Texte intégral
Mesdames, Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Cher Amis,
Hasard du calendrier, je me trouvais ce matin dans cette même enceinte, invité par la Fondation Jean Jaurès pour ouvrir un colloque sur le renouvellement de la Convention de Lomé.
Maintenant, cest, convié par la Fédération socialiste de Paris que je me retrouve devant vous pour clôturer vos débats qui ont porté sur la problématique des rapports Nord-Sud, déclinés, je crois savoir dans toutes leurs dimensions. Je voudrais en remercier les promoteurs Serge Blisko et Jean-Marie Le Guen, et surtout saluer leur initiative. Une initiative qui répond à un réel besoin et à une vraie nécessité :
· Le besoin dinformer sur lévolution de notre coopération avec les pays en développement, dont limage reste encore parfois ternie, trop associée à des pratiques obscures, au gaspillage et au soutien trop fréquent à des régimes décriés.
· La nécessité ensuite dassocier davantage, la société civile pour une meilleure compréhension des rapports Nord-Sud dans toutes leurs dimensions. Cest le sens de la réforme de la coopération qua souhaité le gouvernement : plus de cohérence (regroupement de laide au développement dans un pôle diplomatique unique) et une transparence accrue par limplication de la société civile (Haut conseil de la coopération internationale, implication accrue des collectivités locales, des entreprises, des ONG, débat parlementaire annuel sur les objectifs et les orientations de la politique de coopération...). Je voudrais que ces effort engagés soient pris en compte par tous mais le changement nécessite sans doute une pédagogie à long terme, à la fois pour convaincre quil y a une réforme qui se met en place, que certains, sans doute par impatience ne perçoivent pas encore. Il est vrai aussi que la posture de la critique est plus valorisante que celle de la reconnaissance.
Mais je comprends que pour certains dont le fonds de commerce politique ou journalistique salimentait des affaires obscures de la coopération française, ils ressentent aujourdhui un manque sans se lavouer. Là aussi, les habitudes sont à perdre.
Vous avez déjà je nen doute pas débattu longuement dans les différents ateliers sur la réforme de la coopération. Je ne développerai donc pas.
Je voudrais en revanche insister sur une dimension des rapports Nord/Sud qui me tient particulièrement à coeur. Cest la dimension européenne de laide au développement dont je souhaiterais vous entretenir. La campagne européenne qui sannonce est une heureuse opportunité justifiant pleinement, il me semble, que nous y arrêtions quelques instants.
Dès mon arrivée à la coopération en 1997, jai pris des initiatives en direction de Bruxelles pour quune impulsion soit donnée à la politique commune de développement.
Je voudrais vous exposer de quelles façons ces synergies européennes devraient jouer à lavenir, quelle est laction de la France dans ce domaine en particulier à travers le dossier « migration » qui fut un thème pivot de vos débats aujourdhui.
Pour une politique européenne du développement
Il est aujourdhui de plus en plus évident que laide au développement constitue une dimension indispensable de la nouvelle politique extérieure de la France guidée avant tout par souci de la solidarité. Mais nous ne pouvons plus agir seuls sans coordination avec nos partenaires européens si nous voulons être efficaces. Emmanuel Berl disait si justement dans la France irréelle (1957 ) « La France seule est une absurdité. La France seule ne serait plus la France. Sa réalité consiste dans son rapport au monde « . Et nous avons la chance de pouvoir profiter dune conjoncture politique idéale où une grande partie des pays européens sont conduits par des majorités de gauche . Ceci doit nous inciter encore plus largement à aller dans ce sens et devrait nous aider à progresser
Notre appel à une solidarité européenne est renforcée par deux constats :
1er constat :- LEurope est un partenaire naturel des pays en développement :
Comme je lai rappelé lors du colloque de ce matin, lUnion européenne et les pays en développement sont liés par des engagements internationaux nouveaux afin de sadapter aux mutations de léconomie mondiale. La mondialisation sest aussi traduite par des interdépendances accrues. Sans tomber dans « limaginaire de leffacement » dont parle Zaki Laidi quelle peut entraîner, nous attendons des pays du Sud quils mettent en place des règles commerciales, sociales, des normes de travail des femmes et enfants ou de respect de lenvironnement. Mais les pays en développement eux attendent de nous, Européens, que nous tenions compte dans notre relation avec eux, de leur histoire et de leur culture. Ils veulent aussi un échange plus égal et un accompagnement dans leur insertion au commerce mondial. Cest pourquoi lEurope doit être un partenaire essentiel de leur intégration dans léconomie mondiale.
Deuxième constat : Lefficacité de laide publique au développement est souvent contestée en Europe pour navoir pas réussi en particulier à éviter ce qui apparaît à bien des égards, comme une marginalisation des nombreux pays en développement dans léconomie mondiale et en particulier ceux dAfrique. Laide quapporte lUnion européenne et ses pays membres ne parvient pas suffisamment à convaincre de son impact sur le développement des pays bénéficiaires. Son influence nest pas à la mesure de son effort financier en tant que premier contributeur mondial à lAPD avec plus de 50% de laide des pays de lOCDE. Il y a là un déficit didentité de laide européenne quil nous faut absolument combler.
Cest pourquoi, il nous faut trouver les moyens de parler dune seule voix. Les débats sur les politiques économiques et de développement sont conduits trop souvent par le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, voire lOMC. LEurope y accompagne davantage le mouvement quelle ne le détermine, en particulier face aux partisans du « tout-marché ». Nous pourrions parler ensemble dans les institutions de Bretton Woods tout comme nous le ferons pour la politique de leuro.
Que déduire de ce constat ? Que lEurope a besoin de rassembler ses moyens et de les rendre plus performants plus lisibles, plus efficaces. La somme agrégée des aides européennes peut constituer un levier formidable. Encore faut-il savoir les valoriser au mieux.
Comme faire jouer ces synergies à lavenir ? Cest là toute notre réflexion et notre action.
Je voudrais dabord rappeler nos priorités et celles de lEurope.
· Il nous faut répondre aux aspirations démocratiques, sattacher à veiller au respect des Droits de lHomme, contribuer à la sécurité régionale et encourager la prévention des conflits. Pour cela il est essentiel dinscrire notre dialogue politique avec les bénéficiaires de laide dans un cadre européen plus large. Laction extérieure de lUnion est en effet maintenant en mesure de mettre en oeuvre une politique densemble (Affaires étrangères, sécurité, politique de développement, humanitaire).
· Nous souhaitons aussi pouvoir contribuer à mieux insérer dans léconomie mondiale les pays partenaires que nous aidons et promouvoir leur investissement, en particulier par le secteur privé. Notre aide doit jouer pour cela son rôle régulateur de mécanismes du marché. Nous voulons ainsi maintenir à tous prix le lien entre commerce et développement, par opposition au « Trade, not aid », trop souvent préconisée.
Cest dans cet esprit donc, que le gouvernement français travaille. Nous avons engagé plusieurs démarches pour que ces positions soient défendues en commun. Je voudrais vous entretenir sur celle concernant les questions de migrations.
Les question de migrations dans la politique de développement
Il est, en effet difficilement envisageable, tant pour des raisons économiques, techniques que politiques, que chaque pays membre puisse conduire, de façon indépendante, ses propres négociations avec les pays partenaires, et cest tout particulièrement pertinent dans le domaine des migrations.
La France a, on peut le dire, je crois, une certaine expérience de la gestion des migrations, en particulier dans son volet « aide au retour » et celui du co-développement. Je ne voudrais dailleurs quon ne les confonde pas. Laide au retour nest pas nécessaire de laide au développement comme nous lentendons.
Cest pourquoi, quelques uns de nos partenaires européens ont souhaité sinformer des expériences menées par notre pays pour développer à leur tour des programmes locaux destinés à fixer les populations, à améliorer leurs conditions de vie et léconomie de leur région, mais aussi des expériences menées dans le cadre de linsertion des migrants candidats au retour dans leurs pays dorigine.
Cet intérêt manifesté par nos partenaires européens, tant sur lexpérience française que sur la problématique qui la sous-entend nous a fait prendre conscience du faible niveau de prise en compte de cette question par les instances de Bruxelles, même si le dossier « immigration-développement » commence à imprégner les préoccupations des 15. Aussi dès la fin de 1997, à loccasion dun Conseil du Développement (rencontre qui deux fois par an réunit les ministres européens en charge de la Coopération) ai-je pris linitiative dinsister sur la nécessité, pour lEurope, de ne plus ignorer cette dimension, dautant quallaient débuter les négociations de la future Convention de Lomé.
Cette initiative a suscité un intérêt qui sest aussitôt traduit par lenvoi de missions de mes collaborateurs dans plusieurs capitales européennes ou par laccueil de délégations des pays membres, soucieuses den savoir davantage sur notre dispositif, son fonctionnement, son financement.
Aujourdhui les conditions sont remplies pour que le débat européen soit véritablement lancé. Cest dans cet esprit et toujours sur la base des encouragements prodigués par nos partenaires de lUnion, que jaccueillerai la semaine prochaine un séminaire regroupant des hauts fonctionnaires européens en charge de ces questions dans leurs pays respectifs.
Lun des objectifs que nous nous étions fixés me semble aujourdhui atteint. La tenue de ce séminaire devrait le confirmer.
· Le fait que la problématique « migrations et développement » figure dans le mandat du groupe « Asile et migrations » en constitue une preuve supplémentaire :
· Demain, la Convention de Lomé pourrait se montrer plus ambitieuse, plus imaginative dautant que lactuelle Convention permet dores et déjà de prendre des initiatives de ce type en finançant des programmes ou des projets de formation de ressortissants ACP rentrant dans leur pays.
Pour les pays du pourtour méditerranéen, qui ont fourni et qui continueront très probablement de fournir les plus gros contingents dimmigrants, le programme MEDA pourrait constituer un cadre adapté à ces types de programmes.
Vous comprenez que lobjectif final est bien la mise en place dun dispositif de co-développement à léchelle européenne en sinspirant dinitiatives déjà prises par certains Etats membres. Ce dispositif devra sadresser exclusivement à des réémigrants volontaires, et prendre appui sur les pays dorigine des migrants. Laccent devra être porté sur lobjectif de développement local. Ces principes directeurs qui impliquent un effort dassistance lourd, durable et très personnalisé des « réémigrants » et une forte motivation de leur part, pourraient être plus systématiquement pris en compte dans les programmes de développement externes de lUnion européenne. Cest du moins la position défendue par la France aujourdhui
Au-delà de cette nécessaire coordination européenne que nous mettons en oeuvre jour après jour en direction des pays partenaires, il reste quelques interrogations lourdes que nous ne pouvons éluder et sur lesquelles je souhaiterais conclure.
La 1ère. Nos intentions, bilatérales ou communautaires, aussi coordonnées, aussi recherchées soient elles nauront de sens que si le partenaire concerné est en phase avec la démarche qui lui est proposée. Je mexplique : lun des enjeux du retour des migrants dans leur pays dorigine est de leur permettre de rentrer au pays avec dignité cest à dire en y revenant avec un métier, avec un projet, avec une perspective davenir. Le métier au delà de lintérêt de lindividu concerné doit aussi servir lintérêt et le développement de lEtat receveur. Pour remplir pleinement ce rôle, encore faut-il que nous puissions répondre aux vrais besoins de nos pays partenaires, ceux en particuliers qui concernent la maintenance des infrastructures, de lEtat, des collectivités, du privé. Il est donc nécessaire que dans le dialogue établi avec le pays partenaire ce dernier nous aide à adopter notre effort de formation en nous fournissant une priorité et un tableau de bord.
Dailleurs dans le cadre de laccord franco-malien sur limmigration cette dimension dadéquation nécessaire entre loffre de formation que nous pouvons offrir et le besoin du pays, devrait être abordé.
Ma seconde réflexion concerne les motivations qui poussent les migrants à partir de chez eux. Lorsque lon quitte son propre pays cest lexpression dun malaise profond, comme le montre très bien Patrick Weil dans son rapport qui insistait à juste titre sur ce coût incommensurable que représente la décision de quitter son pays. les origines sont, on peut limaginer, le mal développement dans toutes ses dimensions (économiques, sociales, politiques, culturelles).
Ne pas permettre aux populations locales, aux techniciens, aux cadres de travailler chez eux au bénéfice de leur propre pays pourrait sanalyser en partie comme un échec partagé de nos actions avec nos partenaires. Je crois que nous avons une responsabilité daccueillir sur notre sol des personnes, souvent formées, qualifiés, expérimentées, alors quelles pourraient être si utiles au développement de leur propre pays.
Je vous invite à partager cette interrogation. Je suis sensible aux accents de générosité de ceux qui pensent que nous devons accueillir tous ceux qui veulent venir chez nous.
Mais ce raisonnement plein de bonnes intentions nest pas forcément celui qui rend le plus service aux pays en développement.
Ces quelques initiatives peuvent paraître trop ambitieuses. On ne peut pas nier le poids de nos différences dappréciations et dintérêt dans lélaboration dune politique commune mais je crois quil est de notre devoir et de notre intérêt de renforcer lefficacité de notre aide européenne envers les pays du Sud.
Nos valeurs de solidarité et de justice sociale, qui nous animent nous hommes et femmes de gauche, nous dictent de nous engager dans la voie dune vraie politique européenne de coopération.
Jules Supervielle, dans Oublieuse mémoire, écrivait « Europe, ô harmonie tant désirée ». Cette formule poétique pourrait être notre devise. Lharmonie des pays européens aussi au profit du développement de nos partenaires du Sud.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mars 1999)
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Cher Amis,
Hasard du calendrier, je me trouvais ce matin dans cette même enceinte, invité par la Fondation Jean Jaurès pour ouvrir un colloque sur le renouvellement de la Convention de Lomé.
Maintenant, cest, convié par la Fédération socialiste de Paris que je me retrouve devant vous pour clôturer vos débats qui ont porté sur la problématique des rapports Nord-Sud, déclinés, je crois savoir dans toutes leurs dimensions. Je voudrais en remercier les promoteurs Serge Blisko et Jean-Marie Le Guen, et surtout saluer leur initiative. Une initiative qui répond à un réel besoin et à une vraie nécessité :
· Le besoin dinformer sur lévolution de notre coopération avec les pays en développement, dont limage reste encore parfois ternie, trop associée à des pratiques obscures, au gaspillage et au soutien trop fréquent à des régimes décriés.
· La nécessité ensuite dassocier davantage, la société civile pour une meilleure compréhension des rapports Nord-Sud dans toutes leurs dimensions. Cest le sens de la réforme de la coopération qua souhaité le gouvernement : plus de cohérence (regroupement de laide au développement dans un pôle diplomatique unique) et une transparence accrue par limplication de la société civile (Haut conseil de la coopération internationale, implication accrue des collectivités locales, des entreprises, des ONG, débat parlementaire annuel sur les objectifs et les orientations de la politique de coopération...). Je voudrais que ces effort engagés soient pris en compte par tous mais le changement nécessite sans doute une pédagogie à long terme, à la fois pour convaincre quil y a une réforme qui se met en place, que certains, sans doute par impatience ne perçoivent pas encore. Il est vrai aussi que la posture de la critique est plus valorisante que celle de la reconnaissance.
Mais je comprends que pour certains dont le fonds de commerce politique ou journalistique salimentait des affaires obscures de la coopération française, ils ressentent aujourdhui un manque sans se lavouer. Là aussi, les habitudes sont à perdre.
Vous avez déjà je nen doute pas débattu longuement dans les différents ateliers sur la réforme de la coopération. Je ne développerai donc pas.
Je voudrais en revanche insister sur une dimension des rapports Nord/Sud qui me tient particulièrement à coeur. Cest la dimension européenne de laide au développement dont je souhaiterais vous entretenir. La campagne européenne qui sannonce est une heureuse opportunité justifiant pleinement, il me semble, que nous y arrêtions quelques instants.
Dès mon arrivée à la coopération en 1997, jai pris des initiatives en direction de Bruxelles pour quune impulsion soit donnée à la politique commune de développement.
Je voudrais vous exposer de quelles façons ces synergies européennes devraient jouer à lavenir, quelle est laction de la France dans ce domaine en particulier à travers le dossier « migration » qui fut un thème pivot de vos débats aujourdhui.
Pour une politique européenne du développement
Il est aujourdhui de plus en plus évident que laide au développement constitue une dimension indispensable de la nouvelle politique extérieure de la France guidée avant tout par souci de la solidarité. Mais nous ne pouvons plus agir seuls sans coordination avec nos partenaires européens si nous voulons être efficaces. Emmanuel Berl disait si justement dans la France irréelle (1957 ) « La France seule est une absurdité. La France seule ne serait plus la France. Sa réalité consiste dans son rapport au monde « . Et nous avons la chance de pouvoir profiter dune conjoncture politique idéale où une grande partie des pays européens sont conduits par des majorités de gauche . Ceci doit nous inciter encore plus largement à aller dans ce sens et devrait nous aider à progresser
Notre appel à une solidarité européenne est renforcée par deux constats :
1er constat :- LEurope est un partenaire naturel des pays en développement :
Comme je lai rappelé lors du colloque de ce matin, lUnion européenne et les pays en développement sont liés par des engagements internationaux nouveaux afin de sadapter aux mutations de léconomie mondiale. La mondialisation sest aussi traduite par des interdépendances accrues. Sans tomber dans « limaginaire de leffacement » dont parle Zaki Laidi quelle peut entraîner, nous attendons des pays du Sud quils mettent en place des règles commerciales, sociales, des normes de travail des femmes et enfants ou de respect de lenvironnement. Mais les pays en développement eux attendent de nous, Européens, que nous tenions compte dans notre relation avec eux, de leur histoire et de leur culture. Ils veulent aussi un échange plus égal et un accompagnement dans leur insertion au commerce mondial. Cest pourquoi lEurope doit être un partenaire essentiel de leur intégration dans léconomie mondiale.
Deuxième constat : Lefficacité de laide publique au développement est souvent contestée en Europe pour navoir pas réussi en particulier à éviter ce qui apparaît à bien des égards, comme une marginalisation des nombreux pays en développement dans léconomie mondiale et en particulier ceux dAfrique. Laide quapporte lUnion européenne et ses pays membres ne parvient pas suffisamment à convaincre de son impact sur le développement des pays bénéficiaires. Son influence nest pas à la mesure de son effort financier en tant que premier contributeur mondial à lAPD avec plus de 50% de laide des pays de lOCDE. Il y a là un déficit didentité de laide européenne quil nous faut absolument combler.
Cest pourquoi, il nous faut trouver les moyens de parler dune seule voix. Les débats sur les politiques économiques et de développement sont conduits trop souvent par le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, voire lOMC. LEurope y accompagne davantage le mouvement quelle ne le détermine, en particulier face aux partisans du « tout-marché ». Nous pourrions parler ensemble dans les institutions de Bretton Woods tout comme nous le ferons pour la politique de leuro.
Que déduire de ce constat ? Que lEurope a besoin de rassembler ses moyens et de les rendre plus performants plus lisibles, plus efficaces. La somme agrégée des aides européennes peut constituer un levier formidable. Encore faut-il savoir les valoriser au mieux.
Comme faire jouer ces synergies à lavenir ? Cest là toute notre réflexion et notre action.
Je voudrais dabord rappeler nos priorités et celles de lEurope.
· Il nous faut répondre aux aspirations démocratiques, sattacher à veiller au respect des Droits de lHomme, contribuer à la sécurité régionale et encourager la prévention des conflits. Pour cela il est essentiel dinscrire notre dialogue politique avec les bénéficiaires de laide dans un cadre européen plus large. Laction extérieure de lUnion est en effet maintenant en mesure de mettre en oeuvre une politique densemble (Affaires étrangères, sécurité, politique de développement, humanitaire).
· Nous souhaitons aussi pouvoir contribuer à mieux insérer dans léconomie mondiale les pays partenaires que nous aidons et promouvoir leur investissement, en particulier par le secteur privé. Notre aide doit jouer pour cela son rôle régulateur de mécanismes du marché. Nous voulons ainsi maintenir à tous prix le lien entre commerce et développement, par opposition au « Trade, not aid », trop souvent préconisée.
Cest dans cet esprit donc, que le gouvernement français travaille. Nous avons engagé plusieurs démarches pour que ces positions soient défendues en commun. Je voudrais vous entretenir sur celle concernant les questions de migrations.
Les question de migrations dans la politique de développement
Il est, en effet difficilement envisageable, tant pour des raisons économiques, techniques que politiques, que chaque pays membre puisse conduire, de façon indépendante, ses propres négociations avec les pays partenaires, et cest tout particulièrement pertinent dans le domaine des migrations.
La France a, on peut le dire, je crois, une certaine expérience de la gestion des migrations, en particulier dans son volet « aide au retour » et celui du co-développement. Je ne voudrais dailleurs quon ne les confonde pas. Laide au retour nest pas nécessaire de laide au développement comme nous lentendons.
Cest pourquoi, quelques uns de nos partenaires européens ont souhaité sinformer des expériences menées par notre pays pour développer à leur tour des programmes locaux destinés à fixer les populations, à améliorer leurs conditions de vie et léconomie de leur région, mais aussi des expériences menées dans le cadre de linsertion des migrants candidats au retour dans leurs pays dorigine.
Cet intérêt manifesté par nos partenaires européens, tant sur lexpérience française que sur la problématique qui la sous-entend nous a fait prendre conscience du faible niveau de prise en compte de cette question par les instances de Bruxelles, même si le dossier « immigration-développement » commence à imprégner les préoccupations des 15. Aussi dès la fin de 1997, à loccasion dun Conseil du Développement (rencontre qui deux fois par an réunit les ministres européens en charge de la Coopération) ai-je pris linitiative dinsister sur la nécessité, pour lEurope, de ne plus ignorer cette dimension, dautant quallaient débuter les négociations de la future Convention de Lomé.
Cette initiative a suscité un intérêt qui sest aussitôt traduit par lenvoi de missions de mes collaborateurs dans plusieurs capitales européennes ou par laccueil de délégations des pays membres, soucieuses den savoir davantage sur notre dispositif, son fonctionnement, son financement.
Aujourdhui les conditions sont remplies pour que le débat européen soit véritablement lancé. Cest dans cet esprit et toujours sur la base des encouragements prodigués par nos partenaires de lUnion, que jaccueillerai la semaine prochaine un séminaire regroupant des hauts fonctionnaires européens en charge de ces questions dans leurs pays respectifs.
Lun des objectifs que nous nous étions fixés me semble aujourdhui atteint. La tenue de ce séminaire devrait le confirmer.
· Le fait que la problématique « migrations et développement » figure dans le mandat du groupe « Asile et migrations » en constitue une preuve supplémentaire :
· Demain, la Convention de Lomé pourrait se montrer plus ambitieuse, plus imaginative dautant que lactuelle Convention permet dores et déjà de prendre des initiatives de ce type en finançant des programmes ou des projets de formation de ressortissants ACP rentrant dans leur pays.
Pour les pays du pourtour méditerranéen, qui ont fourni et qui continueront très probablement de fournir les plus gros contingents dimmigrants, le programme MEDA pourrait constituer un cadre adapté à ces types de programmes.
Vous comprenez que lobjectif final est bien la mise en place dun dispositif de co-développement à léchelle européenne en sinspirant dinitiatives déjà prises par certains Etats membres. Ce dispositif devra sadresser exclusivement à des réémigrants volontaires, et prendre appui sur les pays dorigine des migrants. Laccent devra être porté sur lobjectif de développement local. Ces principes directeurs qui impliquent un effort dassistance lourd, durable et très personnalisé des « réémigrants » et une forte motivation de leur part, pourraient être plus systématiquement pris en compte dans les programmes de développement externes de lUnion européenne. Cest du moins la position défendue par la France aujourdhui
Au-delà de cette nécessaire coordination européenne que nous mettons en oeuvre jour après jour en direction des pays partenaires, il reste quelques interrogations lourdes que nous ne pouvons éluder et sur lesquelles je souhaiterais conclure.
La 1ère. Nos intentions, bilatérales ou communautaires, aussi coordonnées, aussi recherchées soient elles nauront de sens que si le partenaire concerné est en phase avec la démarche qui lui est proposée. Je mexplique : lun des enjeux du retour des migrants dans leur pays dorigine est de leur permettre de rentrer au pays avec dignité cest à dire en y revenant avec un métier, avec un projet, avec une perspective davenir. Le métier au delà de lintérêt de lindividu concerné doit aussi servir lintérêt et le développement de lEtat receveur. Pour remplir pleinement ce rôle, encore faut-il que nous puissions répondre aux vrais besoins de nos pays partenaires, ceux en particuliers qui concernent la maintenance des infrastructures, de lEtat, des collectivités, du privé. Il est donc nécessaire que dans le dialogue établi avec le pays partenaire ce dernier nous aide à adopter notre effort de formation en nous fournissant une priorité et un tableau de bord.
Dailleurs dans le cadre de laccord franco-malien sur limmigration cette dimension dadéquation nécessaire entre loffre de formation que nous pouvons offrir et le besoin du pays, devrait être abordé.
Ma seconde réflexion concerne les motivations qui poussent les migrants à partir de chez eux. Lorsque lon quitte son propre pays cest lexpression dun malaise profond, comme le montre très bien Patrick Weil dans son rapport qui insistait à juste titre sur ce coût incommensurable que représente la décision de quitter son pays. les origines sont, on peut limaginer, le mal développement dans toutes ses dimensions (économiques, sociales, politiques, culturelles).
Ne pas permettre aux populations locales, aux techniciens, aux cadres de travailler chez eux au bénéfice de leur propre pays pourrait sanalyser en partie comme un échec partagé de nos actions avec nos partenaires. Je crois que nous avons une responsabilité daccueillir sur notre sol des personnes, souvent formées, qualifiés, expérimentées, alors quelles pourraient être si utiles au développement de leur propre pays.
Je vous invite à partager cette interrogation. Je suis sensible aux accents de générosité de ceux qui pensent que nous devons accueillir tous ceux qui veulent venir chez nous.
Mais ce raisonnement plein de bonnes intentions nest pas forcément celui qui rend le plus service aux pays en développement.
Ces quelques initiatives peuvent paraître trop ambitieuses. On ne peut pas nier le poids de nos différences dappréciations et dintérêt dans lélaboration dune politique commune mais je crois quil est de notre devoir et de notre intérêt de renforcer lefficacité de notre aide européenne envers les pays du Sud.
Nos valeurs de solidarité et de justice sociale, qui nous animent nous hommes et femmes de gauche, nous dictent de nous engager dans la voie dune vraie politique européenne de coopération.
Jules Supervielle, dans Oublieuse mémoire, écrivait « Europe, ô harmonie tant désirée ». Cette formule poétique pourrait être notre devise. Lharmonie des pays européens aussi au profit du développement de nos partenaires du Sud.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mars 1999)