Interview de Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à "Canal lus" le 20 mai 2009, sur la politique gouvernementale de soutien aux investisseurs notamment dans les pays émergents.

Prononcé le

Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben, G. Delafon et L. Mercadet.- G. Delafon : De Pékin à Rio, c'est la promotion des entreprises françaises, des TGV et des réacteurs EPR. Pas facile en pleine crise ! Les chiffres du commerce extérieur sont mauvais, et la question qui se pose c'est de savoir si la France sera au rendez-vous à l'heure de la reprise.

M. Biraben : Bonjour A.-M. Idrac.

Bonjour.

M. Biraben : Soyez la bienvenue.

G. Delafon : Bonjour.

M. Biraben : Est-ce que le plus dur est passé pour les entreprises françaises qui exportent au milieu de cette crise ?

C'est incertain. Ça reste très incertain parce que évidemment les exportations ça dépend de ce qui se passe dans les autres pays, par définition. Chez les pays européens, ça commence à aller peut-être un peu moins mal. Chez les pays émergents, au premier trimestre, ça n'a pas été fameux, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais ce que je constate et ce que je trouve absolument formidable, c'est qu'il n'y a jamais eu autant de PME françaises qui se préparent à l'exportation, qui vont sur des Salons, dans des voyages et les choses comme ça, donc ça prépare effectivement l'avenir.

M. Biraben : D'aucuns parlaient de lueur, d'amélioration. Vous ne la voyez pas ?

Ecoutez, il y a des améliorations d'un mois sur l'autre, et nous avons eu un peu moins à payer sur le pétrole les derniers mois mais malheureusement le pétrole remonte, ce qui est un signe de la reprise par ailleurs. Je crois que nous sommes en train de voir quelques petites lueurs de-ci, de-là et le plus important, encore une fois, c'est de se positionner sur l'avenir en innovant, en allant sur les nouveaux marchés.

G. Delafon : Justement, sur la question de l'avenir, tous les experts sont d'accord pour dire que lorsqu'il y a une reprise, (en ce qui concerne) les exportations ça favorisera les pays comme l'Allemagne mais que la France redémarrera beaucoup plus lentement. Pourquoi ?

D'abord tous les experts ne disent pas forcément ça, et aujourd'hui on est bien content de voir que notre situation est meilleure que celle des autres pays de l'OCDE, et en particulier que notre chute de croissance est moins mauvaise, moins pire on pourrait dire, que celle de l'Allemagne. Nous avons, nous, une moins forte dépendance que l'Allemagne vis-à-vis des exportations.

G. Delafon : C'est une bonne chose ou pas ?

Aujourd'hui, ça fait que nous avons moins de chute de notre production comme pour la Chine.

G. Delafon : Certes ! Mais à l'heure de la reprise...

Alors, ce qu'il faut faire c'est se préparer à la reprise. Donc, comment est-ce qu'on fait pour se préparer à la reprise ? De plus en plus de PME sur les marchés internationaux, de plus en plus d'innovation parce qu'il y a vraiment un lien direct, étroit entre innovation et exportations. Et puis, des pays sur lesquels on n'est pas tout à fait assez présent. On n'a pas loin de 60 % de nos exportations sur l'Europe, il faut aller en Chine, en Inde, au Brésil, au Moyen-Orient évidemment.

G. Delafon : Et ça on le fait ?

Et ça, on le fait, on le fait de plus en plus. Vous voyez, par exemple, moi, j'ai été trois fois en Chine en moins d'un an, dans une dizaine de villes chinoises. Là, je rentre du Brésil. Nous avons toute une série d'actions, par exemple, sur l'Amérique Latine où les augmentations croissent très forts, mais on ne part de très haut.

G. Delafon : Et on les aide ces entreprises qui veulent aller sur les marchés émergents ?

Oui ! J'ai complètement restructuré l'année dernière tout l'appareil d'aide aux exportateurs avec davantage de subventions pour aller sur des salons, avec un accompagnement beaucoup plus professionnel. Et moi, ce qui me fait très plaisir, je dois dire, c'est que mes clients, parce que mes clients c'est les entreprises - j'en ai réuni encore, hier, tout un groupe à Sophia-Antipolis sur l'innovation - me disent : « vos systèmes d'aides, de garanties, de subventions, vraiment ça marche, c'est bien ».

G. Delafon : Donc, à l'heure de la reprise, on sera aussi performant que les Allemands.

La performance c'est autre chose, parce que c'est la compétitivité, c'est l'innovation, je l'ai déjà dit plusieurs fois, mais c'est aussi les coûts, l'adaptation de notre appareil de production, et donc c'est la politique générale du Gouvernement qui tend effectivement à nous rendre plus réactifs et plus compétitifs.

G. Delafon : Vous parlez des marchés émergents, il y a aujourd'hui quelque chose d'intéressant, il y a un sommet Union européenne - Chine qui se déroule à Prague. Alors, la Chine renoue un peu avec l'Union européenne, le précédent sommet avait été annulé en France.

Reporté.

G. Delafon : Reporté, oui ! En tout cas, il n'a pas eu lieu en France. Est-ce que vous direz que le problème qu'on a eu avec la Chine est passé ?

Vis-à-vis de la Chine, ce que l'on voit apparaître c'est un énorme déficit commercial, il est énorme à l'échelle européenne et il est énorme à l'échelle de la France.

G. Delafon : On est le combientième fournisseur de la Chine, la France ?

Nous, nous ne sommes pas excellents.

G. Delafon : en 14e , 15e, oui.

Voilà, 14e-15e, quelque chose comme ça.

G. Delafon : Oui, c'est pas terrible !

Oui, oui, on exporte 9 milliards mais on a un déficit de 10 milliards, enfin, bon, c'est absolument considérable. L'Union européenne elle commence à avoir un déficit par rapport à la Chine du même ordre de grandeur que les Etats-Unis. Alors, vis-à-vis de la Chine, moi je pense qu'il faut la considérer comme ce qu'elle est devenue aujourd'hui, c'est-à-dire une grande puissance avec des droits, parce que c'est un pays qui est encore sur cette mesure en développement, mais aussi des responsabilités. Et lorsque nous avions la présidence française, j'avais proposé par exemple que sur les sujets économiques, on s'intéresse à l'environnement, on s'intéresse aux investissements, et à la loyauté pour l'accueil des investissements, et puis on s'intéresse à la protection de la propriété intellectuelle.

G. Delafon : Mais est-ce que ça nous a coûté cher, le Dalaï Lama ?

En pratique, il n'y a pas eu énormément de conséquences visibles, et la dernière fois que je me trouvais en Chine, c'est-à-dire au mois d'avril, juste après le communiqué commun entre le Président Sarkozy et le Président chinois, on avait vu tout de suite se renouer les grands partenariats sur l'aéronautique, tiens, tenez, par exemple, l'usine d'assemblage de l'A320 que j'ai visitée à Tianjin, également sur le ferroviaire, sur le nucléaire évidemment. Il n'y a pas eu d'effet direct.

M. Biraben : On va passer à une question de spectateur pour vous, tout de suite.

L. Mercadet : Oui, bonjour Madame la ministre. C'est une question sur la Chine justement, mais à l'échelle de l'Europe, pas de la France, une question de Silvère qui demande tout simplement : « Pourquoi l'Europe ne protège pas plus nos marchés et nos unités de fabrication face à la déferlante chinoise ? ».

Oui, alors nous avons résolument choisi, et heureusement, en Europe, de ne pas être protectionnistes. Qu'est-ce qui se passerait si on était protectionniste ? Eh bien, pour un pays comme la France, par exemple, qui est le cinquième exportateur mondial, dont beaucoup d'emplois dépendent de l'exportation, il y aurait de la fermeture, et puis surtout il y aurait encore plus de délocalisations puisque les grandes entreprises iraient fabriquer encore plus qu'elles ne le font sur le marché chinois ou indien, etc.

G. Delafon : Donc, on aurait plus à perdre qu'à gagner.

Voilà ! Mais, moi ce que je pense c'est que nous devons vis-à-vis de la Chine, comme d'un certain nombre de pays, non pas être protectionnistes, c'est d'ailleurs absolument pas ce qui a été décidé par le G20, etc., mais être offensifs, c'est-à-dire innover, c'est-à-dire exiger la réciprocité dans les négociations, c'est-à-dire exiger d'être traités de la même manière que d'autres investisseurs par rapport par exemple à l'environnement. Donc, moi, je suis pour une Europe à l'offensive, pour une Europe dynamique.

G. Delafon : Mais comment on fait pour être offensif avec les Chinois, on ne va pas les forcer à acheter nos produits ?

Non ! Mais ils achètent des produits quand ils sont bons, ils sont comme tout le monde. D'ailleurs, nous, si nous achetons des produits c'est parce que il y a un rapport qualité-prix qui convient aux consommateurs. Regardez en Chine, nous vendons très bien par exemple tout ce qui est nos énergies. J'ai réuni, là, récemment, à Pékin, 50 entreprises françaises qui sont dans le développement durable et qui ont des marchés, et qui vont avoir des marchés sur l'eau, sur les déchets, sur l'efficacité énergétique, des choses comme ça. Quand on a des technologies et un bon rapport qualité-prix, on n'est pas plus mauvais que les autres, bien au contraire, et c'est ce qui fait tout le succès de plus en plus de nos PME accompagnées ou en accompagnement de nos grands groupes.

M. Biraben : Vous parlez beaucoup d'innovation et également de vert, vous pensez que ça peut être un marché pour les PME françaises ?

Oui, tout à fait ! J'ai fait, là, récemment, une rencontre à Paris après en avoir fait dans chacun des pays où je me rends sur les éco-industries françaises. Il y a une demande mondiale absolument formidable. Partout, par exemple dans tous les plans de relance, il y a une partie verte.

G. Delafon : Et là, c'est un domaine où est un leader donc ?

Et c'est un domaine dans lequel on est très bon parce que on a de l'ingénierie, des très grands groupes, et puis plein de petites boîtes innovantes.

G. Delafon : Donc, quand la reprise va prendre, la France va inonder le monde de ses produits en développement durable.

En tout cas, j'organise les choses pour que l'on puisse effectivement être bien positionné.

G. Delafon : Alors, vous avez organisé aussi la présidence française de l'Europe, si j'ai bien lu mes fiches. Quel regard vous portez aujourd'hui sur la campagne des européennes ?

Ce que je trouve assez dommage c'est que finalement il n'y a pas beaucoup de partis qui parlent de l'Europe. Et malheureusement, il y a une bonne partie des arguments qui sont anti-Sarko, anti-gouvernement, bon. Franchement, c'est dommage parce que dans la crise mondiale, si on n'était pas convaincu qu'il y avait besoin d'Europe, franchement maintenant on le voit. Et si on n'était pas convaincu qu'on peut faire de la politique et on peut faire avancer l'Europe comme on l'a fait sous la présidence française...

G. Delafon : ... oui, mais quand il s'agit de mettre au point un plan de relance commun, l'Europe n'y arrive pas.

Ecoutez, il ne faut pas regarder les choses comme ça. On a réussi à coordonner des plans de relance, c'est normal que ça soit différent, je veux dire. En Espagne, leur problème c'était l'immobilier ; à la City, à Londres, leur problème c'était surtout la finance ; dans plusieurs pays, il avait des problèmes automobiles. Donc, on a coordonné nos plans de relance, on aurait peut-être pu le faire encore mieux si la Commission avait pris davantage d'initiatives, mais ce qui est très...

G. Delafon : ... elle ne l'a pas assez fait, la Commission ? Elle a été en dessous de ce que vous attendiez ?

Ecoutez, ce qu'on a réussi à faire c'est à ce que ça soit les politiques, et en particulier la France, le Président quand on avait la présidence française, qui donne le la, qui impulse, et je peux vous dire, moi qui vais à travers le monde, que ça s'est vu. Ça s'est vu de Chine, ça s'est vu d'Inde, ça s'est vu du Brésil, ça s'est vu du Moyen-Orient. Je l'ai vraiment vu à travers le monde, c'est l'Europe qui est de retour parce que l'Europe réussit à dire des choses fortes, par exemple sur la régulation, sur un nouveau capitalisme ou des choses comme ça.

G. Delafon : Donc, ce qui se passe aujourd'hui, là, le Sommet Europe - Chine, c'est important, l'Europe doit faire entendre une voix unie face à la Chine.

Je trouve que c'est important de faire entendre une voix unique, de ne pas être naïf et aussi de se projeter sur l'avenir. Par exemple, les négociations sur le climat, donc on parlait de développement durable, les négociations sur le climat, pousser la Chine, aider la Chine à prendre des positions qui soient conformes à son statut, encore une fois, de grande puissance, c'est très, très important.

M. Biraben : A.-M. Idrac, on va passer maintenant au j'aime/j'aime pas. Vous allez nous dire si vous aimez ou si vous n'aimez pas le Ministère de l'Agriculture ? On vous en parle, on vous y voit !

Ecoutez, moi, je trouve que c'est vraiment formidable les agriculteurs, et en particulier à l'exportation, l'agro-alimentaire c'est vraiment un secteur qui se développe très bien. Tenez, j'étais au Brésil avec des producteurs de vin il n'y a pas tellement longtemps, j'ai trouvé ça formidable.

M. Biraben : Ça serait une possibilité pour vous ?

Quoi donc ?

M. Biraben : Le Ministère de l'Agriculture ?

Ecoutez, franchement, je n'ai pas le temps de penser à ça parce que moi je suis là sur les marchés à l'international, sur une mission qui est intéressante, comme toutes celles que j'ai eues jusqu'ici.

G. Delafon : Alors, j'aime/j'aime pas l'arrivée probable de C. Allègre au Gouvernement, à la tête d'un Ministère de l'Innovation et de l'Industrie ?

Je ne vais pas me prononcer sur les noms et sur les structures. Ce que je trouve intéressant dans l'idée, c'est : 1) l'importance du commerce extérieur, du commerce international ; et 2) le lien évident qu'il y a entre des politiques industrielles et le commerce extérieur. Par exemple, ce que nous faisons sur l'aéronautique, le plan aéronautique ou le plan automobile que l'on fait avec C. Lagarde, L. Chatel et moi-même, on voit bien que c'est ça qui finalement - on parlait tout à l'heure de compétitivité et d'innovation - nous permet de nous présenter puissamment sur les marchés du monde.

G. Delafon : Mais le fait de scinder Bercy et de détacher le commerce international pour le mettre à l'innovation, ce n'est pas...

Ecoutez, franchement, ce genre de structure, on verra bien. Encore une fois, ce qui est important c'est l'idée. L'idée c'est ce lien que nous faisons, que nous faisons entre innovation, industrie et exportation.

M. Biraben : Merci beaucoup d'avoir été avec nous ce matin.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 mai 2009