Interview de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, à Europe 1 le 8 juin 2001 sur les conséquences des crises de la vache folle et de la fièvre aphteuse, le passé trotskiste de Lionel Jospin et la position du gouvernement sur les rave-parties.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - Les agriculteurs et les bouchers constateraient en ce moment que la consommation de viande bovine reprend. La chute qui était de 50 % ne serait plus que de 10 % par rapport à 2000. Est-ce que vous confirmez ?
-"Oui, je confirme ces chiffres. C'est vrai que nous assistons à une reprise tranquille, sereine de la consommation. Mais on est encore à moins 10 % par rapport à l'année dernière. On n'est pas encore sortis de la crise. Maintenant, je crois qu'effectivement, avec l'arrivée des indemnisations chez les éleveurs, avec la réouverture des frontières, notre capacité à réexporter notamment nos broutards vers l'Italie, avec cette reprise de la consommation, nous avons une éclaircie sur le front de la filière bovine et c'est tant mieux."
Les gens ont moins peur. Est-ce que le principal danger de la vache folle est maintenant passé ?
- "Oui, je le crois. Je crois que le pic de l'exposition-risque est derrière nous. Je pense que les mesures qui ont enfin été prises au plan européen, à la demande de la France, il y a quelques mois, nous amènent à un bon système de précautions et de prévention sanitaires. Nous avons encore à vivre avec des cas d'ESB car la maladie a une longue incubation, elle dure quatre ou cinq ans, mais je pense que nous devrions aller maintenant vers une sortie de crise."
Fallait-il abattre les troupeaux, faire des bûchers, est-ce que la méthode était la bonne ?
- "Vous parlez de la fièvre aphteuse ? "
Oui.
- "Je pense qu'il faut savoir tirer les leçons de ces crises. Je pense que la méthode que nous avons employée en France, en frappant très vite, très fort, a été très efficace. Je crois que tout le monde le reconnaît. Nous avons eu deux cas de fièvre aphteuse pour 1700 cas au Royaume-Uni. Cela a été très efficace, et en même temps très traumatisant. Ces grands charniers, ces grands bûchers montrés d'ailleurs complaisamment à la télévision ... Peut-être n'était-il pas nécessaire d'en faire autant. En tout cas, c'est l'expression d'une grande violence et d'un grand gaspillage que je pense que la société ne le tolérera plus. Il faut tirer les leçons de ce genre de crise, et nous devons réfléchir à d'autres méthodes, en particulier à une reprise des vaccinations, si nous savons trouver des vaccins plus opérants que ceux que nous avions jusqu'à maintenant."
La vache folle a coûté cher aux éleveurs de bovins, vous leur avez promis 1 milliard d'aides directes. Est-ce que l'Etat va payer ses dettes et ses promesses ?
- "J'avais dit que 80 % de ces aides seraient versées fin mai. Je dois reconnaître très humblement que nous avons pris un tout petit peu de retard, puisqu'à la fin mai, il n'y avait que 64 % de ces aides versées, et que les 80 % seront atteints ce week-end, soit avec une semaine de retard. Mais je pense que grosso modo, nous avons tenu notre engagement."
C'est-à-dire que le milliard sera payé ?
- "Le milliard sera payé.""
Pas moins ? Peut-être un peu plus ?
- "Non, parce que c'est le milliard qui a été arbitré au plan interministériel et qui a été voté en loi de Finances rectificative au Parlement, ou qui le sera. Donc, je n'ai pas les moyens de faire plus à ce stade. Ce qui m'importait, c'est que cette aide soit versée vite, avant l'été, et c'est le cas. Je pense que nous avons à la fois tenu un engagement et réussi une gageure parce que ce n'était pas simple."
Encore deux questions rapides sur l'agriculture et les sites sur les farines animales. On dit que les sites de stockages sont déjà saturés. En septembre, où allez-vous mettre les farines animales ? C'est d'ailleurs la future ex-ministre D. Voynet qui vous a posé la question.
- "C'est une question que nous nous posons tous à nous tous si j'ose dire. C'est un problème interministériel, qui n'est pas seulement posé au ministre de l'Agriculture. Nous le traitons ensemble, dans une mission interministérielle qui est dirigée par un préfet. Nous savons que nous avons des difficultés de stockage pendant un an ou deux. Nous ne sommes pas encore saturés, nous pourrions l'être si nous ne trouvions pas de nouvelles aires de stockage."
Où cherchez-vous ?
- "Nous sommes en train d'évaluer un certain nombre de sites qui doivent être des sites parfaitement sécurisés car quand on stocke des farines animales, il faut les mettre à l'abri du vent pour éviter la dissémination par le vent et à l'abri de la pluie pour éviter la dissémination par ruissellement. Nous faisons donc les choses aussi sérieusement que possible. C'est la preuve que cette décision d'interdiction des farines animales n'était pas si simple et facile à prendre. Contrairement à ce que certains disaient, selon lesquels on avait trop tardé, d'autres disent maintenant qu'on est peut-être allés trop vite. Cela veut dire que c'était une décision difficile et sérieuse mais nous l'assumons."
Vous venez de recevoir en tête-à-tête les nouveaux patrons de la FNSEA, M. Lemétayer, et des Chambres d'agriculture, L. Guyau. Est-ce que vous êtes encore en froid, un froid de glace. Etes-vous encore fâché ?
- "Je n'ai jamais été fâché avec personne."
Vous n'êtes pas allé à leur Congrès.
- "Parce que dans cette concertation sociale, ce dialogue social qui est permanent, et ces organisations professionnelles agricoles, je demande simplement le respect, la politesse, la courtoisie."
Comment est le climat ?
- "J'ai le sentiment que le nouveau président de la FNSEA, que je ne veux pas compromettre, veut retrouver les voies d'un dialogue social, d'une concertation courtoise, polie, respectueuse. Dans ces conditions, ma porte est toujours ouverte."
Vous êtes aussi un politique, vous êtes un des proches de L. Jospin qui s'est expliqué sur son itinéraire. Michèle Alliot-Marie, votre voisine du Sud-Ouest, estimait hier, "que l'affaire n'est pas finie, qu'il n'a pas avoué assez tôt son trotskisme, qu'il avait besoin de le cacher." Qu'en pensez-vous, vous qui le connaissez ?
- "Ca va, quoi ! Il a confirmé une information parue dans la presse et alors ai-je envie de dire ?! Franchement, qu'est-ce que cela peut faire que L. Jospin ait été trotskiste dans les années 60 ?! Je trouve cela plutôt sympa."
Quand vous entendez - et cela reviendra peut-être pendant la campagne - qu'il était une taupe à l'intérieur du Parti socialiste et peut-être dans des fonctions d'Etats" ...
- "Franchement, je restitue cela dans le contexte, car cela a une importance. Dans les années 60, l'offre politique à gauche, c'était un PC stalinien, un PS qui était déconsidéré par la IVème République, qui n'était pas reconstruit autour de F. Mitterrand. Franchement, être trotskiste à 25 ans à l'époque, ce n'était pas sûrement une compromission, et encore moins un crime ou un délit. Je pense qu'un homme peut et doit répondre de son passé si c'est un crime ou un délit mais pas si c'est anecdotique. Franchement, qu'est-ce que cela peut faire que L. Jospin le dise 25 ou 35 ans après ! Je crois qu'on n'a pas besoin de tout savoir sur les hommes publics. On a besoin de savoir tout sur ce qu'ils disent ..."
Vous êtes vraiment le mitterrandien pur sucre ! Vous avez été chef de cabinet à l'Elysée de F. Mitterrand ... Est-ce qu'il le savait ? Est-ce que vous le saviez ? Est-ce que vous en parliez ?
- "Je ne le savais pas et je ne peux pas répondre au nom de Mitterrand qui n'est plus là et à qui je n'en ai jamais parlé. Les hommes publics ont droit aussi à une vie privée, l'important c'est ce qu'ils disent et ce qu'ils font de public dans leur vie publique, dans leurs engagements publics. De ce point de vue, il n'y a pas de trouble, il n'y pas de zone d'ombre!"
Et ce qui les a inspirés au long de leur formation, ce qu'ils portent en eux-mêmes ?
- "Mais bien entendu. Cela fait 30 ans de ce point de vue que Jospin a un itinéraire complètement linéaire et transparent. Quand j'entends madame Alliot-Marie, pour revenir à votre question, dire "que ce n'est pas fini, qu'il manque des pièces au puzzle ...", quand je vois, au fond, la présidente du RPR s'inquiéter des conditions dans lesquelles L. Jospin a adhéré au PS en 71 ou 72 - il y a 30 ans ! - je me demande vraiment si elle n'a rien d'autre à dire et à proposer aux Français ! Je trouve que c'est une drôle de manière de réduire le débat. Je vois bien la manoeuvre de sa part mais franchement, je pose la question : est-ce que madame Alliot-Marie n'a rien d'autre à dire aux Français ?! Je vais vous dire franchement : les Français, "s'en foutent" de ces histoires ! Je suis aujourd'hui dans les Pyrénées, à Tarbes ..."
Vous avez intérêt à ce qu'ils "s'en foutent" ...
- "Je n'y ai pas intérêt du tout ! Ici, à Tarbes, comme partout en France, ils "s'en foutent" ! Ce qui les intéresse, ce n'est pas de savoir si Jospin était trotskiste, ni même les salades de madame Alliot-Marie. Ce qui les intéresse, c'est leur boulot, leur salaire, la sécurité dans leur quartier, l'avenir de leurs gosses, des choses très simples et concrètes."
Pendant ce week-end, le Parti socialiste va organiser à La Défense, pour les 30 ans du Congrès fondateur du PS de F. Mitterrand, une Journée sur l'idée socialiste et les fondements de l'idée socialiste. On va peut-être trouver que c'est du trotskisme ?
- "Tout cela est derrière nous depuis longtemps. Les socialistes, depuis 71, ont construit un Parti socialiste fort, un parti de gouvernement, d'alternance, un parti responsable, qui a été élu à plusieurs reprises sur un projet. L'idée de cette réflexion de demain est une idée simple : l'année prochaine, aux élections de 2002, présidentielles comme législatives, nous aurons un bon bilan, assurément ce Gouvernement aura un bon bilan, mais nous savons que cela ne suffit pas, car il faut que nous ayons un projet. C'est essentiel."
La campagne électorale n'a pas commencé... Une dernière question : il paraît que le Gouvernement se divise, se dispute sur les rave-parties, il y en a 800 chaque année en France. Va-t-il autoriser les rave-parties, va-t-il les interdire, ou va-t-il mettre de côté le projet ?
- "Vous avez raison de dire qu'il y a 800 rave-parties. Si on considère qu'il y a en moyenne 1000, 2000, parfois beaucoup plus de spectateurs, cela veut dire que c'est un vrai phénomène de société. C'est un phénomène qui m'intéresse à plus d'un titre : comme ministre de l'Agriculture car souvent ces rave-parties ont lieu dans des champs ; cela m'intéresse comme élu local, car il y en a dans ma région et dans mon département ; cela m'intéresse accessoirement comme père de trois enfant. A l'Assemblée, un amendement RPR de M. Mariani, un amendement clairement anti-raves, au nom de cette vieille idéologie sécuritaire de la droite, à coups de répression et de sanctions est devenu un amendement anti-jeunes et anti-raves ..."
Il n'était pas nécessaire que vous tombiez dans le piège.
- "D. Vaillant s'est opposé à cet amendement qui a été adopté quand même. Et au Sénat, D. Vaillant, au nom du Gouvernement ..."
...Allez-vous le maintenir ou l'enlever ?
- "D. Vaillant a proposé un nouvel amendement qui dit : ni répression anti-raves ni attitude anti-jeunes - donc, pas question de l'interdire - ni jeunisme, si j'ose dire, irresponsable, en disant : fermons les yeux sur des problèmes qui n'existent pas. Il fait le pari de la responsabilité. Je pense, comme le Gouvernement et comme D. Vaillant, que les jeunes de 18 à 25 ans peuvent, savent très bien être responsables. Il faut leur dire : "oui aux raves si c'est un mode d'expression artistique et culturel qui vous mobilise mais il faudra l'assumer en responsabilité." Tous les organismes doivent prendre leurs responsabilités, c'est normal."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 8 juin 2001)