Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "France 2" le 22 juillet 2009, sur le suivi de la baisse de la tva dans la restauration et ses effets sur les prix, sur le climat social dans les entreprises en difficulté, notamment chez New Fabris.

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Média : France 2

Texte intégral

A. Kara.- Cette nuit encore, il y a eu deux nouvelles séquestrations de dirigeants d'entreprise, des ouvriers licenciés qui menacent toujours de faire sauter leur usine. Le climat social se dégrade quand même sérieusement. Que peut-on faire face à cela ?

D'abord, je voudrais avant tout, évidemment, condamner tous les actes de violence ou les situations de chantage, parce qu'on l'a vu, ça ne fonctionne pas. Ce qui fonctionne, c'est le dialogue. Vous avez noté que les salariés de Nortel avaient maintenant trouvé un accord, grâce à l'intervention, évidemment, de toutes les parties prenantes. Grâce aussi à l'intervention du ministre chargé de l'Industrie, C. Estrosi, qui s'est beaucoup impliqué, qui continue à beaucoup s'impliquer. Il a reçu les salariés de Nortel, il a travaillé avec eux. Dans d'autres situations, il a dit "je ne vous recevrai pas". Tant qu'il y a des menaces, tant qu'il y a de la violence, tant qu'il y a ces situations de chantage, il n'y a pas de dialogue. Et ce n'est pas cela qui va aider le dialogue. Donc, ce que je voudrais simplement dire, c'est que nous avons des moyens. J'ai, ainsi que C. Estrosi, une cellule de veille permanente renforcée, en particuliers pendant les périodes d'été, parce que c'est un moment où il faut être très vigilant, bien sûr, pour, si j'ose dire, veiller au grain et participer chaque fois qu'on le peut, au dialogue, au renforcement des relations au sein des entreprises qui sont évidemment, aujourd'hui, victimes de la situation de crise.

Oui, mais est-ce que vous comprenez ce désespoir qu'on ressent un peu partout avec ces plans de licenciement ? Par exemple, les New Fabris vont être reçus ce matin à Bercy ; que peut-on leur dire ?

C'est un très bel exemple, exactement, de ce que je vous disais. C'est-à-dire que dès lors qu'ils ont décidé que mettre des bonbonnes, menacer de faire sauter, ce n'était pas la bonne solution, immédiatement, C. Estrosi leur a indiqué que nous les recevrions et il les reçoit cet après-midi à Bercy. Que peut-on proposer ? D'abord, on peut proposer l'intermédiation. On est là, les pouvoirs publics sont une instance de dialogue. J'ai, sur le terrain, des commissaires à la ré-industrialisation ; les préfets sont mobilisés. Tous les services de l'Etat sont au chevet de l'économie actuellement pour s'efforcer de répondre à toutes les situations. On a mis en place de multiples mesures pour essayer de faire face : allongement du chômage partiel, augmentation des indemnisations, contrat de transition professionnelle. C'est vraiment un moyen très fort que nous avons de répondre aux situations de licenciements économiques. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'un salarié licencié pour motif économique dans un CTP, dans un bassin d'emploi menacé, va bénéficier pratiquement de l'équivalent de son salaire pendant une durée de douze mois et de formation professionnelle pour l'amener parfois vers un nouveau métier. Parce que, aujourd'hui, l'économie souffre mais l'économie, c'est un corps vivant. Il y a des métiers qui disparaissent, il y en a d'autres qui se créent. Je pense par exemple aux éco-industries, à tout le secteur de l'environnement, qui est créateur d'emplois de manière forte, pour lequel il faut que nous préparions de nouveaux emplois.

Sur un tout autre sujet, ce matin, se réunit le premier comité de suivi sur la baisse de la TVA. Je rappelle que le 1er juillet, les restaurateurs ont bénéficié d'une TVA à 5,5 %. On a l'impression que pour l'instant, les prix ne baissent pas partout. Excusez-moi, c'est un peu trivial, mais est-ce que vous n'avez pas le sentiment de vous êtes fait rouler quand même ?

La TVA à taux réduit, 5,5 au lieu de 19,6 %, c'est applicable depuis le 1er juillet. Les restaurateurs vont le voir dans leur paiement de TVA à la fin du mois d'août, puisqu'on fait sa déclaration en fin de mois et on paie le mois suivant. C'est un contrat. Le Gouvernement a dit "je tiendrai ma parole". Moi, je suis allée me battre à Bruxelles pour l'avoir ce taux réduit ; H. Novelli est sur le terrain tous les jours pour s'assurer que le contrat est respecté. Nous, on a tenu parole, il faut que les restaurateurs tiennent parole. Les syndicats professionnels, les fédérations se sont engagés sur trois choses. Premièrement, faire baisser les prix. Deuxièmement, créer de l'emploi et augmenter les rémunérations, améliorer la formation professionnelle. Troisièmement, augmenter les investissements dans les restaurants pour que ce soit plus attractif. Alors, sur le deuxième point, sur l'emploi, on va regarder les compteurs, mais je me réjouis déjà qu'un accord soit en passe de conclusion sur la grille des salaires dans la restauration, dans les hôtels, bars, restaurants, qui n'avait pas bougé depuis des mois. Ça augmente, c'est bien. Deuxièmement, en ce qui concerne la prévoyance et la protection des droits des salariés, là aussi, trois avenants à la convention collective ont été signés. Maintenant, en ce qui concerne les prix, parce que c'est ce qui nous intéresse tous, là, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, à qui j'avais demandé de faire de nombreux contrôles avant, me dit aujourd'hui que 50 % des restaurateurs respectent le contrat et baissent les prix pour les consommateurs.

Cela fait 50 % qui ne le font pas !

Bien sûr. 50 qui font, 50 qui ne font pas. Dans les 50 %, on retrouve toutes les grandes chaînes de restauration, et je voudrais leur tirer un coup de chapeau, parce qu'ils ont tenu parole et ils ont baissé les prix à la carte. Alors, que va-t-on faire sur les 50 ?

Pour ceux qui ne font, qu'est-ce vous allez faire ?

D'abord, il faut se souvenir qu'on est à trois semaines de la date d'entrée en vigueur. On n'est que le 21 juillet, il fat laisser un petit peu de temps au temps. Mais ce que j'ai demandé à la DGCCRF, c'est évidemment d'intensifier les contrôles, de vérifier ce qui se passe sur le terrain. Je crois qu'on utilisera tous les moyens possibles pour armer le consommateur. Parce que celui qui va être le vrai arbitre de tout cela, c'est le consommateur. Si vous avez le choix entre un restaurant qui baisse ses prix et un restaurant qui maintient ses prix, en disant "oh, tout ça c'est trop cher, et puis moi, j'ai perdu du chiffre d'affaires pour telle et telle raison, je ne respecte pas l'accord", le consommateur, il n'est pas idiot. Il va aller vers celui qui baisse ses prix.

Oui, mais vous ne pouvez pas seulement laisser [faire] le marché, il faut que vous interveniez aussi, non ?

Il y a un contrat d'avenir qui a été signé entre, d'une part l'Etat, qui a dit qu'il baissait, et d'autre part, les restaurateurs qui disent : "je baisse, je crée de l'emploi, j'améliore l'investissement". Alors, s'ils se refusent totalement à baisser les prix, on trouvera des moyens.

C. Lagarde, hier, vous étiez à l'Assemblée nationale, vous avez parlé d'un "point d'inflexion", d'un "retournement" peut-être, des éléments qui permettaient d'entrevoir une éclaircie économique. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ça ? Est-ce que vous pécher un peu par optimisme ?

Non, j'essaie d'être le plus réaliste possible et je fais très attention aux prévisions, parce que je crois que les prévisions, en ce moment, elles sont délicates à faire. Ce que j'observe, c'est dans beaucoup de pays industrialisés, aujourd'hui, un léger redressement, ou si j'ose dire, un ralentissement du déclin. Voilà. Dans certains pays, ça s'améliore même, et la croissance viendra probablement de lieux qu'on n'imaginait pas. Je crois que la Chine, en particulier, est en train de réussir son plan de relance, de telle sorte que le marché domestique chinois est en train de repartir beaucoup plus fort et la relance pourrait bien venir de l'Est plutôt que de l'Ouest. J'observe que les Etats-Unis sont eux aussi en train de très légèrement se retourner. C'est ce que me disait mon collègue secrétaire d'Etat au Trésor T. Leitner.

Et la France ?

Alors, la France ! Au mois de mai, on a eu une production industrielle qui s'est redressée. On a u secteur automobile qui tient. Et puis, et là, nous aurons le chiffre dans une heure, nous allons avoir une consommation, sur le mois de juin, nettement meilleure que ce que nous escomptions. Et je pense que, après une légère hausse de la consommation au premier trimestre, nous allons avoir une amélioration de la hausse de la consommation au deuxième trimestre. Pardon de ne pas vous en dire plus, il y a un embargo, mais je pense que nous allons être déçus en bien.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 juillet 2009