Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et sports, sur la clôture des forums citoyens sur la bioéthique, Paris le 23 juin 2009.

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Circonstance : Clôture du forum national des états généraux de la biotéthique à Paris le 23 juin 2009

Texte intégral

Monsieur le député, cher Jean Léonetti,
Monsieur le président du comité consultatif national d'éthique, cher Alain Grimfeld,
Chère Marie-Charlotte Bouësseau,
Chère Emmanuelle Prada Bordenave,
Monsieur le président du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, cher Sadek Beloucif,
Cher Carlos de Sola,
Monsieur le rapporteur général, cher Alain Graf,
Mesdames et messieurs les membres du comité de pilotage,
Mesdames, Messieurs,
Au terme de ces forums citoyens sur la bioéthique, comment ne pas en souligner la qualité et la valeur ?
Tous, nous avons pu noter l'intérêt enthousiaste avec lequel les participants sont intervenus dans des débats qui se sont révélés d'une très haute tenue.
En écoutant les intervenants, mais aussi en examinant les contributions déposées sur Internet et les retranscriptions de chaque forum, nous avons, une nouvelle fois, fait ce constat, lumineux et évident : ces forums citoyens étaient nécessaires ; ils étaient indispensables.
Ils l'étaient d'abord pour les citoyens, qui ont eu l'occasion d'être mieux informés sur la loi et ses principes, sur les pratiques et leurs implications. Ils ont ainsi pu interroger leur sentiment immédiat et intuitif, le repenser ou le vérifier à l'épreuve du débat.
S'il est une certitude qui ne m'a jamais quittée tout au long de ma carrière politique, c'est que des citoyens éclairés sont des citoyens responsables et investis. Il convient donc de leur donner toutes les informations qui leur permettent de se déterminer, en conscience, sur des questions qui les concernent tous.
Ces forums étaient aussi indispensables pour les experts. Chacun a certes apporté une contribution instruite, brillante, basée sur des connaissances dont nous admirons tous l'étendue.
Cependant, face à la complexité de certains concepts, face à la technicité de certains articles législatifs, les citoyens ont incité les spécialistes à repenser leurs certitudes, à refonder leurs savoirs et à reformuler leurs arguments. Nous avons constaté à quel point, au fil des questions, les discours évoluaient et se clarifiaient. Cela, nous le devons au regard nouveau des citoyens.
Il était hors de question d'opposer ceux qui savent à ceux qui écoutent et apprennent. Au contraire, chacun, aujourd'hui, s'accordera à le dire : nous avons assisté à de véritables échanges, qui, dans un mouvement dialectique remarquable, ont favorisé l'apport mutuel et l'enrichissement de tous.
C'est la raison pour laquelle, au-delà des avis rendus par les citoyens, au-delà du rapport qui nous sera remis, je serai attentive à maintenir l'implication des citoyens dans la réflexion continue que nous devons mener sur les questions bioéthiques.
L'éthique est, par nature, transversale. Transcendant toutes les spécialités, elle est la spécialité de tous.
Qu'est-ce qui se joue, en effet, dans les problématiques éthiques ? L'avenir des générations futures, notre projet de société, ou encore notre représentation de l'humain : toutes ces questions qui nous interpellent et nous engagent.
Hier, j'associais pleinement les citoyens à l'élaboration de la Charte de l'environnement, prélude à la réforme constitutionnelle de 2005, pour un futur que nous voulons choisir.
Aujourd'hui, ces états généraux renouvellent mon attachement à la participation citoyenne.
Le succès qu'ils ont rencontré témoigne, s'il en était besoin, de la volonté forte de nos concitoyens de s'approprier les questions de santé et les enjeux éthiques qui leur sont liés. Les Français désirent s'exprimer sur des domaines qui touchent l'individu, mais dont la portée est collective.
Comment faire évoluer les modalités du débat démocratique en ce sens ?
Plusieurs voies, qui ne sont pas exclusives, sont offertes, et le gouvernement comme le législateur auront à les étudier lors du réexamen de la loi.
Il peut s'agir de prévoir des consultations régulières, similaires à celles des états généraux ou sous une forme différente. Quel que soit le format adopté, nous ne saurions nous en tenir aux méthodes anciennes, qui nient les changements sociaux et l'existence d'une conscience collective des enjeux.
Parallèlement, les espaces de réflexion éthique, que beaucoup d'entre vous connaissent, sont d'une grande utilité en ce qu'ils rassemblent des personnalités particulièrement compétentes. Cette utilité, je veux la renforcer en les ouvrant davantage à la participation citoyenne. Je souhaite mieux structurer leurs activités de formation, de documentation, de rencontre et d'échange interdisciplinaires, ainsi que leur rôle d'observatoire des pratiques. L'organisation de débats publics locaux sur les questions d'éthique de la santé sera ainsi facilitée.
Si ces forums citoyens ont été indispensables, c'est aussi pour notre société et pour le législateur.
Cette manifestation de démocratie participative trouve son fondement même dans notre conception de la politique et du droit.
Qu'est-ce que la politique, sinon l'organisation de la cité ? Or, cette cité, chacun de nous la compose. Chacun de nous veut et doit pouvoir s'y reconnaître.
Les choix politiques qui sont faits aujourd'hui déterminent notre avenir commun. C'est pourquoi il est essentiel que ces choix soient compris, acceptés et même revendiqués.
Pour autant, ne nous y trompons pas, il ne s'agit pas de recueillir une adhésion immédiate et évidente. Bien au contraire, c'est dans le questionnement qu'elle suscite que réside la force d'une valeur. C'est sur le dialogue et la contradiction que repose la démocratie.
En ce sens, les interrogations manifestées pendant ces forums sont l'expression la plus évidente de notre jeu démocratique. Le débat citoyen a permis de mettre en lumière des points d'adhésion forts, testés et éprouvés en tant que tels, et d'autres points de doute qui attestent de l'importance de la réflexion.
Au-delà du débat même sur la démocratie, le questionnement éthique nous interroge sur le rôle du politique. Peut-on se contenter, avec Raymond Aron, d'être « d'honorables administrateurs, des conciliateurs », aller plus loin avec Tocqueville et nous attacher « aux principes plutôt qu'à leurs conséquences, aux idées et non aux hommes » ou nous résoudre, avec Weber, à cette dimension tragique de l'action politique et de la passion qui doit la guider ?
C'est à cette dialectique que nous sommes invités, à condition de poser trois principes irréfragables :
- l'éthique doit se fonder sur des principes qui construisent le pacte national et transforment une démocratie en république. Toute référence à ce qui pourrait être autorisé ailleurs - outre qu'elle serait contingente - mérite d'être discutée ;
- l'éthique ne se négocie pas ou elle n'est plus. On lit parfois qu'il faudrait « concilier », « prendre en compte », « prévoir des exceptions ». Ceci peut se comprendre dans le domaine économique ou social, mais est strictement antagoniste avec l'éthique. On n'est pas « un peu » ou « parfois » contre la peine de mort ;
l'éthique n'est pas une démarche compassionnelle ou émotive. En ce sens, oui, elle revêt une dimension tragique. Je revendique cette approche wébérienne.
Quels sont donc les principes qui fondent ce pacte républicain ?
Le propre de la loi est d'être élaborée pour tous. La loi est ainsi l'expression de l'intérêt général, dont nous devons définir l'articulation avec les intérêts particuliers.
L'intérêt général est-il la somme des intérêts particuliers ? Ou doit-il dépasser, transcender les intérêts particuliers ?
La première conception consacre le règne de l'individu : notre Nation serait la juxtaposition d'intérêts distincts, qui tous devraient être satisfaits. La seconde met en exergue le groupe, compris non comme un agrégat confus, mais comme une société reposant sur un projet commun.
Vous l'aurez compris, la conception de l'intérêt général qui prévaut dans notre pays, selon la tradition républicaine à laquelle nous tenons, est celle qui, d'essence volontariste, exige de dépasser les intérêts particuliers, intérêts qui, tous légitimes, sont bien souvent contradictoires et peuvent menacer l'équilibre de notre projet social.
C'est la raison pour laquelle l'émotion compatissante ne peut être à l'origine de la loi. Elle doit donc céder la place au jugement responsable, qui se détermine en fonction du respect de principes généraux.
Dire que le propre de la loi est d'être élaborée pour tous, c'est rappeler également que la loi répond à l'exigence d'égalité.
Cela, Rousseau, dans son Contrat social, l'a parfaitement énoncé : « Le pacte social établit entre les citoyens une telle égalité qu'ils doivent jouir tous des mêmes droits. Ainsi, par la nature du pacte, tout acte de souveraineté, c'est-à-dire tout acte authentique de la volonté générale, oblige ou favorise également tous les citoyens. »
Enfin, et cette dernière idée n'est pas sans lien avec la précédente, la raison d'être de la loi est de protéger le faible.
« Entre le fort et le faible c'est la liberté qui opprime et le droit qui libère » : quelle plus juste réflexion que celle élaborée par Lacordaire ! Le droit est protecteur ; le droit est libérateur.
La liberté la plus grande ne réside pas, en effet, dans le « tout-permis », quand bien même tout serait hypothétiquement possible.
C'est le cadre et la loi qui, en reflétant notre projet commun, donnent à la liberté les moyens de se réaliser.
L'interdiction, en ce sens, n'est jamais sanction, mais protection.
Ainsi, la loi protège bien plus que le contrat : lorsque deux parties s'entendent pour édicter des règles, qui garantit que la plus vulnérable des deux ne sera pas lésée ? Qui assure sa liberté de corps et d'esprit ?
En dégageant les principes sur lesquels il veut faire reposer la loi de bioéthique, en consentant, par une adhésion éclairée et instruite, aux grandes règles que cette loi définit, le citoyen est, au sens propre du terme, autonome.
Les débats l'ont montré, Carlos de Sola vient d'en souligner l'exemplarité : nous sommes tous attachés aux grands principes qui régissent notre loi de bioéthique actuelle.
Son architecture globale ne saurait être bouleversée. Pour autant, certaines évolutions peuvent être envisagées.
Il nous reviendra ainsi d'inscrire le cas échéant les évolutions permises par l'amélioration des techniques médicales dans un cadre qui respecte nos valeurs communes, telles que les citoyens les ont sans doute rappelées dans leurs avis. L'un des grands témoins l'a bien signalé : la France n'est pas en retard, elle est en avance.
A l'intérieur d'une loi protectrice sans être restrictive, le citoyen et, avec lui, les professionnels de santé comme les experts scientifiques, peuvent trouver une liberté d'action qui garantisse à la fois la recherche des meilleurs soins et le respect des principes éthiques.
Mais la fermeté sur les principes nous conduit aussi à éviter les réponses binaires dans le champ des possibles. Sur des sujets aussi complexes et aussi sensibles, il ne s'agit pas de répondre par « oui » ou par « non ».
Il faut penser aux solutions nuancées, ce qui ne veut pas dire rester immobiles, loin de là.
Ainsi, les progrès de l'assistance médicale à la procréation me conduisent à m'interroger sur la révision des critères de remboursement de ces techniques, en particulier sur le recul éventuel de l'âge des futures mères. C'est une piste qu'il nous faudra envisager prudemment mais qu'il nous faut explorer.
Le nombre croissant d'enfants nés après dons d'ovocytes ou de spermatozoïdes fait apparaître plus cruciales les interrogations sur leur origine et leur identité. En prenant les précautions nécessaires au maintien des dons de gamètes, une levée encadrée de l'anonymat pourrait être instaurée. Le cadre législatif doit continuer de protéger.
Mais parce que le cadre législatif doit continuer de protéger, dans d'autres domaines les évolutions ne semblent pas souhaitables.
Pour la rémunération des dons d'organe ou la gestation pour autrui notamment, le respect des principes de non-marchandisation et de protection des plus vulnérables apparaît ainsi comme strictement incompatible avec toute libéralisation.
Gageons que nous saurons maintenir à l'honneur le sens du don, dont Montesquieu a pu craindre la perte au profit du commerce et des strictes lois de l'échange.
C'est sur ce témoignage de confiance et de gratitude que j'aimerais conclure.
La loi reste à écrire. Elle devra beaucoup à l'implication responsable de tous ceux qui ont participé à ces états généraux.
Le calendrier de son réexamen n'est pas encore fixé. Le moratoire de la recherche sur les cellules souches embryonnaires s'achevant en février 2011, c'est avant cette date que la loi devra être revue. Dans l'intervalle, le projet de loi sera certainement déposé par le gouvernement au début de l'année 2010 et débattu au parlement durant le premier semestre 2010.
Ensuite, la loi ne sera peut-être plus réexaminée à date fixe, mais à la demande, selon des modalités innovantes qu'il reste à définir.
Plus qu'un débat législatif, plus qu'un débat politique, ce réexamen aura fait l'objet d'un débat citoyen. Nous pouvons en être fiers, et nous le serons, lorsque, à la lecture du texte, ligne à ligne, c'est le coeur même de notre société que nous entendrons battre.
Je vous remercie.Source http://www.sante-sports.gouv.fr, le 30 juin 2009