Déclaration de M. Hervé Morin, ministre de la défense, sur le projet de loi relatif à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, à l'Assemblée nationale le 25 juin 2009.

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Circonstance : Présentation du PJL Indemnisation des victimes des essais nucléaires, à l'Assemblée nationale le 25 juin 2009

Texte intégral


Mesdames et Messieurs les parlementaires,
13 ans après la fin des essais dans le Pacifique, et 13 ans après la ratification par la France du traité d'interdiction des essais, le projet de loi que je vous présente aujourd'hui doit permettre à notre pays de clore sereinement un chapitre de son histoire, de proposer une solution aux victimes des essais nucléaires qui ont vécu avec un profond sentiment d'injustice la douloureuse absence de réponse à leur requête, sentiment d'injustice d'autant plus profond qu'ils s'étaient engagés, pour la plupart, avec enthousiasme et fierté dans cette décision politique structurante pour la France, celle de se doter d'une force de dissuasion indépendante.
Mesdames et Messieurs les Députés, souvenez-vous des déclarations du Général De Gaulle en juillet 1964, je le cite : « nous continuerons notre effort atomique, convaincus d'aider ainsi au développement scientifique, technique et industriel de la Nation, de renouveler l'âme et le corps de notre armée comme le commande l'époque moderne, de donner à la France les moyens de sa sécurité et de son indépendance, par là même ceux de son action au profit de l'équilibre et de la paix du monde. »
Le Général éclairait en quelques mots la portée de la dissuasion. Mais nous ne pouvons comprendre le caractère visionnaire de son message, qu'en le replaçant dans son époque.
La décision de la dissuasion, c'est un concept stratégique, mais c'est aussi un enseignement tiré des pages sombres de notre histoire.
Dans l'atmosphère d'une époque tendue par la guerre froide,
Dans l'état d'esprit d'un peuple encore marqué par l'effondrement de ses élites et de sa puissance pendant la Seconde Guerre mondiale, de l'humiliation du 16 juin 1940.
Il faut se souvenir de ce que représente alors cet espoir, porté par le Général De Gaulle,
cette volonté de « reprendre en main notre destin, qui était passé depuis 1940, à la discrétion des autres », comme le disait le Général dans son message aux Français le 31 décembre 1963.
Et, il faut imaginer l'enthousiasme de se lancer dans cette « forme nouvelle, moderne, immense de l'avenir, l'Energie nucléaire » comme il le disait dans son discours d'Orange la même année.
Dans cette volonté de ne pas revivre le passé d'une nation qui s'effondre, comme dans cet élan vers l'avenir, se jouaient, à travers l'accès au rang de puissance nucléaire, la place et le rôle de la France dans le monde ; il se jouait une part de sa grandeur.
Car la grandeur de la France fut alors de se lancer dans le défi de la dissuasion.
Défi scientifique, au cours duquel la France a procédé à 210 essais nucléaires au Sahara et en Polynésie ;
Défi collectif, défi national, puisque toutes les majorités sous la IV et la Ve Républiques ont soutenu cette politique, qui signifiait une ambition retrouvée pour notre pays,
Défi politique et stratégique, enfin, puisque c'est grâce à ces essais que la France peut garantir la protection de ses intérêts vitaux et jouer un rôle de premier plan avec les autres membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Aujourd'hui, et le Président de la République l'a rappelé lors la présentation du sous-marin « Le Terrible » le 21 mars 2008 à Cherbourg : « la France a un bilan unique au monde, en matière de désarmement nucléaire ».
Ce bilan, vous le connaissez, il est éloquent, et il nous permet d'inviter la communauté internationale à nous rejoindre :
- Nous adhérons au Traité de Non Prolifération nucléaire depuis 1991, et le Président de la République a lancé un plan d'action d'ici la conférence du TNP en 2010.
- En 1996, la France a annoncé l'arrêt définitif des essais nucléaires, et a lancé le démantèlement des installations du Centre d'expérimentation du Pacifique, qui s'est achevé en 1998. La France est donc aujourd'hui le seul pays parmi les Etats dotés de l'arme nucléaire à avoir fermé et démantelé son centre d'expérimentation nucléaire en toute transparence ;
- En 1998, la France a été le premier Etat, avec le Royaume Uni à ratifier le Traité d'Interdiction Complète des Essais nucléaires, et nous appelons aujourd'hui tous les autres pays à le ratifier ;
- De même, la France est le seul Etat au monde à avoir entamé, depuis 1996, le démantèlement de ses installations de production de matières fissiles (à Pierrelatte et à Marcoule), et les experts internationaux ont été invités à venir le constater le 16 septembre dernier.
- Nous avons proposé un moratoire sur la production de matières fissiles : et nous appelons à relancer les négociations pour conclure un Traité sur l'Interdiction de la production de ces matières.
- La France est le seul Etat au monde à avoir démantelé ses missiles nucléaires sol-sol et le Président de la République a proposé d'ouvrir des négociations pour un traité interdisant les missiles sol-sol de portée courte ou moyenne ;
- La France est le seul Etat au monde à avoir volontairement et unilatéralement diminué le nombre de ses sous-marins nucléaires lanceurs d'engin (SNLE) et d'avoir diminué d'un tiers sa composante aéroportée ;
- Enfin, comme le Président de la République s'y était engagé à Cherbourg, nous avons réduit notre arsenal à moins de 300 têtes nucléaires.
La France est exemplaire en tout, il lui manquait seulement la prise en charge des victimes des essais nucléaires, comme l'ont fait avant nous la Grande-Bretagne et les Etats- Unis.
La grandeur de la France, c'est de ne plus faire d'essais. Aujourd'hui, la France doit aussi être grande dans la reconnaissance.
Ce n'est pas de la repentance - pourrait-on se repentir d'avoir voulu la paix et la sécurité pour son pays ? - , mais il s'agit aujourd'hui d'apporter la preuve que notre pays veut désormais tourner la page.
Je le disais tout à l'heure, la France a procédé à 210 essais nucléaires au Sahara et en Polynésie entre 1960 et 1996. L'Etat a conduit ces essais en appliquant les consignes de sécurité les plus strictes, mais en fonction aussi, disons-le, de l'état des connaissances scientifiques du moment et d'une application d'un principe de précaution qui ne connaissait pas la même puissance ni la même force, la même exigence dans les années 1960 qu'il n'en a aujourd'hui.
Malgré ces mesures, certaines contaminations se sont produites :
* C'est le cas au Sahara, où, parmi les 17 essais que nous avons effectués, les 4 essais aériens n'ont connu aucun incident, mais 4 essais sur les 13 que nous avons menés en galerie ont posé des problèmes de confinement, dont le tir « Béryl » du 1er mai 1962 ;
* C'est le cas également en Polynésie, où 147 essais souterrains ont été effectués sans aucune dispersion radioactive, mais sur les 46 essais aériens effectués, 10 ont donné lieu à des retombées radioactives significatives.
Tout cela a été consigné dans un rapport du délégué à la sûreté nucléaire commandé par Michèle Alliot-Marie et publié en 2006.
Au total, 150 000 travailleurs civils et militaires ont été présents sur l'ensemble des sites. Bien entendu, la plupart d'entre eux n'ont souffert d'aucune exposition.
Mais pour ceux qui ont été exposés, pour répondre à leur exigence légitime de droit, et également pour répondre aux populations civiles qui pourraient être concernées, ce texte vous est aujourd'hui proposé. Mais c'est aussi pour la France, pour une France qui se grandit en assumant ses responsabilités.
Pour eux et pour la France, notre projet de loi repose sur trois principes.
La transparence d'abord.
* Le secret qui a pesé sur ces essais a alimenté les rumeurs et la désinformation. Il faut aujourd'hui faire connaître les documents dont nous disposons, et recueillir les données, pour mettre un terme aux réactions irrationnelles. C'est pourquoi des professeurs de l'Académie des Sciences et de l'Académie de médecine ont été chargés d'étudier nos archives afin de compléter le rapport proposé en 2006 par le délégué à la sûreté nucléaire de défense (DSND). Nous leur avons ouvert l'ensemble de nos archives, ils nous rendront leur rapport d'ici la fin de l'année et il sera publié.
* Parallèlement, deux études, l'une de mortalité, l'autre de morbidité, portant sur 32 000 personnes employées en Polynésie, ont été confiées à un organisme indépendant qui livrera ses premières conclusions à l'automne.
* Tous ces résultats serviront aux travaux du comité d'indemnisation dont les membres auront accès à nos documents classifiés grâce à votre amendement.
* De votre côté, vous avez également souhaité renforcer la transparence en proposant un amendement qui instaure une commission consultative de suivi réunissant des représentants des associations et du gouvernement de Polynésie française. J'y suis favorable.
Le deuxième principe qui a guidé notre projet, c'est la justice.
Aujourd'hui le régime d'indemnisation n'est pas le même pour toutes les victimes, militaires, travailleurs civils, populations. Le système actuel était donc lourd, coûteux et injuste car il introduisait des différences selon le statut des victimes, selon les juridictions saisies.
- Ce texte prend en compte toutes les victimes, sans opérer de discrimination, avec le même dispositif juridique: personnels civils et militaires de la Défense, personnels du CEA, et des entreprises présentes sur les sites, mais aussi populations civiles ayant été touchées par des retombées radioactives significatives.
- Toutes seront indemnisées pour la totalité du préjudice subi, y compris le préjudice moral ou esthétique, et toutes selon le même régime d'indemnisation.
- Les conditions d'application seront complétées par décret en Conseil d'Etat. La liste des pathologies donnant droit à l'indemnisation sera celle de l'agence des Nations Unies, l'UNSCEAR. Elle est plus longue que celle actuellement retenue par le code de la sécurité sociale et elle est établie conformément aux travaux reconnus par l'ensemble de la communauté scientifique internationale. 18 cancers sont retenus sur cette liste. Il s'agissait de l'une des revendications des associations de victimes.
- Nous avons voulu inclure les zones concernées de la façon la plus juste possible. C'est pourquoi nous proposerons un amendement qui étend le dispositif à certaines zones de l'atoll de Hao et de l'île de Tahiti.
Enfin, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, le troisième principe qui a guidé ce texte, c'est la rigueur :
* Ce texte est le fruit d'un travail collectif de plusieurs mois mené en concertation avec les scientifiques, les industriels du secteur nucléaire, les élus et les associations, ainsi que vous tous, parlementaires de tous les groupes.
* La rigueur, c'est aussi d'instaurer un régime d'indemnisation qui soit facile à mettre en oeuvre. Avant c'était au requérant de prouver que sa maladie était due à une exposition aux rayonnements ionisants. Désormais, c'est à l'Etat, le cas échéant, qu'il revient de prouver l'absence de lien de causalité entre la maladie et l'exposition.
* Avec ce projet de loi :
- le demandeur devra simplement justifier qu'il est atteint de l'une des maladies radio-induites figurant sur la liste retenue et qu'il a séjourné dans les zones concernées durant les périodes des essais.
- Les demandes seront examinées par un comité scientifique et indépendant, présidé par un magistrat qui proposera au Ministre de la Défense le montant de l'indemnisation.
- A la suite de votre amendement, dans ses travaux, le comité respectera le principe contradictoire.
- Le demandeur disposera de possibilités de recours devant le tribunal administratif s'il n'est pas satisfait de la réponse apportée à sa demande. Les résidents en Polynésie française pourront saisir le tribunal administratif de Papeete comme le demandaient certains d'entre vous et l'assemblée polynésienne ;
- Enfin, comme le demandaient les associations ainsi que les autorités polynésiennes, les ayants-droit pourront se substituer à la victime décédée.
- Pour ce défi nucléaire, qui visait à doter notre pays de sa force de frappe et de dissuasion, il est normal que l'indemnisation prévue dans notre loi soit supportée par le budget de la Défense.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Avec ce texte, nous aurons un régime d'indemnisation comparable à celui des autres grandes démocraties qui ont réalisé des essais nucléaires pour leur sécurité, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Nous aurons surtout mis en oeuvre une solution transparente, juste et rigoureuse pour que notre pays puisse tourner la page et être en conscience avec lui-même.
La France a été grande dans ce défi scientifique, technologique et humain. La France a été grande dans ce défi politique, stratégique, qui nous permet d'être dans le cercle très restreint des puissances nucléaires. Elle doit être grande dans sa volonté de réparer ses erreurs. Tel est l'objet de ce projet de loi que j'ai l'honneur et la fierté de vous présenter ce matin.Source http://www.le-nouveaucentre.org, le 1er juillet 2009