Déclaration de M. William Villeneuve, président de Jeunes Agriculteurs, sur la PAC, l'installation des jeunes agriculteurs, Saint-Flour le 11 juin 2009.

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Circonstance : Congrès de Jeunes Agriculteurs à Saint-Flour du 9 au 11 juin 2009

Texte intégral


Je suis ravi, au nom de notre congrès, de vous accueillir ce jeudi sur les terres du Cantal, le pays des grands espaces, un pays de montagne, cela ne vous aura pas échappé.
- Un pays qui a le sens de l'accueil, ce n'est pas un vain mot ;
- Un département agricole et rural à forte identité et qui fournit aux Jeunes Agriculteurs un grand vivier de responsables professionnels. J'ai une pensée émue pour Antoine Crouttes, ancien administrateur national ;
- C'est un département qui vit le syndicalisme agricole comme une vocation, et qui malgré l'organisation du congrès de Jeunes Agriculteurs, se mobilise tambour battant pour un juste prix du lait.
Pour toutes ces raisons-là, je vous dois, au nom du conseil d'administration, nos plus chaleureux remerciements :
- pour toi, Julien le président JA du département,
- pour toi Virginie, ambassadrice du renouvellement des générations, la présidente du comité d'organisation et tous les bénévoles et collaborateurs qui ont oeuvré pour l'organisation de ce congrès.
Je vous sais gré, monsieur le ministre de l'Agriculture, monsieur le député européen, de nous avoir rejoints pour notre congrès.
Deux ans après votre premier discours chez Jeunes Agriculteurs à Epinal. Deux ans après un discours phare, sur votre engagement en faveur de l'installation des jeunes agriculteurs. Prêts bonifiés ja, nouveau parcours à l'installation : nous avons construit ensemble une page nouvelle sur le renouvellement des générations d'agriculteurs.
Mais nous sommes inquiets car cette priorité est fortement malmenée :
- d'une part, par la remise en cause en profondeur des soutiens publics, notamment dans le cadre du bilan de santé de la PAC. Bien sûr, la réorientation des aides en faveur de l'élevage était indispensable. Tout comme la priorité affichée en faveur des protéines végétales.
Nous avons, malgré tout, fait l'impasse sur une réorientation forte en faveur d'une complémentarité des filières françaises tout comme sur la présence d'actifs nombreux. Et quid d'un plan en faveur de l'engraissement ?
Mais là où nous sommes les plus amers, c'est sur les derniers arbitrages que vous avez rendus, monsieur le ministre. Arbitrages qui aboutissent à un saupoudrage des aides, envers une pluralité de filières.
Tant et si bien que les groupes de travail que vous organisez encore aujourd'hui sur ce sujet n'en finissent pas de se réunir pour répartir les quelques euros de DPU encore discutables.
Alors que les groupes sur la FCO ne se réunissent même plus et encore moins pour parler d'urgences, et de compensations des pertes de fertilité.
Pendant ce temps-là, la Commission européenne a les mains libres pour écrire dans son coin, en toute tranquillité, les futures orientations de la PAC de 2013.... Faisant fi de la flexibilité des aides, de filets de sécurité pour les producteurs ou de systèmes d'assurances...
Ce bilan de santé de la PAC interpelle aussi de nombreux jeunes qui viennent juste de déposer un Plan de Développement de l'Exploitation et dont les investissements pourraient être remis en cause par le prélèvement envisagé.
Et ce n'est pas « l'hypothétique, l'improbable, l'incertaine » réserve de DPU de 20 millions d'euros annoncés qui pourrait les rassurer ... La volonté est louable, je vous l'accorde, les actes sont préférables. Personne ne peut nous garantir qu'ils seront disponibles si besoin !
Que dire également des jeunes qui s'installent après le 15 mai 2009 et qui seront moins dotés que leurs voisins au motif qu'ils se sont installés au mauvais moment ! Ils n'ont aucune assurance de pouvoir bénéficier de DPU. C'est très injuste et surtout injustifiable sur le terrain sans parler des autres jeunes qui dépendent des ressources de la réserve.
- deuxième inquiétude de notre part : l'orientation volatile des marchés et notre économie en crise. Une fois que nous l'avons dit. Que fait-on pour y remédier ? Quelle réaction avons-nous ? C'est le désert !
Ni la crise financière, ni les émeutes de la faim en 2008 n'auront constitué l'électrochoc nécessaire à l'évolution de nos règles de concurrence, de commerce.
Aucune reconnaissance non plus sur la place centrale de la question alimentaire dans le monde.
La régulation des marchés, des échanges ne serait-elle pas qu'un beau discours électoral ?
Les députés européens feront-ils le poids face à la Commission européenne pour l'imposer comme ils s'y sont engagés dans leurs programmes de campagne ? Nous vous donnons rendez vous dans un an, monsieur le député européen, pour voir si le chantier est bien lancé. Idem sur le reconnaissance des interprofessions !
Notre pays, notre Europe, notre monde doivent faire le choix de maintenir des agriculteurs sur tous les territoires. La souveraineté alimentaire et l'approvisionnement local ne sont pas des incongruités ou des grossièretés dans nos économies développées. Mais soit les gens sont sourds, soit nous ne savons pas nous faire comprendre !
Les sirènes du « market, market, market » font tourner la tête des ultra-compétitifs et des libéraux. A croire qu'ils n'ont pas compris qu'il y aura toujours plus compétitifs qu'eux ! Il est évident que les victimes de ce système ne sont plus là pour le dénoncer. Ils ont arrêté d'exploiter ! Malheureusement ! Les consommateurs, dont le pouvoir d'achat ne s'est pas pour autant améliorer, ne me contrediraient pas !
En attendant, ce sont les jeunes agriculteurs qui se trouvent les plus menacés et affaiblis par ce contexte. Eux qui, par nature, ont le plus besoin de lisibilité, de stabilité, mais aussi d'assurances contre les coups durs dans leurs premières années d'exploitation.
Nous avons le sentiment que les quelques mois passés et à venir peuvent réduire à néant tout le travail et l'énergie que nous avons déployés pour redynamiser l'installation des jeunes, et mettre en place un nouvel accompagnement via le PPP.
C'est une belle réussite, un peu technocratique à notre goût mais une vraie satisfaction vis-à-vis des jeunes qui se verront mieux accompagnés dans leurs projets, leurs formations, leurs compétences.
Nous regrettons cependant d'avoir eu à subir les querelles politiciennes entre les régions et l'Etat concernant le financement de ce dispositif. Pour nous, seul l'intérêt des jeunes doit compter ! Nous regrettons également la lenteur avec laquelle se met en oeuvre ce nouveau parcours comme les freins administratifs innombrables : la difficile signature de certains arrêtés, des financements complexes et diminués, notamment via les ADASEA, des départements d'Outre-mer, grands oubliés des textes, l'absence de loi sur l'élargissement des financements de la formation agricole...C'est usant !
Nous ne voulons pas de l'à peu près... Alors, pour compenser la baisse des financements évoqués, nous demandons que 6M d'euros soient remis sur l'accompagnement de ce nouveau dispositif !
Mais là où nous sommes les plus inquiets aujourd'hui, c'est sur les perspectives de revenus des jeunes agriculteurs, toutes filières confondues.
Pas d'installation sans viabilité des exploitations ! Pas de viabilité sans organisation de nos filières, ni d'assurances « coups durs » en cas de crise grave.
- ORGANISATION d'abord, CONTRACTUALISATION : des mots simples pour de grandes ambitions....afin de maîtriser les volumes de nos productions et assurer des prix rémunérateurs aux producteurs.
Alors, je ne vous retracerai pas le film de ces trois dernières semaines, de l'histoire des producteurs laitiers, qui ont perdu la gestion de leurs volumes de production et se sont vu dénoncer leur système d'organisation.
Résultat : une grande cacophonie des prix au niveau européen, une grande colère des producteurs et une incapacité des pouvoirs publics à rattraper leurs erreurs ou leur fatalisme. La rémunération des producteurs ne fait pas bon ménage avec celle des actionnaires des industries cotées au CAC 40 ! Les jeunes agriculteurs ne veulent pas être la variable d'ajustement de la fluctuation du prix du lait ! Un accord sur le prix du lait qui ne rémunère pas les producteurs n'est pas un bon accord et donc l'accord signé la semaine dernière est mauvais !
Nous sommes au royaume de l'hypocrisie quand les candidats à la députation européenne ou les chefs de partis appellent de leurs voeux des prix rémunérateurs pour tous les producteurs !
Comble de l'ironie : les producteurs laitiers se verront compenser les pertes de prix par une aide de l'Etat, un pansement en somme, qui mutualise aussi les fonds de financement de notre sécurité sociale agricole. C'est tellement inadapté ! C'est tout sauf prospectif ! C'est comme si on finançait la vente à perte !
Quel est l'avenir de nos filières si les prix sont mondiaux, les distorsions de concurrence sont européennes, et les contraintes et les charges franco-françaises ?
En l'occurrence, ni les producteurs de porc, de fruits et légumes, ni les éleveurs, ni les céréaliers, ni les viticulteurs ne sont gagnants dans cette course à la « sous-enchère » des prix. La sous-enchère, on peut l'éviter. J'espère que ces aides arriveront plus vite que celles promises lors de la conférence sur les revenus que les jeunes attendent toujours.
On vient de le voir avec le rosé. Si nous n'y avions pas cru, si nous n'avions pas mobilisé les autres pays, le rosé serait coupé, comme les prix ! Je remercie la mobilisation sur ce dossier. Merci à vous, monsieur le ministre.
Nous voulons croire que des organisations communes de filières sont possibles au niveau européen.
Nous voulons croire que l'harmonisation des règles sociales, fiscales, environnementales sont des ambitions communautaires...
La France doit arrêter de laver plus blanc que blanc concernant la protection de l'environnement si c'est plus par idéologie que par cohérence agronomique ! Mais faire cavalier seul en Europe, c'est suicidaire.
Protéger l'environnement sur nos exploitations c'est vital, nous en sommes convaincus. Multiplier la paperasse et les règles contradictoires, c'est improductif !
Si vous cherchez les véritables lauréats de cette volatilité des prix des matières premières agricoles, ils sont placardés sur le site de Jeunes Agriculteurs « Qui se gave le plus.com ».
Les GMS, c'est le combat commun à toutes les filières. Celles qui se permettent de nous menacer de nous déréférencer en plein congrès ! Celles qui osent communiquer sur l'augmentation du pouvoir d'achat des consommateurs : mais à bien y regarder, c'est en moyenne, à certaines dates, à certains endroits ! Celles aussi qui manipulent les pouvoirs publics sur la saine concurrence. Nous sommes outrés, nous sommes lassés ! Et en plus, nous sommes tous floués !
La seule réponse que nous obtenons : c'est l'observatoire des prix et des marges. Il existe c'est vrai, on peut s'en féliciter, mais il est vide, on se demande bien pourquoi ?
L'Etat doit être moteur de sa réussite et être très insistant pour garantir la bonne volonté de ses composantes. A défaut d'observatoire efficient aujourd'hui, nous connaissons le palmarès des plus grosses fortunes de France au premier rang desquelles figurent les patrons de GMS !!! Personne n'est choqué alors que la transparence des aides PAC a fait douter sur l'opportunité des soutiens aux agriculteurs. La transparence des revenus, c'est pour tout le monde ou personne !
Alors oui, il est grand temps de nous manifester (cela fait 6 mois et nous avons des fourmis dans les bottes) comme il est grand temps de nous organiser.
Car si nous avons notre part de responsabilité pour nous prendre en mains, il faut nous laisser l'opportunité de le faire, en France et en Europe !
Et ce n'est pas la LME, la loi « Michel Edouard » qui pourra nous y aider. La LME n'offre aucun salut pour assurer l'avenir des producteurs. On nous parle alors de Loi de modernisation agricole.
Mais sera-t-elle le dernier rempart pour le maintien des actifs plutôt que des hectares ? Sera-t-elle motrice pour l'organisation des filières ? Pour cela, il faut des convictions et j'espère que votre successeur en aura !
Car c'est par la contractualisation entre filières, et au sein même de la filière, que nous parviendrons à assurer une certaine forme de régulation des prix et du marché. Tout en construisant un partenariat gagnant-gagnant entre céréaliers et éleveurs, tout comme entre les différents partenaires d'une même filière.
Pour cela, nous avons aussi besoin de nous réapproprier la maîtrise de notre production. Nous avons besoin que l'Etat nous en donne les moyens juridiques !
Après l'organisation, le second levier dont nous avons besoin s'articule autour de la GESTION DES RISQUES ET DES ALEAS.
L'imprévu, c'est le coeur même de notre métier. C'est aussi la plus grande fragilité de notre activité. Surtout lorsque l'on est jeune agriculteur.
Pour qu'il passe le cap de son installation, le jeune doit faire l'objet d'un accompagnement particulier, que nos aînés doivent fortement encourager. Nous avons besoin d'une solidarité de la profession toute entière sur le sujet.
Comment ? Par une bonification pour les jeunes tant dans la souscription d'une assurance que dans l'indemnisation des pertes de production. En l'état actuel de nos discussions, nous avons perdu tous les avantages comparatifs accordés aux jeunes agriculteurs, notamment en termes de taux de subvention de l'assurance récolte.
Que dire aussi de la lenteur avec laquelle se développent les expérimentations d'assurances économiques au son du même refrain : assureurs et Etat doivent trouver un terrain d'entente, très rapidement, et sans querelle de clochers.... Nous en avons besoin.
La dotation pour aléas, seule réponse actuelle à ces problématiques, n'est ni adaptée, ni performante pour nous, les jeunes.
C'est pour cela que nous vous proposons de mettre en place, à titre expérimental, un fonds de garantie ciblé sur les jeunes agriculteurs qui interviendrait en cas de chute des prix. Nous sommes prêts à en rediscuter et à l'expérimenter.
Mais le temps presse. En attendant, nous sommes preneurs d'une pérennisation de 15% d'exonération de cotisations sociales du jeune agriculteur lors de la sixième année d'installation ; comme d'une prise en charge supérieure pour les JA des intérêts en cas de crise dans un secteur.
Et puisqu'il reste des crédits sous-utilisés sur le second pilier dans le financement des investissements en bâtiments (PMBE, PVE), nous vous demandons de prendre de nouvelles règles d'application pour que les jeunes se voient soutenus plus significativement dans leurs investissements. Au vu du contexte, c'est indispensable.
Mais, nous sommes pour des solutions rapides, et qui s'appliquent : ce n'est pas le cas actuellement de la priorité accordée aux 6000 jeunes installés concernant les diagnostics énergétiques.
C'était l'une de vos promesses du dernier congrès. Vos services semblent l'avoir oubliée ! Mais on peut corriger la copie, j'en suis sûr !
Vous avez peut-être l'impression que nous sommes sur la défensive. Nous sommes inquiets de la conjoncture actuelle qui menace la politique française d'installation.
Malgré tout, les vocations de jeunes porteurs de projet ne manquent pas. Et tant mieux !
Malgré tout, les perspectives du développement de l'agriculture dans le monde doivent nous encourager : l'alimentation des populations est plus que jamais sur le devant de la scène.
Malgré tout encore, nous continuons de réfléchir ardemment à une meilleure politique de transmission des exploitations actuelles. C'est tout l'objet du rapport d'orientation que nous venons de voter.
Car un agriculteur sur deux quittera le métier dans les dix prochaines années.
Car il nous faut défendre des entreprises agricoles viables, vivables et transmissibles en leur redonnant de la rentabilité et de la lisibilité.
C'est le travail de très court terme que nous allons engager pour que nous investissions tous dans l'agriculture de demain.
Avoir des agriculteurs nombreux est devenu l'affaire de tous.
Alors pour cela, le foncier, support de notre exploitation doit être mieux protégé. Avions-nous besoin de développer le photovoltaique au sol sur les terres agricoles ? On marche sur la tête et on gâche nos paysages ! Les ministères du Développement Durable et de l'Agriculture ne travaillent-ils donc pas ensemble ?
Si le Grenelle de l'environnement avait un principal défaut, il serait d'avoir juxtaposé des mesures, sans aucune cohérence entre elles, sans aucune logique, y compris environnementales. Le développement durable ne se décrète pas, il se construit avec les principaux acteurs concernés dont les agriculteurs.
Le développement durable doit allier l'environnement, l'économique et le social. Si la France peut s'enorgueillir d'avoir lancé une réflexion profonde sur la protection des sols, de l'air, de l'eau, cette vitrine ne doit pas rester vide, aussi peu attractive pour les paysans que nous sommes. Des contraintes sans valorisation, cela n'a jamais marché !
La haute valeur environnementale de nos exploitations françaises sans aucune harmonisation européenne, ni valorisation supplémentaire : c'est risqué !
De même que notre positionnement sur les OGM. Ils ne seraient bons et acceptables pour les pouvoirs publics que s'ils étaient produits à l'extérieur de nos frontières !! Pourquoi continuer à en importer sans discuter des questions environnementales que cela pose à l'extérieur de nos frontières : ce n'est pas tenable !
Pour terminer,
Vous l'aurez remarqué, nous sommes volontaires malgré nos inquiétudes.
C'est parce que nous croyons en notre métier, en notre avenir et, ce, toutes filières confondues.
C'est cela la richesse de notre agriculture. La diversité de nos productions, c'est vraiment notre valeur ajoutée. C'est celle que nous devons conserver, à tout prix !
Nous croyons en la solidarité de nos producteurs, de nos filières parce que nous avons compris que nous n'avons pas d'autres choix. C'est cela la voie tracée par notre syndicalisme majoritaire. Nous ne devons pas l'oublier.
Notre unité entre filières est notre force. Il est grand temps de nous retrousser les manches pour la retrouver et surtout être force de proposition ensemble. Nous n'avons que faire des querelles de clocher ou des discours de campagne électorale à l'envolée.
Nous formons un syndicat responsable, qui ne faisons ni clientélisme, ni populisme.
Nous voulons des idées, des actions et des résultats. Pour qu'enfin, les jeunes agriculteurs et les autres puissent dignement vivre de leurs productions, ici et maintenant !
Source http://www.cnja.com, le 17 juin 2009