Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "Europe 1" le 7 août 2009, sur le système de bonus pour les "traders" dans les banques et la nécessité de poursuivre la régulation du système bancaire au niveau international.

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Média : Europe 1

Texte intégral

A. Caron.- C. Lagarde, la ministre de l'Economie, est l'invitée d'EUROPE 1 ce matin. Bonjour C. Lagarde.

Bonjour.

Et merci d'être avec nous. On a beaucoup de questions à vous poser ce matin sur les bonus, évidemment ceux de BNP-Paribas en particulier ; on parlera aussi de cette réunion aujourd'hui à Matignon à laquelle les banquiers ont été conviée, ou plutôt convoquée, à quoi va servir ce rendez-vous, juste pour la forme, pour l'image, ou bien est-ce que des consignes particulières vont être données ; et puis, comment réagissez-vous à cette nouvelle affaire de délité d'initié qui touche cette fois la Société Générale. Vous nous répondrez dans quelques minutes, C. Lagarde. (.../...) Notre invitée ce matin est donc la ministre de l'Economie, C. Lagarde. BNP-Paribas a provisionné un milliard d'euros pour les bonus de ses traders. C. Lagarde, vous êtes choquée ?

Vous savez, je condamne tous les excès et les excès excèdent les Français et c'est bien normal. Voilà pour le principe. Maintenant, ça ne veut pas dire pour autant qu'il faut condamner tous les bonus, et il faut surtout regarder très attentivement la manière dont les banques françaises se comportent par rapport aux banques étrangères, parce que toute cette affaire est une affaire internationale. La finance avec ses excès, avec ses dérives, avec ses défaillances, a impacté toutes les économies du monde sur toutes les scènes internationales. De la même manière, elle est en train de se redresser, tout le monde en est content, mais il faut évidemment qu'elle ne retombe pas dans les mêmes excès que ceux qui nous on fait souffrir considérablement et qui affectent encore aujourd'hui et l'économie et le social en France comme ailleurs. Mais il ne faut pas se tromper de combat. Le combat qui a été mené par l'Europe, en particulier sous la présidence française et à l'initiative du président de la République, il faut continuer à le mener et il faut continuer à le mener en particulier à Pittsburgh, parce que si on raisonne en franco-français et si on dit « interdisons les bonus, mettons des plafonds, mettons des barrières », qu'est-ce qui va se passer ? Les meilleures équipes de traders qui continuent à faire leur métier, ils iront tout simplement s'installer ailleurs.

Excusez-moi, c'est un bon trader pour vous ? Vous parlez des meilleures équipes de traders, c'est un bon trader ?

Oh, ça se sont leurs supérieurs hiérarchiques qui les apprécient, ce sont les gens qui font rentrer le plus de résultats, soyons clairs.

Ca veut dire quoi, le plus d'argent ? Donc, on est toujours dans une logique de résultats, finalement, c'est bien ça.

Le plus de résultats, et ça c'est très important, je vais vous dire pourquoi. Moi, j'ai demandé à l'Association des banques françaises dès la fin de l'année dernière de revoir le système de rémunération et de restructurer les rémunérations sous forme de bonus pour éviter les dérives dans lesquelles on était entré. Et elles se sont engagées à ne plus payer de bonus garanti, ce qui était le cas précédemment, en France comme ailleurs.

On précise peut-être pour les auditeurs ce qu'est vraiment un bonus garanti.

Un bonus garanti, si vous voulez, c'est quelqu'un qui entre, qui rejoint une nouvelle banque, et auquel on dit « quels que soient vos résultats, quelle que soit votre performance, vous toucherez un gros bonus ». Donc, première règle, pas de bonus garanti. Deuxième règle, des bonus payés mais en fonction de la performance, c'est-à-dire pas en fonction seulement du revenu généré mais en fonction du résultats, ce qui n'était pas le cas précédemment. Troisièmement, paiement des bonus mais différé sur une période de temps assez longue, au minimum trois ans, et conditionnel, c'est-à-dire à la condition que l'opération réalisée par le trader fournisse effectivement un résultat, parce que auparavant qu'est-ce qui se passait ? Il faisait des opérations, un résultat ou pas, mais de toute façon le bonus était encaissé. Si l'opération se dénouait par une perte l'année suivante ou deux ans plus tard, eh ben le bonus il était encaissé et les pertes restaient pour la collectivité.

Et est-ce que vous considérez aujourd'hui que les banques françaises donc sont des bons élèves ?

Je considère qu'ils ont pris des initiatives les premiers, comme d'ailleurs la France a été pionnière sur ces combats-là, mais que ça n'est évidemment pas suffisant. Et je crois que la finance internationale a vécu des dérives qui nous ont menés dans le mur et que maintenant il faut absolument qu'elle passe par une véritable cure de désintoxication internationale collective.

Mais comment on fait cette cure ? On prend des dispositions législatives ?

Alors, alors, alors, il faut d'abord et avant tout que ça soit international. Ce n'est pas la peine de s'amuser à bricoler à l'intérieur de ses frontières si à Londres, à Singapour, à Shanghai ou à New York le jeu reste ouvert.

Mais comment vous faites, par exemple, effectivement, quand on voit qu'aux Etats-Unis c'est reparti comme avant avec Goldman Sachs par exemple, où on voit que 200 personnes se partagent un milliard de dollars de bonus, comment on fait ?

Mais vous avez tout à fait raison, c'est exactement ça le problème, et c'est exactement pour ça que le président de la République est déterminé à Pittsburgh, quand on va se retrouver avec les pays membres du G20, à mettre cette question des rémunérations sur la table et au plus haut de l'agenda.

Mais, ça déjà été fait lors du G20, lors du précédent G20.

Ca été fait sur le plan des principes d'abord.

C'est ce qui nous a été annoncé en tout cas. Donc, vous dites que finalement il y a des annonces mais qu'il n'y avait pas forcément grand-chose derrière.

Les principes ont enfin été actés, et chacun s'est accordé à considérer que la rémunération individuelle des opérateurs pouvait avoir un effet sur le risque pris par la banque.

Pourquoi le prochain G20 aurait plus de résultat que le précédent ?

Tout simplement parce qu'on est dans une séquence. Le premier G20 c'était à Washington, où il y a eu une espèce de prise de conscience collective de l'ensemble des pays membres. Deuxième G20, à Londres, où les principes ont été transformés en véritable décision d'action. Et là, on se retrouve à Pittsburgh où il va falloir véritablement faire l'état des lieux. Est-ce que, tel et tel principe ont donné des résultats ou pas ?

Donc, ça veut dire qu'il va falloir aussi convaincre un certain nombre de partenaires, ça va être très, très compliqué.

Ah mais, bien sûr !

Si on vous entend bien ce matin, pour vous l'idée d'une loi, ce que les réclament les socialistes, est une mauvaise idée.

Mais ça ne répondra pas à la question, tout simplement.

Pourquoi ?

C'est qu'on aura une loi qui ne serait que franco-française et qui ne serait pas généralisée...

... mais est-ce qu'il ne faut pas commencer à donner l'exemple, quelque part ?

C'est déjà ce que fait un petit peu l'Association française des banques puisque elle a accepté les principes que je vous indiquais tout à l'heure, c'est-à-dire de restructurer les bonus pour qu'ils ne soient pas une incitation à la prise de risque, ce qui était le cas précédemment.

On a bien compris que vous ne remettez pas en cause le principe des bonus, contrairement à ce que peut faire, par exemple, effectivement le groupe socialiste. Mais c'est quoi pour vous un bonus moralement acceptable ?

Deux choses : il faut d'abord qu'en structures il ne soit pas une incitation à une prise de risque, ça c'est le premier point fondamental.

Mais comment faire ? C'est un petit peu... enfin, un bonus par définition c'est une incitation à une prise de risque.

Oui, mais à condition qu'elle s'inscrive dans le temps et que si le risque se réalise au détriment de la banque, au détriment de la collectivité, l'opérateur en fasse les frais. Aujourd'hui, il n'en faisait pas les frais, il ramassait son bonus et il partait.

Est-ce qu'il y a un montant au-delà duquel il ne faudrait pas aller ?

Attendez, je finis... Donc, premier principe : surtout pas incitatif à des prises de risque inutiles et dangereuses. Deuxièmement, il faut impérativement que ce soit lié à une performance réelle, que ce soit lié à du résultat. Vous savez, quand on est salarié, qu'on a un fixe et qu'on a une commission, la commission ce n'est pas mauvais en soi, c'est incitatif et ça permet de motiver véritablement le salarié qui perçoit la commission.

Est-ce que selon vous il faudrait limiter le montant de ces bonus à une somme au-delà de laquelle il ne faudrait pas aller ?

Moi, je suis sceptique sur le principe de la limitation parce que chaque fois qu'on met des plafonds, chaque fois qu'on met des seuils, on trouve toujours - « on », pas moi mais les opérateurs, les joueurs, les avocats, les conseils, trouvent toujours - des moyens pour tourner autour. Donc, moi, je crois beaucoup plus fermement à des règles qui soient internationales et qui interdisent ces dérives, comme les bonus garantis, comme des structures incitatives au risque. Et puis je crois aussi beaucoup au principe de la transparence, et dès lors qu'on met au grand jour un certain nombre de rémunérations, je crois que le sens de la mesure, le sens de l'équilibre doit revenir. Mais je crois que les banquiers collectivement doivent comprendre qu'on a changé d'époque et qu'on ne joue plus selon les mêmes règles.

Pourquoi le gouvernement a été aussi discret depuis les révélations des bonus de BNP ?

Je ne pense pas qu'on ait été particulièrement...

Ça vous change un petit peu quand même cette information ?

Non, pas du tout ! Je ne pense pas qu'on ait été particulièrement discret. Vous savez, moi, il y a deux choses qui me paraissent fondamentales...

... c'est juste parce que c'est les vacances !

Non ! Il y a deux choses qui me paraissent fondamentales : c'est d'une part que nous ayons mis en place des règles, ce qu'on a fait en France. Deuxièmement, que j'ai demandé au gouverneur de la Banque De France, qui est le président de la Commission bancaire, d'aller vérifier sur place et sur pièce au moment opportun que les règles sont bien respectées. Il ne faut pas oublier qu'on parle de provisions. La provision c'est une réserve qu'on fait dans ses comptes. Personne n'a encore payé, et il n'est pas question de payer avant le mois de janvier.

Enfin, l'idée c'est quand même qu'ils soient payés après.

Alors, ça, c'est quelque part une bonne nouvelle parce que si les banques se mettent à faire des provisions sur résultat, ça veut dire qu'elles vont générer du résultat, ça veut dire qu'elles redeviennent dans une situation un peu meilleure.

C. Lagarde, on a encore deux minutes avant de se retrouver tout à l'heure à 08 h 40. On a encore pas mal de questions, notamment sur cette réunion tout à l'heure à Matignon. Pourquoi ne serez-vous pas vous-même présente ? Si c'est une réunion si importante que ça, pourquoi F. Fillon n'est pas là, pourquoi vous-même vous ne serez pas là ?

C'est une réunion technique. C'est une réunion technique, pourquoi ?

Donc, pas de décision ! Aucune décision ne sera prise dans cette réunion ?

J'ai demandé...

Est-ce que vous allez donner des ordres, enfin est-ce que vos services vont donner des ordres aux banques ?

Non, il n'est pas question de donner des ordres aux banques puisqu'on n'est pas les dirigeants des banques.

Absolument, mais...

Les banques doivent faire leur métier, et c'est précisément...

Mais il y a une manière de faire passer des messages, quand même.

C'est précisément le point et le message principal que j'ai demandé à mes collaborateurs de faire passer, puisque c'est une réunion technique, c'est de leur dire : faites votre métier, votre métier c'est d'offrir du crédit aux entreprises, aux particuliers, et de s'occuper de leurs clients ; donc faites votre métier et faites le surtout de manière très active et très entreprenante, en particulier à l'automne parce qu'on va arriver à une période où les entreprises vont avoir besoin de reconstituer leurs fonds de roulement, vont avoir besoin de trésorerie, vont avoir besoin de crédit. Il faut qu'elles fassent du crédit.

D'accord. Donc, cette réunion n'a aucun rapport avec la révélation des bonus.

Ce n'est pas en rapport direct...

... un petit rapport quand même, on vous entend.

C'est une question technique de concentration sur ce qu'elles se sont engagées à faire pour financer l'économie.

Trente secondes quand même avant de nous retrouver tout à l'heure, à 08 h 40. Votre réaction sur ce nouveau scandale, peut-être, à la Société Générale avec deux dirigeants qui sont accusés par l'Autorité des marchés d'avoir commis un délit d'initié.

Je n'ai pas de commentaire spécifique à faire. L'Autorité des marchés financiers fait son métier, c'est une autorité indépendante, elle a engagé une procédure et elle la mènera jusqu'à son terme. C'est la justice, et elle doit suivre son chemin.

Merci C. Lagarde.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 août 2009