vous ne compreniez pourquoi, il y a un vrai problème. On veut garantir la transparence, c'est aussi ce qui est demandé à l'Etat. Que l'Etat soit le garant de la transparence pour que la concurrence joue pleinement. On le fera sur l'essence, on le fera sur le reste de la formation des prix et c'est une demande très forte qui est issue directement de la période que nous venons de traverser.
 
G. Delafon : Alors il y a un autre point, le président de la République avait prévu de faire une visite, en avril je crois, en Guadeloupe. Or finalement cette visite semble reportée. Est-ce que vous avez une date précise pour la prochaine ?
 
Je n'ai pas de date. Vous savez, l'agenda du Président, il est beaucoup lié à la situation économique internationale, au calendrier international mais il a promis qu'il irait dans le cadre de ces états généraux aux Antilles et il ira dans le cadre de ces états généraux aux Antilles.
 
G. Delafon : Et ce report était dû à quoi ?
 
A son calendrier tout simplement. Ca ne vous a pas échappé que l'actualité du Président était un peu active, que la scène internationale demandait une forte mobilisation et que les états généraux se poursuivant sur encore plusieurs semaines, il ira comme il l'a promis dans le courant des états généraux pour marquer par sa présence l'intérêt de l'Etat pour l'avenir des Antilles.
 
M. Biraben : Votre discours n'est évidemment pas le même que celui d'E. Domota tout à l'heure au téléphone. Il a l'air assez ferme et la situation a l'air, du côté du LKP en tous cas, assez tendue. Est-ce que vous craignez une reprise des manifestations ?
 
Je ne suis pas devin mais je dis : ceux qui prendraient la responsabilité après une crise aussi lourde qui a mis une partie de l'économie à genou... On a plus de 1.000 entreprises qui sont au chômage partiel ; c'est une catastrophe économique qui peut s'annoncer si on n'y prend garde. On a fait beaucoup d'efforts pour la relance, pour les mesures à moyen terme. Je vous ai parlé de la loi de développement économique de l'Outre Mer, c'est un gros effort de l'Etat pour soutenir les entreprises. Ceux qui prendraient la responsabilité de rouvrir un conflit alors qu'il n'y a par nature aucune raison de le rouvrir puisque tout ce qui était dans les accords s'applique dès cette année et que la question qui se pose de savoir si dans trois ans éventuellement, il y aurait un problème, j'ai apporté la réponse de l'Etat en disant nous poursuivrons au-delà de ces trois ans si nécessaire. Donc je crois qu'il y a des moments où il faut savoir cesser le conflit, rentrer dans une autre période qui est la période de la concertation, celle des états généraux. Je regrette que monsieur Domota ne veuille pas y participer mais la politique de la chaise vide après tout, c'est sa stratégie. Je n'ai pas à la juger. Et puis celle de la reprise de l'activité du travail parce que la société antillaise ne s'en sortira pas si l'activité ne reprend pas durablement, ce qui est d'ailleurs le cas aujourd'hui. Aujourd'hui tout est redevenu normal. Une fois que la tempête a soufflé, le soleil est revenu.
 
M. Biraben : On va passer à une question de spectateur tout de suite avec Léon.
 
L. Mercadet : Oui bonjour monsieur Jégo. Question de Gaëlle, c'est une question que, j'avoue, je me pose moi-même depuis à peu près 50 ans. Pourquoi garder la nuance "Territoires d'Outre Mer" et ne pas mettre tout le monde dans le département ? C'est vrai oui, au fait.
 
D'abord ce n'est pas la nuance "Territoires", c'est la nuance "Collectivités d'Outre Mer" et "Départements" pour les autres catégories. C'est une vraie question. Je pense que dans l'atelier "Gouvernance" des états généraux, on va poser cette question. Est-ce qu'il faut un modèle unique ? Est-ce qu'on peut gérer Saint-Pierre-et-Miquelon comme on gère la Polynésie française ou comme on gère La Réunion ou les Antilles ou est-ce qu'il faut, comme c'est le cas aujourd'hui, plusieurs types, est-ce qu'il faut une adaptation ? On peut ouvrir beaucoup de débats sur ce sujet. Moi je n'ai pas la réponse toute faite.
 
G. Delafon : Précisément, question pour vous, secrétaire d'Etat à l'Outre Mer. Le 29 mars dernier, Mayotte, dans l'océan Indien, est devenu le 101ème département français, 5ème département donc d'Outre Mer. On a envie de vous poser une question : pourquoi ?
 
Parce qu'ils l'ont souhaité et qu'ils sont Français depuis 1841, que chaque fois que la question a été posée de leur appartenance à la France, notamment en 1974, au moment où les Comores se sont séparés de la France, Mayotte a souhaité rester terre de France. Et que ce changement - Mayotte était une collectivité d'Outre Mer, c'est devenu un département d'Outre Mer - c'est un changement statutaire qui va d'ailleurs nous permettre de remettre à plat des systèmes qui ne sont pas très acceptables aujourd'hui parce que savez-vous qu'à Mayotte, la polygamie existe. Je ne suis pas sûr que dans la République française, on puisse accepter la polygamie ou le mariage des jeunes filles à 16 ans.
 
G. Delafon : Justement cette espèce de clash un petit peu de civilisation, est-ce que ce n'est pas un peu dangereux de créer une espèce d'îlot de prospérité occidentale que sera Mayotte au sein d'un archipel comme les Comores ? Il y a à peu près 60 000 clandestins qui affluent chaque année, je crois, à Mayotte.
 
Votre réponse c'est qu'il faut appauvrir Mayotte pour les rendre aussi pauvres que leurs voisins, comme ça ils seront plus heureux.
 
G. Delafon : Est-ce qu'il ne fallait pas passer un accord stratégique de développement avec tout l'archipel ?
 
C'est ce que nous sommes en train de faire et je pense que le fait que Mayotte devienne un département, va permettre aussi de mieux négocier avec les Comores. Il y a trente ans de tension avec les Comores, il faut en sortir.
 
M. Biraben : On va passer au j'aime, j'aime pas tout de suite avec d'abord ce sondage IFOP Paris Match qui dans les personnalités les plus aimées des Français classe J. Chirac en tête.
 
e dois répondre j'aime ou j'aime pas ?
 
M. Biraben : Absolument, c'est le principe.
 
Moi j'aime l'idée que les Français apprécient quelqu'un qui a donné autant de sa vie pour le service public et l'intérêt général. Quand on est aux affaires, on prend des responsabilités, on prend des coups mais je trouve plutôt sain qu'il y ait une reconnaissance vis-à-vis de ceux qui ont passé leur vie au service des autres.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement,