Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants, dans "Liberté" du 13 mai 2009, sur le devoir de mémoire entre la France et l'Algérie et les contentieux des pensions et des essais nucléaires.

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Circonstance : Déplacement en Algérie, les 13 et 14 mai 2009

Média : Démocratie et liberté - Liberté

Texte intégral

1°- Question : Une vive polémique oppose Alger et Paris sur le devoir de mémoire, en raison du refus de la partie française de présenter des excuses sur les méfaits du colonialisme en Algérie. Cette question sera-t-elle à l'ordre du jour lors de la visite du président algérien en France, en juin prochain ?
Lors de son voyage en Algérie, il y a maintenant un peu plus d'un an, le Président Sarkozy a reconnu publiquement les crimes de la colonisation, même s'il a rappelé que le système colonial, profondément injuste par nature, n'avait pas empêché que des relations parfois fraternelles puissent s'établir entre Français et Algériens. Les représentants de l'Etat français ont eu d'autres occasions depuis lors pour réitérer ce discours, aussi bien en France qu'en Algérie, sans double langage. La France assume les pages sombres de son histoire, elle doit le faire. Je crois que beaucoup a déjà été dit et écrit en France sur ce sujet, la recherche historique ayant fait de nombreux progrès. L'Etat a maintenant ouvert la grande majorité de ses archives relatives à l'Algérie. Du côté français, nous nous efforçons de comprendre la sensibilité des mémoires algériennes à l'endroit d'une période que beaucoup de membres du gouvernement français n'ont eux même pas connue. Nous respectons la douleur que peut causer le souvenir des morts dans certaines familles, des deux côtés de la méditerranée, et nous respectons la légitimité du combat mené par les Algériens.
Aussi je ne pense pas, comme vous semblez l'entendre, qu'une polémique existe entre les Etats français et algérien au sujet des questions de mémoire, même s'il reste sans doute des attentes. Les propos du Président Sarkozy ont été bien accueillis par le Président Bouteflika. Cette étape a constitué un pas positif dans la relation et sans doute nous pouvons encore progresser, de part et d'autre, vers une vision plus apaisée et consensuelle de l'histoire. Il y a certes des dossiers liés à notre passé commun que nous nous efforçons de traiter sans faux semblant, y compris d'ailleurs à l'initiative de la partie française, et nous restons à l'écoute de la partie algérienne sur ces sujets. Le dernier exemple en date est la signature toute récente d'une convention de partenariat entre les archives nationales algériennes et françaises.
Essayons de convenir ensemble de ce qu'il convient de faire aujourd'hui pour améliorer notre coopération et être, dans nos relations entre Etats voisins et partenaires, les plus constructifs possibles, en pensant avant tout à notre jeunesse. La France est désireuse de contribuer à l'essor de l'Algérie, de son économie et de sa place dans les relations internationales et dans la construction d'un espace méditerranéen plus solidaire. C'est de tout ceci dont les deux Chefs d'Etat conviendront, j'en suis persuadé, de parler ensemble.
2- Question : Dans le cadre de la revalorisation des pensions des anciens combattants français, il a été décidé par votre gouvernement l'application de cette mesure aux anciens combattants issus de pays qui étaient sous administration française, dont les Algériens. Peut-on savoir où en est la mise en oeuvre de cette opération ?
Près de 47 000 pensions militaires sont effectivement versées aujourd'hui en Algérie à des anciens soldats de l'armée française ou à leurs veuves.
Ce chiffre important est lié à l'histoire qu'ont partagée nos deux pays : ce sont 200 000 soldats algériens qui ont été mobilisés au cours de la première guerre mondiale et plus de 150 000 qui ont pris une part déterminante, saluée par tous les pays alliés, à la victoire contre le nazisme durant la seconde guerre mondiale.
Aussi, quand le gouvernement français a décidé en 2007 de revaloriser les pensions militaires des ressortissants des pays anciennement placés sous administration française, c'est l'Algérie qui a bénéficié le plus des nouvelles dispositions. Celles-ci sont aujourd'hui totalement appliquées en Algérie : ce sont donc plus de 4,7 milliards de dinars qui sont versés chaque année aux 36 000 anciens combattants ou veuves pensionnées, actuellement recensés en Algérie. Tous ces bénéficiaires perçoivent aujourd'hui des retraites du combattant ou des pensions militaires d'invalidité identiques à celles perçues par leurs frères d'armes français.
Mais je voudrais préciser, qu'au-delà du montant des pensions, aujourd'hui aligné sur les pensions françaises, c'est aussi la législation applicable qui a été « décristallisée » : les demandes de réversion pour les veuves, celles portant sur les pensions d'invalidité, sont dorénavant recevables dans les mêmes conditions en Algérie qu'en France.
C'est d'ailleurs la raison principale de la réouverture à Alger depuis le 15 octobre dernier d'un service de proximité, rattaché à notre ambassade et dédié à cette population. Il est désormais l'interlocuteur unique des anciens combattants de l'armée française résidant en Algérie pour les aider dans les démarches administratives nécessaires à l'examen de leurs droits, mais aussi pour leur apporter, en cas de besoin, un soutien dans le domaine médical et social. Enfin, j'ai demandé à ce que l'action de ce service soit complétée par une diffusion, la plus large, de l'information utile à nos vétérans : une brochure d'information sur les droits et démarches, a été rédigée. Elle est aujourd'hui « doublée » par l'ouverture d'un site Internet consultable à l'adresse suivante http://www.acvg-alger.org .
Cet effort, au moment où comme vous le savez sans doute, la réforme de notre administration en France va se traduire par des contraintes budgétaires et une rationalisation des effectifs, doit être signalé. Il concrétise la reconnaissance du gouvernement français et de la nation toute entière envers ceux qui sont battus pour elle.
3°- Question : Après la décision de Matignon d'indemniser les victimes des essais nucléaires français, dont celles de Reggane en Algérie, pouvez-vous, Monsieur le Ministre, nous donner d'avantage de précisions sur le sujet ?
Il s'agit d'un projet de loi, annoncé par le ministre de la Défense, M. Hervé Morin en novembre dernier et inscrit à l'ordre du jour du Parlement en 2009. Ce texte, qui concerne la totalité des victimes des essais nucléaires français, sans discrimination, aucune, n'exclut pas la question des populations algériennes. Même si je ne peux vous en confirmer définitivement l'issue, s'agissant d'un projet de loi qui doit être examiné et voté en termes identiques par les deux chambres du Parlement. Mais mon sentiment est que la question de l'indemnisation des Algériens sera rapidement traitée. Comme Mr Morin, ministre de la défense l'a indiqué, le principe d'un droit à l'indemnisation des victimes qui ont été exposées lors des essais est désormais posé. Nous devons reconnaître aujourd'hui les victimes, toutes les victimes.
A la demande de l'Algérie, l'AIEA a effectué en 1999 une étude de la situation radiologique au Sahara à laquelle la France a apporté son concours. Par ailleurs, les Autorités françaises ont publié un fascicule qui fait le point sur les essais dans le Sahara, document remis aux autorités algériennes et mis en ligne sur le site de notre ambassade à Alger.
L'Etat français reconnaît que les essais nucléaires effectués dans le Sahara algérien puis en Polynésie entre 1960 et 1996 avaient eu une incidence sur la santé des militaires et des populations civiles. Nous avons arrêté une liste de maladies liées aux effets de la radioactivité. Nous allons donc introduire dans le décret d'application un seuil d'exposition à partir duquel les demandes d'indemnisation seront prises en compte. Si le texte est voté nous accorderons des indemnisations.
Source http://www.ambafrance-dz.org, le 13 mai 2009