Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec France Info le 8 juillet 2009, sur la détention en Iran de la Française Clotilde Reiss, la situation dans la bande de Gaza et au Proche-orient, et les troubles dans la province du Xinjiang en Chine.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- R. Duchemin : La question du jour on la pose ce matin au chef de la diplomatie française, bonjour B. Kouchner.

Bonjour.

R. Duchemin : Merci d'être en direct avec nous ce matin sur France Info. Avez-vous, précisément ce matin, des nouvelles fraîches de C. Reiss détenue depuis le 1er juillet en Iran ? On sait que l'ambassadeur de France à Téhéran va tenter de la voir aujourd'hui. C'est plutôt en bonne voie B. Kouchner ?

Je ne sais pas. Il devait l'avoir au téléphone hier. Aujourd'hui, ce matin, encore une fois je viens de l'appeler, il ne l'a pas eue. Et vous savez c'est elle qui appelle à partir de la prison, c'est C. Reiss qui appelle et nous, nous ne pouvons pas joindre. Pourtant notre ambassadeur parle persan et connaît bien l'administration, ça ne marche pas. Il devrait pouvoir lui rendre visite aujourd'hui dans sa prison, mais comme c'est fête là-bas, jour de fête, il est possible aussi que nous soyons déçus. Je pense que sinon aujourd'hui, demain on va enfin pourvoir la visiter.

R. Duchemin : En tout cas la diplomatie s'active. Vous avez demandé sa libération, le chef de l'Etat l'a exigée aussi, "les accusations d'espionnage sont fantaisistes", a même dit hier N. Sarkozy. Que répond le pouvoir à Téhéran aujourd'hui ?

J'ai eu une longue discussion avec le ministre des Affaires Etrangères hier, c'est toujours la même chose : que faisait-elle dans cette manifestation ? Mais elle n'était pas dans cette manifestation, tout le monde pouvait voir que la manifestation défilait. Elle a pris des photos, oui elle a pris des photos avec son téléphone portable, comme des centaines de milliers de personnes prenaient des photos et d'ailleurs les diffusaient par Internet. Et les messages qu'elle a fait parvenir à son entourage ce sont des messages je veux dire d'une banalité et gentillesse. C'est-à-dire : « ne vous inquiétez pas pour moi, je suis sur les trottoirs et dans le reste des quartiers tout est calme etc. », voilà. Ça n'a rien, mais c'est impossible même d'imaginer que cette jeune fille de 23 ans, C. Reiss, qui était vous le savez, lectrice de français à l'université d'Ispahan, puisse en quoi que ce soit, je veux dire agir contre l'Etat en voyant les manifestants passer devant elle.

R. Duchemin : Est-ce que vous considérez aujourd'hui qu'elle est un otage politique comme le dit le directeur de l'IFRI ce matin ?

Moi ce que je veux c'est qu'elle sorte, vous comprendrez que je reste discret.

R. Duchemin : Tout à fait.

C'est ce que je veux fortement et vraiment tous les jours et obstinément. Je veux que Clotilde sorte, et qu'elle rejoigne sa famille car vous vous souvenez qu'elle était à l'aéroport de Téhéran, c'est là qu'elle a été arrêtée alors qu'on lui faisait subir un nombre de tracasseries administratives invraisemblables, sinon elle devait quitter depuis 15 jours.

R. Duchemin : Mais il y a eu déjà des précédents avec la Grande- Bretagne, est-ce que c'est signe d'une tension particulière justement en direction des pays occidentaux ?

Sans aucun doute, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais enfin la tension résulte des affrontements et des oppositions entre les Iraniens surtout et de la contestation, vous l'avez constaté, à l'intérieur du régime et au plus haut niveau.

R. Duchemin : B. Kouchner, hier, le chef de l'Etat a demandé la levée du secret défense dans l'affaire des moines de Tibéhirine en Algérie. Il était, on s'en souvient, allé sur place pendant la campagne électorale, et ce matin, certaines voix s'élèvent pour dire que l'affaire a volontairement été enterrée. Est-ce que ça peut avoir justement des implications, des conséquences sur nos relations avec Alger aujourd'hui ?

Je ne le crois pas, j'espère que non, mais N. Sarkozy a demandé que la lumière soit faite, toute la lumière, c'est-à-dire que l'enquête suive son cours. Et si une demande parvient par les canaux officiels, habituels, légaux, de levée du secret défense, le chef de l'Etat l'a dit, le secret défense sera levé. Alors, attendons. Vous savez cette histoire, sinistre histoire, cet assassinat de ces sept moines admirables, il y a longtemps qu'on en parle en réalité.

R. Duchemin : Il y a eu beaucoup de rumeurs aussi.

Eh bien, là, on va en parler jusqu'au bout.

R. Duchemin : Depuis dimanche, B. Kouchner, visiblement il y a une mission humanitaire qui est coincée à la bande de Gaza, aux portes de la bande de Gaza, mission mandatée par le ministère des Affaires Etrangères. Ce n'est visiblement pas la première fois que ça se passe...

Oh non malheureusement !

R. Duchemin : C'est un chirurgien qui en parle ce matin notamment dans les colonnes du quotidien La Croix, il explique qu'ils ont tenté de rentrer mais il n'y a rien à faire, il n'y a pas d'excuses avancées pour qu'ils ne puissent pas rentrer donc dans la bande de Gaza. Est-ce que vous allez essayer d'en savoir plus, convoquer peut-être l'ambassadeur d'Israël en France, pour essayer d'y voir plus clair ?

Mais ça ne sert à rien, voyons, vous le savez très bien. Il faut que le problème soit réglé politiquement. Et puis ce n'est pas le premier qui sera coincé et puis ils laisseront passer quelqu'un d'autre à coté, c'est tout le temps comme ça. Ce qu'il faut c'est que le problème de Gaza soit réglé par l'établissement d'un Etat palestinien, par la construction forcenée, si j'ose dire, obstinée d'un Etat palestinien. C'est la politique de la France. Je ne sais pas qui est ce chirurgien qui parle, je ne sais pas pour combien de temps il y allait d'ailleurs, vous savez il y a beaucoup de visites à Gaza. Et même pendant la guerre, il y a eu un hôpital français qui n'est pas passé, qui n'est pas passé et puis bien d'autres d'ailleurs, l'hôpital du Qatar etc. C'est comme ça, tant qu'il n'y aura pas de règlement politique, et pour le moment les choses évoluent avec lenteur, très lentement, vraiment. Nous avons eu la visite du Premier ministre israélien, monsieur Netannyahou, nous avons eu le sentiment dans le débat, dans une conversation avec le président de la République que les choses bougeaient lentement. La position américaine est très importante. Il s'obstine. Il faut qu'il y ait un retour à la politique, un arrêt des colonisations et un Etat palestinien, c'est ça. Alors, tous les chirurgiens du monde pourront passer.

R. Duchemin : Le Proche Orient, M. Lemaresquier, justement sujet d'actualité.

M. Lemaresquier : Oui. Donc il y a eu une initiative, quand même très importante, franco-égyptienne, au début de l'année qui a d'ailleurs obtenu un cessez-le-feu à Gaza. Où en est cette initiative de paix ? On parle d'une conférence de paix à Moscou à la fin de l'année et je sais que vous vous rendez au Liban et en Syrie à la fin de la semaine. Est-ce que les choses bougent ?

Oui les choses bougent, vous le savez...

M. Lemaresquier : Qu'est-ce qui bouge ?

Des gens qui ne se parlaient jamais, et depuis des années, se rencontrent et se parlent. On parle même, on évoque, disons, la visite du roi d'Arabie Saoudite en Syrie. Il y a eu des contacts qui étaient inimaginables il y a quelques temps, entre l'Irak et la Syrie également. Alors nos travaux permanents finalement avec les Egyptiens portent parfois leurs fruits. Pour le moment, c'est bloqué depuis quelques temps : pas beaucoup d'avancées, des sempiternelles, je dirais, discussions entre les palestiniens eux-mêmes. On nous a laissé entrevoir la semaine dernière que ça pouvait avancer. On évoquait une participation qui ne serait pas un gouvernement néanmoins entre le Hamas et l'OLP, nous avançons dans ce sens là, c'est en effet pour ça... Un éclair de clarté : le Liban. Tout le monde pensait que le Hezbollah allait gagner, c'est le contraire, c'est « le 14-mars » qui a gagné. Le Gouvernement est en formation, je vais saluer nos amis libanais, tout le monde, je rencontrerai également le Hezbollah et voilà. En Syrie, je crois que la politique de la France est significative. Je pense que le mouvement amorcé d'ouverture de la Syrie est un mouvement salutaire et je félicite les protagonistes.

R. Duchemin : B. Kouchner, dernière question, elle concerne bien sûr la Chine, les troubles en ce moment dans la province du Xinjiang. Hu Jintao devait participer au sommet du G8 à L'Aquila, il a du rebrousser chemin, reprendre l'avion pour rentrer à Pékin. Quel regard vous portez sur ces troubles ? Est-ce que la communauté internationale a son mot à dire dans ces affrontements inter ethniques ? Est-ce qu'on est en train de vivre un Tibet-bis en quelque sorte ?

Ecoutez, elle a son émotion à dire, elle a sa condamnation des violences, elle a un regard certes qui n'est pas d'ingérence, et pourtant le mot dans ma bouche est un d'usage extrêmement, comment dirais-je, positif. Non. C'est une autre province disputée, c'est une province chinoise certes mais les Ouïgours ont toujours pensé que c'était chez eux, et j'espère que les affrontements cesseront et qu'il n'y aura pas...parce que ce sont des affrontements inter communautaires, la police participe bien entendu, tente d'arrêter les choses, je l'espère. Mais ce sont des affrontements presque traditionnels. Vous savez que...

R. Duchemin : 156 morts quand même.

...Les Chinois ont un argument : c'est qu'ils pensent que - ce sont les musulmans les Ouïgours, et qui sont des musulmans plutôt ouverts, pas du tout sectaires et les Chinois pensent - qu'un certain nombre de terroristes ou d'activités terroristes sont fomentées dans cette région. Il faut que tout ça cesse bien entendu et que cela s'apaise. C'est un grand pays la Chine, et lorsqu'il y a des affrontements de ce genre, ça fait beaucoup, beaucoup de blessés et de morts.

R. Duchemin : Merci B. Kouchner d'avoir été en direct avec nous sur France Info ce matin.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 31 juillet 2009