Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, sur le volet agricole de la négociation OMC, au Sénat le 25 juin 20089.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche

Texte intégral

Monsieur le Président, Madame la Secrétaire d'Etat, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je suis très heureux que la première occasion de m'exprimer publiquement non plus comme responsable des affaires européennes, mais en tant que ministre de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche, me soit donnée au Sénat.
Cela étant, comme l'ont signalé les différents intervenants, les champs que recouvrent ces deux départements ministériels ont entre eux des relations liens plus qu'étroits.
Quoi qu'il en soit, je n'ignore pas les relations existant entre le Sénat et le monde agricole. C'est pourquoi le fait que je sois amené à prononcer devant vous ma première intervention dans mes nouvelles fonctions est donc chargé de signification. En tout cas, c'est avec beaucoup de plaisir que je parle ici ce matin.
Il y a un point sur lequel je serai d'accord avec l'ensemble des intervenants et que je souhaite donc souligner d'emblée : comme l'ont rappelé M.M Jean-Pierre Chevènement, Jean Bizet, Aymeri de Montesquiou et Jacques Muller, le secteur agricole présente un caractère essentiel et stratégique dans la vie économique internationale. C'est un secteur qui, Jean-Pierre Chevènement l'a fort justement dit, fait vivre directement ou indirectement des millions de personnes dans le monde, qui représente, dans certains pays en voie de développement, une part très importante de la population active, occupant, par exemple, 800 millions de personnes en Inde.
Il s'agit d'un secteur-clé, car lui seul permettra de garantir l'alimentation d'une population mondiale qui, M. Muller l'a rappelé, reste en forte augmentation. Lui seul garantira aussi une alimentation saine face à des crises sanitaires qui inquiètent de plus en plus nos concitoyens. La question de la sécurité alimentaire a été à juste titre mise en avant par Odette Herviaux.
L'agriculture et l'alimentation sont donc clairement des enjeux mondiaux, et il faut les considérer comme tels même quand notre priorité est de défendre les intérêts de nos agriculteurs et de nos pêcheurs nationaux.
Deux processus sont en cours, qu'il nous faut gérer de front : d'un côté, la négociation internationale dans le cadre de l'OMC, qui fait l'objet du présent débat et sur laquelle Anne-Marie Idrac donnera tous les éclaircissements nécessaires ; de l'autre, la définition d'une nouvelle politique agricole commune.
Le défi, dans les années à venir, consistera à trouver la meilleure articulation possible entre ces deux processus. Mon rôle sera de veiller à ce que le second réponde strictement aux intérêts des agriculteurs et des pêcheurs français.
S'agissant de l'OMC et de la reprise du cycle de Doha, que j'avais déjà eu à traiter dans d'autres fonctions, lorsque je travaillais auprès de Dominique de Villepin, alors Premier ministre, je le dis avec beaucoup de fermeté et de gravité : nous sommes allés, sur le secteur agricole, à la limite extrême de ce que nous pouvons accepter. Chacun doit entendre ce message : nous n'irons pas plus loin.
Nous ne sacrifierons pas les intérêts de l'agriculture sur l'autel d'un accord international.
On nous dit qu'il faut achever coûte que coûte la négociation, mais il n'y a aucune raison à cela ! Quoi qu'il arrive, l'accord doit être équitable et fondé sur des règles de réciprocité.
M. Muller a parlé tout à l'heure des restitutions à l'exportation. Je ne vois pas pourquoi nous, Européens, abandonnerions ces restitutions si, de leur côté, les autres pays ne renoncent pas à l'ensemble des aides directes à l'exportation qu'ils apportent, qu'il s'agisse d'aide alimentaire en nature, comme aux Etats-Unis, de crédits à l'exportation, comme au Brésil, ou de monopoles d'Etat pour les exportations agricoles, comme en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Regardons le monde tel qu'il est, avec lucidité, sans naïveté. Oui à l'amélioration du commerce, oui au commerce équitable, mais oui surtout à la défense des intérêts européens et à la règle stricte de la réciprocité et de l'équité !
Je le redis : nous n'irons pas, en matière agricole, au-delà de ce que nous avons déjà concédé.
Pour ce qui est, maintenant du processus concernant la Politique agricole commune (PAC), qui m'occupera, bien sûr, tout particulièrement dans le poste que viennent de me confier le Premier ministre et le président de la République, nous serons guidés par l'idée selon laquelle l'agriculture et son avenir se jouent avant tout, aujourd'hui, en Europe.
Il a été question du découplage des aides. Il s'agit en grande partie d'un débat aujourd'hui dépassé dans la mesure où aucun Etat membre n'est prêt à revenir en arrière. Il a eu effectivement, comme l'a souligné Jean-Pierre Chevènement, des effets néfastes sur certains territoires fragiles ; je pense en particulier à l'agriculture de montagne.
Nous avons donc, à l'occasion du bilan de santé de la Politique agricole commune, mis en place un certain nombre d'outils qui se sont révélés adaptés pour remédier à ces difficultés. Je crois d'ailleurs qu'en matière agricole la lucidité, la régularité des révisions, ainsi que la capacité à revenir sur ses erreurs et à s'apercevoir que certains choix n'ont pas toujours été les bons, sont absolument essentielles. Et, avec le bilan de santé de la PAC, en instaurant de nouvelles mesures de régulation du marché, en particulier des aides ciblées pour des agricultures plus fragiles comme l'agriculture de montagne, nous avons répondu à des difficultés qui avaient émergé à la suite des choix qui avaient été faits.
Je sais que le bilan de santé de la PAC est souvent critiqué. Il ne faut pourtant pas en ignorer les aspects positifs, notamment en matière d'agriculture durable. Grâce à lui, en effet, nous avons réussi à faire progresser certaines filières, certains types de culture et d'élevage correspondant à la fois aux intérêts des agriculteurs et à la sécurité alimentaire que demandent nos concitoyens. Je pense en particulier au développement de l'élevage à l'herbe et à celui des produits biologiques.
Il s'agit là très exactement de ce qui peut constituer l'avenir du monde agricole, ainsi que, mutatis mutandis, du monde de la pêche. Jean Bizet a tracé des perspectives très utiles sur ce sujet. J'aurai l'occasion d'y revenir, car c'est un point-clé de la stratégie que nous voulons mettre en oeuvre pour l'agriculture française.
La question des quotas laitiers a également été abordée par beaucoup d'entre vous et, dans la mesure où nous aurons tout à l'heure un débat sur ce thème, je me contenterai, en cet instant, de faire de faire quelques remarques, en commençant par un bref retour en arrière.
Vous savez tous que les quotas laitiers ont été créés en 1983 pour une durée limitée et afin de faire face à un problème de surproduction. La décision de les suspendre et même de les supprimer a été prise dès 1999. Cela ne date donc ni d'hier ni même d'avant-hier !
En 2003, nous avons décidé de les prolonger jusqu'en 2015. Nous venons de fixer deux rendez-vous, l'un en 2010, l'autre en 2012, pour poser la question de leur avenir. Il est donc caricatural de prétendre, comme on l'entend parfois, que les quotas sont supprimés !
Il a par ailleurs été décidé que chaque Etat membre pourrait augmenter ses quotas de 1 %. En France, vous le savez, nous avons décidé de geler cette hausse pour la campagne 2009-2010.
Voilà la situation actuelle. Comment pouvons-nous essayer de l'améliorer ? Comment remédier aux difficultés que continuent de rencontrer les producteurs laitiers et, surtout, répondre à leur détresse ?
J'ai eu l'occasion de rencontrer à plusieurs reprises des producteurs laitiers, en particulier en Haute-Normandie, dans les départements de mes amis Charles Revet et Joël Bourdin, et j'ai pu mesurer l'ampleur de leur détresse.
Comme pour le secteur agricole dans son ensemble, nous devons avancer dans deux directions, qui seront d'ailleurs stratégiques dans la ligne politique que j'adopterai à la tête de ce ministère.
Première direction : la nécessaire régulation de la production. Quoi qu'il arrive, même si l'on supprime certains instruments, nous avons besoin, en matière agricole, de réguler la production. La liberté absolue, la concurrence absolue ont montré leurs limites ; c'est aussi vrai dans le domaine de l'industrie et des services que celui de l'agriculture.
Je me battrai donc pour qu'une régulation de la production s'applique dans le domaine laitier. C'est du reste ce que Michel Barnier a commencé à obtenir lors du Conseil des ministres de l'Agriculture du 25 mai dernier, à travers deux mesures importantes : d'une part, la possibilité d'utiliser les outils d'intervention tant que le marché l'exigera ; d'autre part, le paiement anticipé des aides aux producteurs dès le 16 octobre, au lieu du 1er décembre.
Pour ma part, je vais entreprendre trois démarches pour défendre cette idée de régulation de la production et promouvoir des décisions dans ce sens: Aujourd'hui même, à l'occasion d'un déjeuner avec Mme Fischer Boel, je vais lui expliquer ma conception de la régulation de la production dans le secteur laitier. Je me rendrai par ailleurs très prochainement en Allemagne, qui est en l'espèce sur la même ligne que nous, pour discuter avec mon homologue allemande des moyens de faire prévaloir notre position. Enfin, j'irai la soutenir à Bruxelles auprès d'autres représentants de la Commission. J'ai l'avantage de bien connaître les arcanes de cette noble institution européenne et donc de pouvoir y défendre le plus fermement possible les vues du gouvernement français.
Il a également été question du Conseil européen des 18 et 19 juin dernier, auquel j'ai participé aux côtés du président de la République et du Premier ministre. Je puis vous dire que, contrairement à ce que laissaient entendre des rumeurs véhiculées par la presse - qu'il ne faut pas toujours écouter ! -, il y a eu, sur le sujet du lait comme sur beaucoup d'autres, une identité de vue totale entre Mme Merkel et M. Sarkozy. Je me suis fortement employé pendant six mois à ce qu'il en soit ainsi, vous le savez, et je compte continuer à le faire au poste que j'occupe aujourd'hui.
Le président de la République et la chancelière allemande ont effectivement souhaité que la Commission rende des comptes sur la situation des producteurs laitiers en France et en Europe. Nul ne peut ignorer la détresse des producteurs laitiers dans l'ensemble de l'Union européenne. Personne ne peut dire que les choses vont bien ! Personne ne peut estimer que les bonnes décisions ont été prises dès lors qu'un tel mouvement de détresse se développe en Europe !
Il faut donc trouver rapidement des solutions. C'est ce que la France et l'Allemagne ont demandé conjointement, c'est ce que nous avons obtenu puisque le Conseil européen demande formellement à la Commission dans ses conclusions de lui remettre, dans les deux mois, des propositions concernant le secteur laitier.
La deuxième direction stratégique dans laquelle nous travaillerons, après la régulation de la production et la mise en place de règles cohérentes pour les marchés, c'est l'innovation et l'excellence rurales. Je ne m'attarderai pas sur ce sujet, car j'aurai l'occasion d'y revenir ultérieurement. Au demeurant, je crois que Jean Bizet l'a remarquablement traité.
Nous constatons tous, dans nos territoires, dans nos circonscriptions, dans nos régions, qu'il n'y a pas d'autre avenir pour le secteur agricole que celui de l'innovation perpétuelle et de la recherche constante de l'excellence rurale. Nos agriculteurs s'y engagent d'ailleurs jour après jour avec beaucoup de détermination et de savoir-faire, en faisant preuve d'un sens de l'innovation et de la technologie parfois beaucoup plus poussé que ceux qui leur reprochent de ne pas être assez audacieux en la matière.
La révision de la Stratégie de Lisbonne sera l'un des grands enjeux européen de l'année 2010. Ce sera une priorité de la présidence suédoise, comme de la présidence espagnole. J'avais déjà proposé à plusieurs reprises que nous y incluions des critères contraignants en matière d'innovation et de recherche pour que tous les pays suivent le rythme et que la France et l'Allemagne, notamment, ne soient pas les seules à en supporter le coût. Il me paraîtrait donc utile que la révision de la Stratégie de Lisbonne comporte un volet spécifique pour l'agriculture, la pêche et l'alimentation.
En conclusion de ma première intervention dans cet hémicycle en tant que ministre de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche, je tiens à vous dire que j'aurai toujours un grand plaisir à enrichir ma réflexion par un dialogue avec l'ensemble du Sénat.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juin 2009