Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "France 3" le 6 juillet 2009, sur l'arrestation et l'emprisonnement d'une universitaire française en Iran le 1er juillet.

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Média : France 3

Texte intégral

Q - L'information de la soirée, c'est l'annonce, tout à l'heure, par le Quai d'Orsay de l'emprisonnement d'une Française en Iran. Accusée d'espionnage, elle a été arrêtée mercredi dernier et transférée à la prison d'Evine à Téhéran. Bonsoir Monsieur Kouchner, merci d'être avec nous. Qui est cette Française ? On parle d'une universitaire qui travaillait à l'université d'Ispahan.
R - Bonsoir. En effet, il s'agit d'une universitaire de 23 ans, lectrice de français à l'université d'Ispahan, qui faisait son travail et qui d'ailleurs était sur le chemin du retour puisqu'elle a été arrêtée à l'aéroport de Téhéran.
Q - Peut-on donner son identité ?
R - Elle s'appelle Clotilde Reiss.
Q - Elle était en Iran pour enseigner. Que lui reprochent aujourd'hui les autorités iraniennes ?
R - Si nous comprenons bien - et cela fait cinq jours que cette arrestation a eu lieu -, cette jeune femme est accusée d'espionnage. Il s'agit d'envoi de photos comme des centaines, des milliers de photos qui ont été envoyées, photos prises par un téléphone portable, je crois qu'il s'agit de cela. Ce n'est pas de l'espionnage, ce ne peut pas l'être et vous comprenez bien que cette accusation est absurde. C'est une jeune femme qui était lectrice de français et qui accomplissait cinq ou six mois d'enseignement. Elle avait fini, elle rentrait à la maison via Beyrouth.
Q - Cela fait cinq jours que vous le savez, je suppose que vous avez essayé déjà beaucoup de choses. Aujourd'hui vous choisissez de médiatiser l'affaire. Comment allez-vous vous y prendre ?
R - Il y a des moyens normaux de parler aux autorités iraniennes, nous les avons employés. Nous avons convoqué l'ambassadeur à plusieurs reprises...
Q - Que vous a-t-il dit ?
R - Que l'enquête suivait son cours et qu'elle était accusée. Nous souhaitons que toute la lumière soit faite, que cette jeune femme soit libérée. Cette accusation est absurde et il n'y a aucune raison que Clotilde soit retenue. Nous avons rencontré sa famille et nous avons fait tout ce que nous pouvions pendant quatre jours pour que cette affaire prenne le chemin habituel et qu'elle soit libérée. Maintenant, nous exigeons cette libération. Je vous rappelle qu'il y a eu une concertation européenne et les Vingt-sept pays sont d'accord pour protester ensemble. Il ne s'agit pas seulement d'une citoyenne française, il s'agit d'une citoyenne européenne.
Q - Vous avez essayé le dialogue pendant cinq jours. A priori, cela n'a pas marché. Quelle est la prochaine étape ?
R - Nous espérons encore, il n'y a pas de prochaine étape. Il faut absolument que cette jeune femme soit libérée. Pour que l'on prouve quelque chose contre elle, ce sera bien difficile parce qu'elle était une jeune enseignante tout à fait classique, qui faisait son travail mais qui, encore une fois, a été témoin de manifestations - comme des millions d'Iraniens en ont été témoins - et qui n'a pas été active dans ces manifestations.
Q - Est-ce qu'elle a pu se mettre en danger d'une certaine façon, en ne suivant pas les recommandations du Quai d'Orsay ?
R - Je ne le crois pas du tout, d'ailleurs ce ne serait pas une raison. Elle avait fait son travail et, ce travail achevé, après les mois d'enseignement, elle rentrait à Paris dans sa famille. Il faut qu'elle rentre à Paris, sa famille l'attend.
Q - On sait que Roxana Saberi, cette journaliste iranienne est restée deux mois dans la même prison où est emprisonnée la Française. Vous vous laissez combien de temps avant de passer à une autre étape, celle d'après le dialogue, des sanctions éventuellement ?
R - Il y a un problème politique qu'affronte, que juge, que commente le monde entier, et en particulier les 27 pays de l'Europe. Là, il s'agit d'une jeune fille française qui doit être libérée parce qu'il n'y a aucun fondement à cette accusation. Ne confondons pas les deux choses. N'en faisons pas une affaire d'Etat, faisons tout ce que nous pouvons pour la faire libérer, pour qu'elle soit libérée et qu'elle retrouve sa famille. Voilà où nous en sommes maintenant.
Q - Autre dossier que nous avons abordé au début de ce journal, c'est la thèse de la bavure commise par l'armée algérienne pour l'assassinat des moines de Tibérine, est-ce que cette thèse vous semble crédible aujourd'hui ?
R - Je ne voudrais pas mélanger deux sujets. J'ai été bouleversé par l'assassinat des moines de Tibérine, laissons faire l'enquête ! Mais je vous rappelle qu'il y a une jeune femme en prison à Téhéran et ce n'est pas supportable.
Q - Lever le secret défense, juste un mot, c'est ce que réclame Jean Pierre Raffarin et bien d'autres aujourd'hui...
R - Ce n'est pas à moi de me prononcer.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juillet 2009