Discours de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur l'aide internationale et l'aide de la France aux pays les moins avancés (PMA), leurs modalités, les faiblesses des PMA et la politique d'aide de la France, Paris, le 2 mai 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Séance du Haut Conseil pour la coopération internationale consacrée aux pays les moins avancées, à Paris, le 2 mai 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs
Je suis heureux de passer quelques instants avec vous. Comme vous le savez, la troisième Conférence des Nations unies sur les Pays les moins avancés se tiendra à Bruxelles du 15 au 20 mai prochains. J'aurai l'honneur d'y participer au côté du président de la République. Cette conférence nous fournit l'occasion de faire l'inventaire de nos actions de solidarité internationale en direction des pays les plus pauvres.
Je sais l'attention que lui accorde le Haut Conseil dont je veux saluer d'emblée la grande qualité de l'avis rendu en préparation de cette échéance. Je veux aussi me féliciter de cette nouvelle séance de travail avec vous.
La France a accueilli en 1981 et 1990 les deux premières conférences sur les pays les moins avancés, et elle a uvré pour que la première conférence des Nations unies accueillie par l'Union européenne soit justement celle consacrée aux pays les plus pauvres. L'Union européenne fournit plus de la moitié de l'aide publique mondiale aux pays en développement, elle est le premier partenaire commercial de bon nombre d'entre-eux, elle a tout naturellement vocation à porter le message de la solidarité avec les plus pauvres, notamment - mais pas seulement - auprès des autres pays industrialisés.
J'ai pu m'entretenir de ce dossier à Washington avec l'administration américaine et les responsables de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international.
Les chefs d'Etat et de gouvernement réunis à New York en septembre dernier pour le Sommet du Millénaire ont pris l'engagement d'accorder une priorité au développement et à l'éradication de la pauvreté dans le monde. Prenons acte de nouvel engagement et faisons en sorte qu'il soit suivi d'actions concrètes. Egalement sous impulsion française, cet engagement solennel au plus haut niveau a été assorti d'une attention particulière aux problèmes spécifiques rencontrés par les pays les moins avancés et par l'Afrique.
Sortir ces pays de la marginalisation est sans nul doute le grand défi actuel de la communauté internationale.
Personne ne doit fuir sa responsabilité politique face à la mondialisation. Il ne faut évidemment pas prendre pour argent comptant l'idéologie exagérément optimiste qui l'accompagne dans le discours de certains, mais nier ou s'opposer à cette réalité n'est pas précisément une attitude responsable.
En trente ans, la catégorie de pays en développement que constitue les PMA s'est imposée dans les enceintes internationales, au-delà même des seules Nations unies. Passée de 26 à 49 pays, avec l'entrée le mois dernier du Sénégal, elle se caractérise par le cumul des handicaps : faible revenu, vulnérabilité économique, insuffisante valorisation des ressources humaines. Ce troisième aspect sera d'ailleurs le thème de la table-ronde que j'aurai l'honneur de coprésider, vendredi 18 mai, dans le cadre de la Conférence de Bruxelles avec mon collègue éthiopien.
Encore plus qu'en 1990, les PMA sont plongés dans un processus de marginalisation par rapport à une économie mondiale dynamisée. Les écarts se creusent avec les autres PVD. La croissance des PMA (0,9% par an sur 1990/1998) est très inférieure à la moyenne mondiale. La détérioration continue des termes de l'échange, l'instabilité et les conflits y sont pour beaucoup. Sur les 22 PMA en régression économique entre 1990 et 1998, la moitié d'entre eux ont été le théâtre de graves conflits armés ou d'instabilité interne.
Bien que certains indicateurs sociaux (espérance de vie, dépenses de santé par habitant, mortalité infantile....) dans les PMA aient été améliorés - encore que le SIDA est en train d'inverser les tendances -, cette amélioration est sans commune mesure avec la progression constatée dans les autres PVD.
Il en résulte une vulnérabilité accrue face aux chocs externes, dont les conséquences sont évidemment plus lourdes pour les PMA.
Mais on pourrait allonger la liste de leurs handicaps : qu'il s'agisse des structures de production ou du commerce inadaptées à la demande mondiale et contraintes par la rigidité de l'offre, qu'il s'agisse du taux d'endettement particulièrement élevé de plusieurs de ces pays.
La faiblesse des sources de financement intérieures et l'accès limité aux financements extérieurs privés - au demeurant lié à l'existence de risques élevés que les investisseurs étrangers ne sont pas toujours prêt à prendre, sauf à se rattraper sur un taux de profit qui compromette les performances à l'exportation - accentuent leur dépendance vis-à-vis de l'aide publique au développement.
Mais dans le même temps, les donateurs sont confrontés à une capacité limitée d'absorption de l'aide, liés à la faible gouvernance de ces pays ainsi qu'à l'investissement insuffisant dans leurs ressources humaines.
Faut-il rappeler que c'est dans les PMA que le taux d'analphabétisation est le plus élevé, celui de scolarisation de base le plus faible et souvent l'écart d'enseignement entre garçons et filles le plus grand : le taux d'alphabétisation des adultes était en 1998 de 72,7 % pour l'ensemble des PVD et seulement de 50 % de la population âgée de 15 ans et plus pour les PMA ; le taux d'alphabétisation des jeunes adultes (15 à 24 ans) était en 1998 de 84,1 % pour l'ensemble des PVD et seulement de 62,5 % pour les PMA. Les taux de scolarisation étaient en 1997, respectivement pour le primaire et le secondaire, de 85,7 % et 60,4 % pour l'ensemble des PVD et seulement de 60,4 % et 31,2 % pour les PMA.
Mesdames, Messieurs,
Pour réduire la pauvreté dans les PMA, l'action de la France est multiple. Elle manque encore de visibilité en dépit des efforts que le HCCI fournit à cet égard, et je l'en remercie.
Tout d'abord, la France s'est toujours faite l'avocate de la nécessité de renforcer l'aide publique au développement. Avec le Japon, la France reste le plus généreux des 7 pays les plus industrialisés en part de PIB consacré à l'aide publique au développement : 0,34 % hors TOM en 1999, ce qui correspond à 5,5 milliards d'Euros. Cette position relativement favorable a tendance à s'affaiblir. Mais lors de la constitution du 9ème FED, nous avons accepté de conserver notre statut de premier contributeur, avec une part de 24,3 % qui dépasse très largement notre clé de 17 % dans le budget communautaire.
L'ouverture des marchés est nécessaire, mais elle ne suffira pas à réduire les inégalités. Tandis qu'un pays émergent exporte environ 2000 produits, un PMA n'en exporte le plus souvent que 2 ou 3. Sans production, la liberté des échanges est une escroquerie, or la production dépend des investissements. Et nous savons que les flux d'investissement s'orientent principalement vers les Etats-Unis et la Chine. L'initiative Clinton d'ouverture des marchés américains a fini par être votée par le Congrès mais son application promet d'être très difficile notamment du fait des lobbies.
Chez l'ensemble des donateurs de l'OCDE, on constate un effritement de la part des PMA dans l'APD totale, celle-ci étant revenue de 28 % en 1995 à 21 % en 1999.
Cela tient principalement à la diminution de la part de l'APD multilatérale destinée aux PMA, laquelle est tombée de 41 % à 30 % au cours de cette période.
En 1988, il y a douze ans, la France consacrait 0,15 % de son PNB à l'aide publique au développement des PMA. Avec 0,06 % en 1999, nous sommes à peine au-dessus de la moyenne du CAD.
Ceci s'explique pour partie par la disparition de nos concours d'ajustement structurel aux PMA, dont la vocation est d'ailleurs par nature transitoire. Mais, la multiplication des conflits, les crises régionales, les atteintes aux droits de l'homme, aussi ont compromis bien souvent la mise en place de l'aide française au développement et ont provoqué, en quelque sorte, une éviction de celle-ci par l'aide alimentaire, humanitaire ou les dépenses de maintien de la paix. Pour illustrer la montée en puissance des dépenses de maintien de la paix, je rappelle que la Minusil en Sierra Leone, qui regroupera 17 à 18 000 hommes, coûtera 8 millions de dollars à la France.
A ceci, s'ajoute enfin la baisse de certains décaissements multilatéraux ou communautaires, liés à des dysfonctionnements internes, - on pense à l'Union européenne notamment -, ou à des difficultés de reconstitution des fonds, faute d'accord sur un partage équitable du fardeau. Or cette baisse a surtout affecté les PMA. C'est dans ces pays que le "taux de retour" est le plus faible.
Pourtant cette évolution s'est accompagnée d'une amélioration de la qualité de notre aide. Je vous rappelle que lors du dernier Conseil Développement de l'Union européenne, la France a uvré pour améliorer l'efficacité de l'aide de la Communauté. La déclaration adoptée par le Conseil et la Commission le 10 novembre dernier a ouvert la voie à une vaste réforme de l'aide extérieure de l'Union. Lors du prochain Conseil de Développement, sous Présidence suédoise, un plan d'action plus concret sera adopté.
L'aide de la France en direction des PMA se fait également plus efficace car centrée sur leurs besoins prioritaires. Elle s'inscrit désormais dans la durée, et, je sais que vous y êtes sensibles, elle approfondit la relation avec la société civile. C'est ainsi que chaque commission mixte implique la société civile, celle du Nord et celle du Sud.
Notre appui est ciblé sur les problématiques essentielles aux PMA : valorisation des ressources humaines (éducation, santé, appui à la société civile) et lutte contre la vulnérabilité (diversification de l'économie, sécurité alimentaire, prévention des crises politiques et sociales...).
En 2000, les PMA ont reçu 68 % des montants du FSP (524,9 MF sur 773,9 MF de FSP-Etats) qui est l'instrument privilégié d'intervention du ministère des Affaires étrangères dans les pays de notre zone de solidarité prioritaire.
La répartition sectorielle dans les PMA a été de 14 % pour l'éducation, 13 % pour la santé, 22 % pour l'appui institutionnel, 23 % pour les actions sociales de base (via le Fonds social de développement - FSD - qui permet d'intervenir localement avec et en faveur de la société civile), 24 % pour les appuis aux secteurs productifs.
Nous nous attachons bien sûr à renforcer les sociétés civiles notamment dans les PMA et leurs organisations. Un simple examen des projets financés en 2000 sur le Fonds de solidarité prioritaire (FSP) en témoigne. Les projets approuvés en 2000 représentent un montant de 49 millions de francs. A ceci, s'ajoutent 120 MF de crédits déconcentrés mis en oeuvre avec la société civile locale.
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais maintenant aborder d'autres formes d'aide dont vous soulignez à juste titre l'importance dans votre rapport.
D'abord, l'allégement de la dette.
L'initiative d'allégement de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE), concerne au premier chef les PMA : sur un total de 41 pays identifiés par le FMI comme potentiellement éligibles à cette initiative, 30 sont des PMA. Sur les 22 pays qui ont commencé à ce jour à bénéficier de l'initiative et qui ont atteint le point de décision, 17 sont PMA. L'effacement des dettes de ces derniers porte sur 13,3 milliards de dollars en valeur actuelle nette.
Comme vous le savez, l'effort de la France va au-delà des engagements pris dans le cadre du G7. Aux 2 milliards d'euros de l'initiative PPTE, s'ajoute l'effort bilatéral français, soit 4.7 milliards d'euros. Pour les pays éligibles, outre les créances d'APD, la France annule la totalité des créances commerciales éligibles au Club de Paris. Ces annulations interviendront dès le point de décision. L'anticipation porte sur environ 500 millions d'euros.
Notre priorité est là aussi de renforcer le rôle de la société civile. C'est ce que nous allons faire dans le cadre des contrats de désendettement-développement, dont j'avais lancé l'idée à la réunion des ministres de la zone franc à Malabo en avril 2000 et qui maintenant fait l'objet d'une procédure concertée entre le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l'Economie et des Finances, plus précisément entre la direction générale de la coopération internationale et du développement et l'Agence française du développement. Sur le terrain, cette procédure est placée sous l'autorité de nos Ambassadeurs.
S'agissant du déliement de l'aide, que vous avez évoqué dans vos travaux, la France a toujours tenu une position de solidarité, dans le cadre d'un partage équitable du fardeau. Au terme d'un difficile débat de plusieurs mois à l'OCDE, nous avons obtenu la semaine dernière un bon accord. Il prévoit un déliement de l'aide pour les PMA vis-à-vis de tous les membres du CAD, avec une entrée en application effective dès le 1er janvier 2002. Le déliement sera optionnel en ce qui concerne l'assistance technique et l'aide alimentaire et prendra en compte des seuils pour les investissements matériels et la coopération technique liée aux investissements.
Par ailleurs, comme l'a reconnu le Secrétaire général des Nations unies, l'Union européenne à une fois de plus montré le chemin de la générosité en adoptant l'initiative, pour les PMA, du commissaire Lamy : "tout sauf les armes". Cette ouverture supplémentaire du marché européen aux PMA complète le dispositif de l'accord de Cotonou. Nous espérons que les autres pays industrialisés suivront cet exemple et nous invitons la société civile à y contribuer en se mobilisant dans cette perspective.
Je suis convaincu du caractère essentiel d'une bonne articulation entre commerce et développement. Cette dimension est au cur de la nouvelle politique européenne de développement et de notre partenariat avec les pays ACP, notamment dans son volet commercial qui repose sur l'intégration économique régionale. Vous comprendrez pourquoi j'attache une si grande importance à la mise en oeuvre rapide de l'accord de Cotonou et à la nécessité d'apporter un appui à ces pays pour respecter les normes.
Sur le plan bilatéral, je vous rappelle que nous agissons en matière de formation des PMA aux négociations commerciales. Nous participons ainsi financièrement à différents programmes mis en oeuvre par la CNUCED : au programme "JITAP" (assistance technique) en Côte d'Ivoire et au programme "TrainForTrade" a travers la réalisation d'un projet bi-multi pour trois pays d'Afrique de l'Ouest.
Nous avons également collaboré à l'organisation de la première conférence des ministres africains du Commerce qui s'est tenue à Libreville en novembre 2000 - j'y étais ainsi que le Commissaire Lamy -, par un fonds fiduciaire spécifique d'assistance technique ouvert auprès de l'OMC.
Enfin nous agissons pour doter les PMA d'une fiscalité plus performante (appui aux douanes : soit bilatéral, soit via le programme Sydonia de la CNUCED), pour qu'ils diversifient leurs productions et augmentent leurs capacités d'exportation. C'est un domaine ou la nouvelle assistance technique que j'ai présentée au Conseil des ministres du 11 avril trouvera à s'appliquer.
Enfin, comme je l'ai déjà souligné devant le Forum international sur les Perspectives africaines, l'intégration régionale doit être encouragée. L'effet d'entraînement dont elle est porteuse est de l'intérêt des PMA. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il nous faut aider aussi les autres pays africains, qui sont des acteurs économiques majeurs du développement et qui peuvent jouer un rôle de locomotive des PMA de leur sous-région et de leur continent.
La France est très engagée à soutenir ces processus qui permettent aux pays concernés, d'être plus attractifs pour l'investissement privé extérieur.
En développant les complémentarités économiques, l'intégration régionale favorise également les échanges intrarégionaux et réduit la vulnérabilité.
Elle permet de mettre en place plus efficacement des mesures incitatives au développement du secteur privé tant sur le plan législatif et réglementaire (ex : OHADA) qu'en matière de fiscalité (désarmement extérieur et TEC). Elle favorise l'insertion dans les négociations commerciales multilatérales. Elle est un élément de surveillance mutuelle, et donc d'amélioration de la gouvernance et de stabilisation.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je crois que la Conférence de Bruxelles nous offre une bonne occasion de mobiliser la communauté internationale en faveur du développement, rappeler les succès de la coopération internationale et l'exigence d'efficacité.
L'engagement de la société civile au Nord comme au Sud est fondamental. Il y va aussi de la conviction de nos opinions publiques.
L'ampleur des besoins et la multiplicité des handicaps des PMA exigent une réponse globale. Cela passe par un meilleur partage du fardeau au Nord et des efforts résolus de développement et de démocratisation des pays moins avancés. L'expérience nous montre qu'il s'agit d'une oeuvre de longue haleine qu'il convient d'inscrire dans le long terme.
Faisons enfin en sorte que cette conférence renforce la coordination de l'aide qui peut être apportée aux programmes d'actions nationaux des PMA, mais aussi "l'appropriation" par ces pays des politiques de développement. C'est probablement l'articulation entre cultures et développement qu'il nous faut approfondir. Ceci me parait être l'élément nouveau de ces dernières années et celui qui suscite le plus d'espoirs.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mai 2001)