Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à RTL le 13 août 2009, sur la croissance économique (redevenue positive avec 0,3) et l'importance de la dépense publique en période de crise économique.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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M. Tronchot.- On croit sentir à travers la presse, qui elle-même se fait l'écho de ce que pensent les acteurs économiques, qu'un début même timide de reprise se profile. Les chiffres de la croissance au premier trimestre n'avaient pas été bien fameux, le PIB avait reculé de 1,2 %. Est-ce que les chiffres du deuxième trimestre sont encourageants ou toujours en deçà des espérances ?

Je vais les réserver pour votre radio : ils sont extrêmement surprenants. Après quatre trimestres négatifs, la France sort enfin du rouge, et la croissance redevient positive, à + 0,3 %. C'est un chiffre évidemment très positif, qui nous surprend...

Vous avez l'air...

...qui nous réjouit. La France se distingue clairement de ses voisins. On a les chiffres, à ce jour, de l'Italie : - 0,3 ; de la Grande-Bretagne : - 0,8 ; des Etats-Unis : - 0,3. La France est à + 0,3 %.

Qu'est-ce que vous retenez de plus important dans ces chiffres, parce que j'imagine qu'il y en a beaucoup ?

Bien sûr, bien sûr, je les ai longuement analysés très tôt ce matin. Ce qu'on constate c'est que, d'une part, la consommation des Français tient, elle fait + 0,3, après un + 0,2 au trimestre précédent. Cela résulte de quoi ? Cela résulte de la baisse des prix à la consommation, donc c'est bon pour le pouvoir d'achat des Français. L'inflation, vous connaissez le chiffre de juillet, à - 0,7, aide évidemment dans ce contexte, mais on constate aussi que les prix à la consommation dans la grande distribution en particulier ont baissé aussi, et ça j'y vois évidemment l'impact de la loi de modernisation de l'économie. Si on regarde l'impact de la prime à la casse sur la consommation, on s'aperçoit évidemment qu'il y a eu plus de consommation de véhicules automobiles mais ça n'a pas nui aux autres consommations. C'est-à-dire que les Français qui ont décidé d'acheter un véhicule, pour autant n'ont pas réduit la consommation par exemple de services, ce qu'on aurait pu craindre. Deuxième moteur important, qui là aussi marque un vrai changement, c'est la contribution des exportations. On a plus exporté qu'on a importé, et ça c'est à nouveau le grand élan qui a été donné par le président de la République, en particulier au niveau des grands contrats, on a une exportation de biens industriels qui est tout à fait importante avec une contribution de + 0,9. Donc, là aussi, un impact très fort. La prime à la casse en Allemagne nous a aidés aussi, puisque on a pu exporter des véhicules français vers nos voisins d'Outre-Rhin. Troisième moteur de la croissance, qui se divise par deux si vous voulez, c'est l'investissement. On constate au niveau des investissements des entreprises publiques. Là aussi un redressement, du positif, et c'est clairement le plan de relance qui a été initié très tôt par la France, par opposition à un certain nombre de ses voisins, et qui clairement commence à porter ses fruits. En revanche, et là on s'aperçoit que les entreprises privées ne sont pas encore au rendez-vous, même si on a une toute petite inflexion, les investissements des entreprises privées, elles, contribuent en négatif et sont à - 1,8 après 1,9 en T1. Donc, vous le voyez...

T1, c'est-à-dire ?

"T1", pardon, c'est le premier trimestre 2009. Donc, on a un moteur "consommation" qui tient et qui est alimenté par l'amélioration du pouvoir d'achat, la baisse de l'inflation, le soutien au secteur automobile ; un secteur "exportations" fort contributeur, grâce à la politique du président Sarkozy sur les grands contrats en particulier, et l'accent mis sur le secteur industriel ; et puis des investissements des entreprises publiques qui soutiennent, mais où on a encore besoin que les entreprises privées mettent le pied à l'étrier et recommencent à investir, ce n'est pas encore aujourd'hui le cas.

C'est très complet. Le message que vous adressez à l'opinion et aux entreprises, ce matin, c'est un message d'optimisme prudent ou bien de patience encore ? Il n'est pas question de dire : les clignotants sont tous au vert, ça n'a généralement pas porté bonheur à ceux qui l'ont dit.

Non, non, ce que je dis c'est que, après quatre trimestres dans le rouge, on en sort... on n'a pas encore le chiffre de l'Allemagne, mais on est un de seuls pays aujourd'hui à en sortir et c'est...

Bon élève...

Je crois que derrière le président de la République et le Premier ministre, on a tous serré les rangs et on a essayé de mettre en place une politique économique qui tienne la route. Lorsque le président de la République a choisi une politique de soutien à l'investissement, il avait vu très juste. Qu'est-ce qui a tenu jusqu'à maintenant la consommation, les exportations qui repartent ? Il faut clairement qu'on continue à soutenir l'investissement privé, ça m'encourage beaucoup pour réformer la taxe professionnelle dès la rentrée, parce qu'il faut absolument que les entreprises soient incitées à investir dans de l'investissement productif.

Il y a quand même un point noir, c'est le déficit budgétaire qui se creuse, les recettes fiscales qui plombent le déficit, notamment l'impôt sur les sociétés. Il y a une parade ou on attend que ça se passe en espérant les retombées de ce que vous venez nous dire en terme de croissance ?

Sur le déficit, d'abord il faut savoir qu'aujourd'hui tous les économistes sérieux encouragent tous les pays à faire de la dépense publique, parce qu'on sait très bien qu'aujourd'hui c'est la seule façon qu'on a de sortir de la crise. C'est aussi le seul créancier crédible... enfin, c'était, ça s'améliore un petit peu maintenant, mais c'était le créancier le plus crédible susceptible d'emprunter. Donc, c'était encouragé et normal de faire de la dépense publique. Et ça, clairement, en période de vaches maigres, puisqu'on ne rentre pas beaucoup d'impôt sur les sociétés en particulier, même si sur l'impôt sur les revenus on aura sans doute de meilleures nouvelles, c'est normal qu'on creuse du déficit. Et ce déficit-là, c'est un peu comme un moteur si vous voulez : vous engagez la deuxième, la troisième, la quatrième parce qu'il faut mettre de l'argent public, dès lors que vous êtes en mesure de rétrograder et que le déficit descend, ça va. Ce sur quoi il faut absolument qu'on s'engage... enfin qu'on continue de s'engager, c'est la réduction du déficit structurel, et je crois dans ce contexte que la réforme des retraites qui va être engagée, à l'initiative de X. Darcos, va être un des indicateurs en même temps que notre détermination à réduire évidemment la dépense publique, et en particulier à réduire le nombre de fonctionnaires en embauchant qu'un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite.

Vous parliez tout à l'heure des prix à la consommation. Il y a un risque de déflation ? Cela fait trois mois que les prix baissent.

Non, non. Je suis assez catégorique sur ce plan-là, et l'immense majorité des économistes sont sur la même ligne que moi - ou je suis sur la même ligne qu'eux, ça n'a pas d'importance - mais l'essentiel c'est la conclusion qu'on tire : on n'entre pas dans une période de risque de déflation. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui on a une inflation négative, par ce que les économistes appellent un effet de base. Si vous vous souvenez du prix du litre d'essence au mois de juillet dernier, il était d'à peu près 40 % supérieur au prix de l'essence aujourd'hui. Et on a un effet "matières premières", parce qu'on compare évidemment les mêmes situations : juillet 2008 par rapport à juillet 2009, avec un prix des matières premières qui a considérablement baissé entre temps. Si on regarde en revanche ce que les économistes appellent "l'inflation sous-jacente", c'est-à-dire sans tenir compte des grandes variations comme celles de l'énergie, là on a toujours une inflation qui est largement au-dessus de zéro. Donc, je n'ai pas du tout de crainte de déflation.

La baisse des prix dans la restauration, vous n'êtes pas un petit peu déçue ? Ce n'est pas très très convaincant tout de même l'effort qu'ont pu faire les restaurateurs ?

J'espère qu'ils vont continuer sur la même lancée. Je crois que la baisse de prix des restaurants de 1,3 %, c'est toujours bon à prendre. Et puis, je crois que les Français qui fréquentent les restaurants, qui ont accepté de jouer le jeu, l'apprécient. Il faut que ça suive, il faut que tout le monde joue le jeu. Je suis heureuse de voir que les responsables des fédérations professionnelles incitent les adhérents à le faire. Il faut absolument jouer le jeu. Le Gouvernement a délivré, si j'ose dire... le président de la République s'était engagé, il a tenu sa promesse : la TVA est passée de 19,6 à 5,5. Il faut que les promesses soient tenues, et dans le domaine de la baisse des prix et dans le domaine de l'emploi, comme le rappelait tout à l'heure L. Wauquiez sur votre antenne, et dans le domaine des investissements.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 août 2009