Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, dans "Les Echos" le 12 juin 2009, sur la mise en application des décisions du G20 de Londres notamment sur la régulation des marchés financiers, et sur le secret bancaire.

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Q - Comment expliquez-vous le sentiment actuel d'un enlisement par rapport aux forts engagements de mieux surveiller et réguler les marchés pris au sommet du G20 de Londres ?
R - Parce que l'on travaille discrètement et efficacement sur le plan tant national qu'européen et international. Nous sommes déterminés à agir. Rien qu'au niveau national, les établissements financiers vont appliquer les propositions du rapport Pauget relatives à la rémunération des opérateurs de marché ; nous avons publié dans les décrets du 30 mars et du 20 avril les dispositifs réglementaires nécessaires pour apporter suffisamment de contrôle et de normes en matière de rémunérations dans les établissements bancaires aidés. Sur les paradis fiscaux, là aussi, la France a enregistré des progrès significatifs. Nous avons conclu, depuis mars dernier, sept accords relatifs à l'échange d'informations fiscales, mettant fin, par exemple avec le Luxembourg ou l'île de Man, au secret bancaire. Ce n'est pas rien !
Q - La volonté du G20 est donc intacte ?
R - Oui ! Et la réunion des ministres des Finances du G8, aujourd'hui et demain, à Lecce, où nous ferons un point d'étape dans la perspective du G20 des chefs d'Etat et de gouvernement de Pittsburgh, fin septembre, sera l'occasion de la rappeler. Nous devons être en mesure de constater fin septembre que les mesures annoncées à Londres ont bien été prises.
Q - Néanmoins, les Américains et les Anglais semblent moins désireux de réguler les marchés. Le recul américain sur l'aspect des rémunérations des opérateurs de marchés ne vous inquiète-t-il pas ?
R - J'étais un peu dubitative, à l'origine, sur la volonté de plafonner à 500.000 dollars le salaire des dirigeants de banque. Les Américains sont pragmatiques et leur pensée a évolué. Cela dit, il est certain qu'ils sont déterminés à participer à la réorganisation, à la discipline et à la supervision des marchés financiers mondiaux. Tant mieux. Je n'ai aucun doute sur leur volonté politique. Et si certains opérateurs financiers veulent rétablir les pratiques en vigueur avant la crise, les régulateurs et la sphère politique seront là pour les mettre sérieusement en garde que ce ne sera pas le cas. La détermination française est inébranlable. De même que celle des Européens.
Q - L'organisme comptable international IASB a du mal à s'aligner sur son équivalent américain. Comptez-vous mettre en oeuvre, la menace d'un retrait de sa délégation ?
R - Je viens d'écrire au commissaire au Marché intérieur, Charlie McCreevy, pour récapituler tous les engagements pris à l'Ecofin de cette semaine par David Tweedie, le président de l'IASB, sur l'IAS 39, le provisionnement dynamique et sa supervision, notamment en matière de calendrier. J'ai par ailleurs émis de sérieuses réserves sur la composition de cette structure, qui compte 28 % d'Américains alors qu'elle n'a pas juridiction aux Etats-Unis. Il y a des réticences, c'est vrai, mais le dialogue est enfin engagé. Et j'invite la future Présidence suédoise à surveiller attentivement l'avancement de ces travaux.
Q - Pourquoi les banques européennes ne veulent-elles pas publier leurs tests de résistance, ce qu'ont fait les banques américaines depuis deux mois ?
R - D'abord, nous ne sommes pas sur le même calendrier. La crise vient des Etats-Unis, je vous le rappelle. Ensuite, il y a différents types de tests et nous discutons au niveau européen sur le niveau de publication possible de ces tests, pays par pays, etc. En France, le test le plus approfondi, qui s'est étalé sur six mois, se termine fin juin. Et puis, il y a aussi des tests macroéconomiques, réalisés sous l'égide des régulateurs européens, qui seront prêts en septembre dans chaque pays. Pour ce qui concerne leur publication, j'y suis personnellement favorable, mais je crois qu'une approche coordonnée ferait beaucoup de sens.
Q - Comment jugez-vous aujourd'hui l'état des banques françaises ?
R - Je suis rassurée sur leur solidité compte tenu des paramètres économiques pris par la Commission bancaire. Mais, évidemment, si la conjoncture se dégradait encore, ce que je ne crois pas, il se peut qu'elles enregistrent encore des dépréciations. L'idée de "bad bank" n'est pas d'actualité. Les risques de Natixis sont désormais provisionnés avec beaucoup de prudence.
Q - Pourriez-vous assouplir l'engagement des banques d'accroître de 3 à 4 % leurs encours de crédit du fait de la chute de la demande ?
R - Non. Je maintiens les objectifs et les exigences imposés cet automne en échange du soutien apporté au secteur bancaire.
Q - En France, vous prévoyez une récession de 3 % en 2009 et l'Insee a annoncé hier la destruction de 187.800 emplois au premier trimestre. Mais votre plan de relance date de janvier. Va-t-il falloir d'autres mesures ?
R - Ces chiffres confirment la violence du choc économique subi par la France. Mais, aujourd'hui, ni le Fonds monétaire international, ni l'OCDE, ni la Commission européenne ne demandent davantage de relance. Le FMI invite désormais simplement l'Europe de ne pas diminuer son effort de soutien à l'activité, c'est différent. Plus personne ne nous demande d'en faire plus. Pour prendre une image bucolique, nous n'avons pas besoin de rajouter de l'engrais à la croissance qui germe actuellement !
Q - Mais où sont les "pousses vertes" pour reprendre une expression en vogue aux Etats-Unis ?
R - Il y a de multiples petits signes qui laissent penser que la chute s'est arrêtée. La production manufacturière en avril s'est encore repliée, mais la baisse devient contenu (moins 0,5 %), ce qui confirme que la situation industrielle commence très lentement à se stabiliser. Le mouvement de déstockage, responsable de l'essentiel du repli de la croissance au premier trimestre, semble s'amenuiser au printemps. Les anticipations dans l'industrie et les services s'améliorent nettement. Mais la dégradation de l'emploi continuera même une fois l'économie repartie.
Q - A quand le retournement ?
R - En Chine et peut-être aux Etats-Unis, on s'en approche. En Europe, c'est difficile à dire parce que le redémarrage va être lent, il ne sera pas en forme de V. Je crois que les effets de l'amélioration de la situation, sur l'emploi par exemple, se feront sentir mi-2010.
Q - Les Allemands ont dit "nein" à votre proposition de distinguer les déficits publics de crise des déficits structurels, interprétée comme une facilité française ?
R - Je veux rétablir la vérité sur ce point, qui a été mal interprété. Il me paraît légitime de distinguer le déficit conjoncturel, qui est appelé à demeurer temporaire, du déficit structurel, qu'il faut absolument réduire car il continue à alourdir notre dette. Treize Etats sur les seize de la zone euro seront en déficit excessif (supérieur à 3 % du PIB) cette année. L'objectif, c'est de bien identifier ce qui relève des déficits structurels pour continuer à les réduire. Ils sont importants et il n'y a pas de marge de manoeuvre pour toujours dépenser plus. La sortie passera par l'assainissement des finances publiques. Les Allemands partagent totalement cet objectif.
Q - Comment les Français peuvent-ils croire qu'il n'y aura pas de hausse d'impôt, à un moment ou à un autre, pour financer ces déficits abyssaux ?
R - Eh bien, justement, la partie du déficit liée à la crise disparaîtra quand la croissance reviendra, même si cela prendra quelques années. Nous devons réformer notre Etat pour résorber le déficit structurel. Mais soyez-en sûrs : il n'y aura, pour la Sécurité sociale comme pour l'Etat, pas d'impôts nouveaux qui ne seraient compensés par des baisses d'impôt.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 juin 2009