Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
C'est un grand plaisir de me trouver aujourd'hui parmi vous, à Strasbourg, à l'occasion de l'ouverture de votre rencontre consacrée à l'adoption d'une Charte européenne des droits de l'étudiant, qui marquera le lancement de votre débat sur l'avenir de l'Europe.
Je tiens à remercier Vincent Richez, président des Jeunes Européens - France, pour m'avoir invité à partager ce moment important dans la vie de votre mouvement, et à le féliciter pour cette initiative qui rassemble plus de 600 jeunes Européens, venus de tous les pays membres et, bien sûr, des pays candidats. Après le tour de France que vous aviez organisé l'année dernière pour expliquer les enjeux de la négociation sur la réforme des institutions, sous présidence française, cette nouvelle manifestation est à nouveau possible grâce au soutien des autorités françaises, du Parlement européen, qui a bien avoir voulu mettre les locaux de Strasbourg à la disposition de cette manifestation, et de la Commission. Je m'en réjouis vivement.
Avant de laisser la place à la discussion et au débat entre nous, je souhaiterais tracer devant vous quelques grandes lignes du débat sur l'avenir de notre Continent, qui s'ouvre aux Européens au début de ce nouveau siècle. Les échanges que vous allez avoir lors de cette réunion, et que vous poursuivrez ensuite, je l'espère, interviennent en effet à un moment particulièrement opportun et même crucial, puisque les Quinze ont décidé, lors du Conseil de Nice en décembre dernier, d'engager une vaste réflexion sur l'avenir de l'Union, dans la perspective de la grande Europe réunifiée des prochaines années.
Dans ce cadre, les autorités françaises viennent d'ailleurs de lancer un grand débat public qui, tout au long de cette année, va permettre à l'ensemble des citoyens d'exprimer, notamment au travers de forums régionaux, leur vision, leurs attentes à l'égard de la construction européenne.
Ce sont les grandes données de ce débat que je souhaiterais brièvement tracer devant vous. Rassurez-vous, je ne vais pas revenir sur la Présidence française de l'Union européenne, au second semestre de l'année dernière, et sur le Traité de Nice qui en est l'un des résultats majeurs.
Je souhaite simplement souligner que la conclusion de ce Traité, avec ses forces et ses faiblesses, était une étape vitale pour l'Europe, pour que le processus d'élargissement actuel puisse se poursuivre et permettre aux pays d'Europe centrale et orientale, représentés ici même par leurs jeunes citoyens, de rejoindre l'Union dans les toutes prochaines années. C'était le devoir qui incombait à l'ensemble des Etats membres l'année dernière et nous l'avons rempli. L'Europe peut donc avancer.
Pour autant, il était clair depuis le début que le mandat des négociateurs du traité de Nice n'était pas de procéder à une réforme d'ensemble des institutions européennes, celle la même qui sera nécessaire pour faire fonctionner de façon satisfaisante l'Europe à trente qui sera notre réalité dans quelques décennies.
C'est ce chantier qui est aujourd'hui devant nous et auquel nous devons tous nous atteler, vous et nous. Le Conseil européen, à Nice, a fixé quelques grandes étapes. Il nous faut donc, dès maintenant, entamer cette réflexion, qui sera ponctuée, en décembre prochain, par la déclaration que fera le Conseil européen de Laeken, en Belgique, puis par une nouvelle Conférence intergouvernementale en 2004.
L'enjeu est à la fois simple et immense : comment bâtir l'Europe future, unifiée, démocratique et en paix ? Je le diviserai en trois interrogations centrales : l'Europe réunifiée, pourquoi ? L'Europe réunifiée, jusqu'où ? L'Europe réunifiée, comment ?
- La première interrogation est simplement celle de la raison d'être de la construction européenne au XXIème siècle.
Il est clair qu'après une période où les enjeux étaient relativement clairs - bâtir la paix en Europe de l'ouest, après deux conflits mondiaux, grâce à l'intégration économique -, la fin - heureuse - de la division artificielle du continent, conjuguée à l'aboutissement - heureux lui aussi - de l'Union économique et monétaire, avec l'avènement de l'euro, nous oblige à redéfinir la raison d'être de l'Union européenne. Les citoyens européens sont d'ailleurs les premiers à exprimer des doutes et à réclamer, avec raison, plus de sens pour l'Europe.
Je me contenterai aujourd'hui d'ébaucher quelques pistes de réflexion, à partir d'une conviction profonde : nous devons poursuivre l'intégration européenne, autour d'un projet qui peut se décliner en une ambition économique, au service de la croissance et de l'emploi, une ambition politique forte, au service de la paix, et une ambition citoyenne fondée sur nos valeurs communes.
- En premier lieu, l'avènement de l'euro ne doit pas nous amener à croire que le chapitre économique de la construction économique est clos. Tout d'abord parce que nous devons assurer le succès de l'euro, dont l'entrée en vigueur effective, à partir du 1er janvier prochain, sera un moment important pour nos économies, mais avant tout pour les citoyens. Ensuite parce que l'intégration économique doit encore s'affermir, afin de sécuriser la croissance européenne et de poursuivre le retour à une société de plein emploi dans toute l'Europe.
Il s'agit bien, pour nous, de défendre le modèle européen de développement économique et social, qui allie, comme nulle part ailleurs dans le monde, la performance économique et le souci permanent du progrès social et de la cohésion de nos sociétés.
- La deuxième ambition est que l'Europe puisse disposer d'un poids politique sur la scène internationale qui soit à la mesure de sa puissance économique. Nous avons beaucoup avancé dans cette direction et nous sommes mieux en mesure d'assumer ce "besoin d'Europe" qui est ressenti sur le Continent, comme on l'a encore vu lors du conflit du Kosovo.
- Troisième raison d'être de cette grande Europe du futur, ce que j'appelle l'Europe des citoyens, votre Europe, c'est-à-dire une Europe qui acquière sa légitimité aux yeux de ses habitants en s'appuyant sur les valeurs qui nous sont communes et en répondant aux aspirations quotidiennes de chacun : non plus seulement une brillante construction technocratique, mais un projet collectif cohérent.
Je ne rentrerai pas dans le détail, mais je crois que les Quinze ont commencé, en 2000, à dessiner les contours d'une telle Europe citoyenne. Sur le plan des valeurs, l'adoption de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne représente une avancée politique majeure et très prometteuse, car ce texte novateur et riche codifie de façon solennelle, pour la première fois, le socle des valeurs communes des Européens, ce qui fonde notre "vouloir vivre ensemble".
Dans le champ du concret, il nous faut poursuivre le travail, pour démontrer que la construction européenne n'est pas synonyme de réglementations abusives et intempestives, mais de réalisations concrètes et utiles à la vie de tous les jours.
- Le deuxième grand champ de réflexion qui s'ouvre à nous est celui des limites de l'Europe. Je sais que vous y êtes tous sensibles, en particulier celles et ceux d'entre vous qui venez d'Europe centrale et orientale.
Notre premier devoir pour les prochaines années est justement de mener à bien l'élargissement actuellement en cours, avec les douze candidats en phase de négociation. Il s'agit de l'enjeu majeur, sans conteste, pour notre avenir proche, maintenant que l'hypothèque institutionnelle a été levée grâce au traité de Nice. L'élargissement est bien une chance pour l'Europe et nous devons tous la saisir.
Mais nous devons porter notre réflexion, dès à présent, sur l'après-élargissement, c'est à dire sur la question des frontières de l'Europe. Je suis en effet convaincu qu'une partie des interrogations de nos concitoyens à l'égard de la construction européenne vient de l'incertitude sur les frontières ultimes de l'Union, de cette impression d'un espace en perpétuelle expansion. Nous ne pourrons pas éluder éternellement cette question, certes excessivement délicate et complexe.
- Le troisième défi sur lequel nous devons travailler est celui des conditions de fonctionnement de l'Europe future, ce qui forme le cur du débat qui s'engage aujourd'hui en France et en Europe.
Trois grandes pistes devront, selon moi, être explorées.
Tout d'abord, la place de l'échelon européen par rapport aux échelons national et local devra être définie avec une plus grande clarté et une plus grande simplicité. Cette question de "qui fait quoi" en Europe, que certains préfèrent appeler la "subsidiarité", sera de plus en plus incontournable. Elle devra être abordée, selon moi, avec le souci de poursuivre le mouvement d'intégration là où il s'avère souhaitable - en fonction des objectifs que nous nous fixons collectivement -, c'est à dire sans dogmatisme, sans crainte d'une fuite en avant "fédéraliste", sans tentation non plus d'un repli frileux vers une sorte de "service minimum européen".
L'autre souci devra être celui de la clarté et de la simplicité de la règle du jeu, tant il est vrai, là aussi, que c'est la complexité des règles actuelles qui est à l'origine de certains doutes ou interrogations que vous êtes les premiers à exprimer, souvent avec raison, à l'égard de la construction européenne.
- La deuxième piste est celle de la gouvernance de l'Europe, c'est-à-dire de l'évolution de son mode de fonctionnement vers plus de transparence, d'efficacité, de démocratie. Nous devrons réfléchir à l'exercice de la fonction exécutive au sein de l'Union, avec comme ambition un système qui préserve l'équilibre entre l'Union et les Etats, tout en faisant face aux défis d'une Union à trente.
Ainsi, pour renforcer le modèle communautaire, il faudrait selon moi rehausser politiquement les trois composantes du triangle institutionnel : la Commission, véritable aiguillon vers l'intégration et expression des intérêts de l'Union, et le Conseil, lieu où se noue la synergie entre les Etats membres de l'Union, qui devrait, quant à lui, recouvrer pleinement son rôle de préparation des Conseils européens.
Bien sûr, ce serait un comble de ne pas le mentionner ici, il faudra également renforcer le poids et la responsabilité politique du Parlement européen, en réformant le mode d'élection de ses membres, mais aussi en imaginant un droit de dissolution en cas de crise politique avec la Commission ou le Conseil.
- Enfin, la troisième piste sera celle du nécessaire compromis entre la taille de l'Union - et sa nouvelle hétérogénéité - et la volonté de certains des Etats membres de continuer à aller de l'avant. Les coopérations renforcées sont une première réponse à ce défi. Mais nous devons poursuivre plus avant la réflexion, sans a priori ou tabou, autour des notions d'avant-garde, de "centre de gravité" ou encore de "groupe pionnier", avec le souci, quelle que soit l'image géométrique ou spatiale utilisée, de réussir à concilier souplesse et cohérence.
Quant à savoir si cette évolution institutionnelle devra être parachevée par un texte de nature constitutionnelle, il me semble que cette question mérite d'être posée dans sa complexité, et sans tabou.
Mais que l'on prenne garde. Il ne suffirait pas de baptiser Constitution un nouveau traité sur les institutions pour avoir résolu le problème de l'architecture européenne. Un tel texte n'aurait de sens que s'il était l'aboutissement logique d'une réforme profonde. C'est en effet un acte fondamental, d'une grande portée politique, qui traduirait solennellement un projet commun.
Dans ces débats essentiels pour l'avenir de l'Europe - et ce sera ma conclusion - les jeunes citoyens de l'Europe - vous-mêmes ! - devez peser de tout votre poids et prendre toute votre place.
La Charte de Strasbourg, que vous allez adopter, nous permettra de mieux cerner l'ensemble de vos ambitions et de vos besoins dans l'Europe de demain.
Je souhaite en tout cas vous assurer que la France, comme l'ensemble de ses partenaires, a parfaitement conscience de la nécessité de consacrer plus d'efforts à la jeunesse, à l'éducation, à l'Europe de la connaissance et du savoir en général.
Des actions efficaces et innovantes existent déjà, vous aurez sûrement l'occasion de les évoquer au cours de vos débats. La France y accorde une importance première. Depuis plusieurs années, les programmes "Jeunesse pour l'Europe" et "Service volontaire européen" et, aujourd'hui, le nouveau programme "Jeunesse 2000-2006", ont permis à des milliers de jeunes Européens de se rencontrer, de découvrir les autres pays européens, de participer ensemble à des actions d'intérêt général. Cela est important et doit être souligné.
Mais, au-delà des seuls programmes Jeunesse, bien d'autres aspects des politiques communautaires ont une influence directe sur les jeunes Européens. Il s'agit donc bien d'avoir une vision globale qui prenne en compte l'ensemble des préoccupations, des revendications de la jeunesse européenne, dans tous les aspects de sa vie.
C'est pourquoi le gouvernement français favorise le développement d'un véritable espace européen de la connaissance et de la formation, dont les jeunes seront, bien sûr, les premiers acteurs et bénéficiaires.
L'idée est simple : elle est de favoriser, dans tous les domaines, de l'éducation à la recherche et à la formation professionnelle, les échanges entre Européens, les projets communs, les coopérations, pour que les jeunes Européens soient mieux formés, qu'ils bénéficient des expériences des autres, qu'ils soient mieux armés pour faire face aux défis de la mondialisation.
Je sais que vous allez en débattre, je voudrais simplement souligner l'importance du Plan d'action pour la mobilité, qui a été adopté lors du Conseil européen de Nice. Ce plan constitue une sorte de boite à outils à disposition des Etats membres et de la Commission, afin de lever progressivement, tous les obstacles, encore nombreux, à la mobilité.
Pour que les élèves et les étudiants puissent effectuer une partie de leur cursus scolaire et universitaire à l'étranger et que cela soit pleinement pris en compte à leur retour dans leur pays d'origine. Pour que les obstacles financiers, sociaux et fiscaux soient levés, alors qu'ils empêchent encore en particulier les jeunes issus des milieux les plus modestes de bénéficier de ces possibilités. Pour que l'enseignement des langues étrangères européennes soit renforcé, car l'Europe deviendra d'autant plus une réalité que les Européens pourront se comprendre. Pour que la formation professionnelle puisse acquérir une dimension européenne, afin de renforcer les chances des jeunes sur le marché du travail et de participer à cette grande ambition du retour à l'Europe du plein emploi.
Tout au long de l'histoire, des événements fondateurs ont contribué à créer l'identité de chaque génération. Personne n'échappe à ce passé, où se rejoignent, pêle-mêle, l'heureux et le tragique, la réalité des faits et la manière dont ils sont racontés, année après année. Vous avez la chance extraordinaire de constituer la génération de la chute du mur de Berlin, de l'Europe des nouveaux espoirs.
Le travail qui nous attend n'est pas mince. Je prendrai connaissance avec d'autant plus d'intérêt de votre contribution au débat sur l'avenir de l'Europe. Je suis convaincu qu'avec le concours et l'énergie de tous, nous pourrons franchir au cours des prochaines années des étapes décisives en ce sens, et construire une nouvelle Europe, votre Europe.
Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)
Chers Amis,
C'est un grand plaisir de me trouver aujourd'hui parmi vous, à Strasbourg, à l'occasion de l'ouverture de votre rencontre consacrée à l'adoption d'une Charte européenne des droits de l'étudiant, qui marquera le lancement de votre débat sur l'avenir de l'Europe.
Je tiens à remercier Vincent Richez, président des Jeunes Européens - France, pour m'avoir invité à partager ce moment important dans la vie de votre mouvement, et à le féliciter pour cette initiative qui rassemble plus de 600 jeunes Européens, venus de tous les pays membres et, bien sûr, des pays candidats. Après le tour de France que vous aviez organisé l'année dernière pour expliquer les enjeux de la négociation sur la réforme des institutions, sous présidence française, cette nouvelle manifestation est à nouveau possible grâce au soutien des autorités françaises, du Parlement européen, qui a bien avoir voulu mettre les locaux de Strasbourg à la disposition de cette manifestation, et de la Commission. Je m'en réjouis vivement.
Avant de laisser la place à la discussion et au débat entre nous, je souhaiterais tracer devant vous quelques grandes lignes du débat sur l'avenir de notre Continent, qui s'ouvre aux Européens au début de ce nouveau siècle. Les échanges que vous allez avoir lors de cette réunion, et que vous poursuivrez ensuite, je l'espère, interviennent en effet à un moment particulièrement opportun et même crucial, puisque les Quinze ont décidé, lors du Conseil de Nice en décembre dernier, d'engager une vaste réflexion sur l'avenir de l'Union, dans la perspective de la grande Europe réunifiée des prochaines années.
Dans ce cadre, les autorités françaises viennent d'ailleurs de lancer un grand débat public qui, tout au long de cette année, va permettre à l'ensemble des citoyens d'exprimer, notamment au travers de forums régionaux, leur vision, leurs attentes à l'égard de la construction européenne.
Ce sont les grandes données de ce débat que je souhaiterais brièvement tracer devant vous. Rassurez-vous, je ne vais pas revenir sur la Présidence française de l'Union européenne, au second semestre de l'année dernière, et sur le Traité de Nice qui en est l'un des résultats majeurs.
Je souhaite simplement souligner que la conclusion de ce Traité, avec ses forces et ses faiblesses, était une étape vitale pour l'Europe, pour que le processus d'élargissement actuel puisse se poursuivre et permettre aux pays d'Europe centrale et orientale, représentés ici même par leurs jeunes citoyens, de rejoindre l'Union dans les toutes prochaines années. C'était le devoir qui incombait à l'ensemble des Etats membres l'année dernière et nous l'avons rempli. L'Europe peut donc avancer.
Pour autant, il était clair depuis le début que le mandat des négociateurs du traité de Nice n'était pas de procéder à une réforme d'ensemble des institutions européennes, celle la même qui sera nécessaire pour faire fonctionner de façon satisfaisante l'Europe à trente qui sera notre réalité dans quelques décennies.
C'est ce chantier qui est aujourd'hui devant nous et auquel nous devons tous nous atteler, vous et nous. Le Conseil européen, à Nice, a fixé quelques grandes étapes. Il nous faut donc, dès maintenant, entamer cette réflexion, qui sera ponctuée, en décembre prochain, par la déclaration que fera le Conseil européen de Laeken, en Belgique, puis par une nouvelle Conférence intergouvernementale en 2004.
L'enjeu est à la fois simple et immense : comment bâtir l'Europe future, unifiée, démocratique et en paix ? Je le diviserai en trois interrogations centrales : l'Europe réunifiée, pourquoi ? L'Europe réunifiée, jusqu'où ? L'Europe réunifiée, comment ?
- La première interrogation est simplement celle de la raison d'être de la construction européenne au XXIème siècle.
Il est clair qu'après une période où les enjeux étaient relativement clairs - bâtir la paix en Europe de l'ouest, après deux conflits mondiaux, grâce à l'intégration économique -, la fin - heureuse - de la division artificielle du continent, conjuguée à l'aboutissement - heureux lui aussi - de l'Union économique et monétaire, avec l'avènement de l'euro, nous oblige à redéfinir la raison d'être de l'Union européenne. Les citoyens européens sont d'ailleurs les premiers à exprimer des doutes et à réclamer, avec raison, plus de sens pour l'Europe.
Je me contenterai aujourd'hui d'ébaucher quelques pistes de réflexion, à partir d'une conviction profonde : nous devons poursuivre l'intégration européenne, autour d'un projet qui peut se décliner en une ambition économique, au service de la croissance et de l'emploi, une ambition politique forte, au service de la paix, et une ambition citoyenne fondée sur nos valeurs communes.
- En premier lieu, l'avènement de l'euro ne doit pas nous amener à croire que le chapitre économique de la construction économique est clos. Tout d'abord parce que nous devons assurer le succès de l'euro, dont l'entrée en vigueur effective, à partir du 1er janvier prochain, sera un moment important pour nos économies, mais avant tout pour les citoyens. Ensuite parce que l'intégration économique doit encore s'affermir, afin de sécuriser la croissance européenne et de poursuivre le retour à une société de plein emploi dans toute l'Europe.
Il s'agit bien, pour nous, de défendre le modèle européen de développement économique et social, qui allie, comme nulle part ailleurs dans le monde, la performance économique et le souci permanent du progrès social et de la cohésion de nos sociétés.
- La deuxième ambition est que l'Europe puisse disposer d'un poids politique sur la scène internationale qui soit à la mesure de sa puissance économique. Nous avons beaucoup avancé dans cette direction et nous sommes mieux en mesure d'assumer ce "besoin d'Europe" qui est ressenti sur le Continent, comme on l'a encore vu lors du conflit du Kosovo.
- Troisième raison d'être de cette grande Europe du futur, ce que j'appelle l'Europe des citoyens, votre Europe, c'est-à-dire une Europe qui acquière sa légitimité aux yeux de ses habitants en s'appuyant sur les valeurs qui nous sont communes et en répondant aux aspirations quotidiennes de chacun : non plus seulement une brillante construction technocratique, mais un projet collectif cohérent.
Je ne rentrerai pas dans le détail, mais je crois que les Quinze ont commencé, en 2000, à dessiner les contours d'une telle Europe citoyenne. Sur le plan des valeurs, l'adoption de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne représente une avancée politique majeure et très prometteuse, car ce texte novateur et riche codifie de façon solennelle, pour la première fois, le socle des valeurs communes des Européens, ce qui fonde notre "vouloir vivre ensemble".
Dans le champ du concret, il nous faut poursuivre le travail, pour démontrer que la construction européenne n'est pas synonyme de réglementations abusives et intempestives, mais de réalisations concrètes et utiles à la vie de tous les jours.
- Le deuxième grand champ de réflexion qui s'ouvre à nous est celui des limites de l'Europe. Je sais que vous y êtes tous sensibles, en particulier celles et ceux d'entre vous qui venez d'Europe centrale et orientale.
Notre premier devoir pour les prochaines années est justement de mener à bien l'élargissement actuellement en cours, avec les douze candidats en phase de négociation. Il s'agit de l'enjeu majeur, sans conteste, pour notre avenir proche, maintenant que l'hypothèque institutionnelle a été levée grâce au traité de Nice. L'élargissement est bien une chance pour l'Europe et nous devons tous la saisir.
Mais nous devons porter notre réflexion, dès à présent, sur l'après-élargissement, c'est à dire sur la question des frontières de l'Europe. Je suis en effet convaincu qu'une partie des interrogations de nos concitoyens à l'égard de la construction européenne vient de l'incertitude sur les frontières ultimes de l'Union, de cette impression d'un espace en perpétuelle expansion. Nous ne pourrons pas éluder éternellement cette question, certes excessivement délicate et complexe.
- Le troisième défi sur lequel nous devons travailler est celui des conditions de fonctionnement de l'Europe future, ce qui forme le cur du débat qui s'engage aujourd'hui en France et en Europe.
Trois grandes pistes devront, selon moi, être explorées.
Tout d'abord, la place de l'échelon européen par rapport aux échelons national et local devra être définie avec une plus grande clarté et une plus grande simplicité. Cette question de "qui fait quoi" en Europe, que certains préfèrent appeler la "subsidiarité", sera de plus en plus incontournable. Elle devra être abordée, selon moi, avec le souci de poursuivre le mouvement d'intégration là où il s'avère souhaitable - en fonction des objectifs que nous nous fixons collectivement -, c'est à dire sans dogmatisme, sans crainte d'une fuite en avant "fédéraliste", sans tentation non plus d'un repli frileux vers une sorte de "service minimum européen".
L'autre souci devra être celui de la clarté et de la simplicité de la règle du jeu, tant il est vrai, là aussi, que c'est la complexité des règles actuelles qui est à l'origine de certains doutes ou interrogations que vous êtes les premiers à exprimer, souvent avec raison, à l'égard de la construction européenne.
- La deuxième piste est celle de la gouvernance de l'Europe, c'est-à-dire de l'évolution de son mode de fonctionnement vers plus de transparence, d'efficacité, de démocratie. Nous devrons réfléchir à l'exercice de la fonction exécutive au sein de l'Union, avec comme ambition un système qui préserve l'équilibre entre l'Union et les Etats, tout en faisant face aux défis d'une Union à trente.
Ainsi, pour renforcer le modèle communautaire, il faudrait selon moi rehausser politiquement les trois composantes du triangle institutionnel : la Commission, véritable aiguillon vers l'intégration et expression des intérêts de l'Union, et le Conseil, lieu où se noue la synergie entre les Etats membres de l'Union, qui devrait, quant à lui, recouvrer pleinement son rôle de préparation des Conseils européens.
Bien sûr, ce serait un comble de ne pas le mentionner ici, il faudra également renforcer le poids et la responsabilité politique du Parlement européen, en réformant le mode d'élection de ses membres, mais aussi en imaginant un droit de dissolution en cas de crise politique avec la Commission ou le Conseil.
- Enfin, la troisième piste sera celle du nécessaire compromis entre la taille de l'Union - et sa nouvelle hétérogénéité - et la volonté de certains des Etats membres de continuer à aller de l'avant. Les coopérations renforcées sont une première réponse à ce défi. Mais nous devons poursuivre plus avant la réflexion, sans a priori ou tabou, autour des notions d'avant-garde, de "centre de gravité" ou encore de "groupe pionnier", avec le souci, quelle que soit l'image géométrique ou spatiale utilisée, de réussir à concilier souplesse et cohérence.
Quant à savoir si cette évolution institutionnelle devra être parachevée par un texte de nature constitutionnelle, il me semble que cette question mérite d'être posée dans sa complexité, et sans tabou.
Mais que l'on prenne garde. Il ne suffirait pas de baptiser Constitution un nouveau traité sur les institutions pour avoir résolu le problème de l'architecture européenne. Un tel texte n'aurait de sens que s'il était l'aboutissement logique d'une réforme profonde. C'est en effet un acte fondamental, d'une grande portée politique, qui traduirait solennellement un projet commun.
Dans ces débats essentiels pour l'avenir de l'Europe - et ce sera ma conclusion - les jeunes citoyens de l'Europe - vous-mêmes ! - devez peser de tout votre poids et prendre toute votre place.
La Charte de Strasbourg, que vous allez adopter, nous permettra de mieux cerner l'ensemble de vos ambitions et de vos besoins dans l'Europe de demain.
Je souhaite en tout cas vous assurer que la France, comme l'ensemble de ses partenaires, a parfaitement conscience de la nécessité de consacrer plus d'efforts à la jeunesse, à l'éducation, à l'Europe de la connaissance et du savoir en général.
Des actions efficaces et innovantes existent déjà, vous aurez sûrement l'occasion de les évoquer au cours de vos débats. La France y accorde une importance première. Depuis plusieurs années, les programmes "Jeunesse pour l'Europe" et "Service volontaire européen" et, aujourd'hui, le nouveau programme "Jeunesse 2000-2006", ont permis à des milliers de jeunes Européens de se rencontrer, de découvrir les autres pays européens, de participer ensemble à des actions d'intérêt général. Cela est important et doit être souligné.
Mais, au-delà des seuls programmes Jeunesse, bien d'autres aspects des politiques communautaires ont une influence directe sur les jeunes Européens. Il s'agit donc bien d'avoir une vision globale qui prenne en compte l'ensemble des préoccupations, des revendications de la jeunesse européenne, dans tous les aspects de sa vie.
C'est pourquoi le gouvernement français favorise le développement d'un véritable espace européen de la connaissance et de la formation, dont les jeunes seront, bien sûr, les premiers acteurs et bénéficiaires.
L'idée est simple : elle est de favoriser, dans tous les domaines, de l'éducation à la recherche et à la formation professionnelle, les échanges entre Européens, les projets communs, les coopérations, pour que les jeunes Européens soient mieux formés, qu'ils bénéficient des expériences des autres, qu'ils soient mieux armés pour faire face aux défis de la mondialisation.
Je sais que vous allez en débattre, je voudrais simplement souligner l'importance du Plan d'action pour la mobilité, qui a été adopté lors du Conseil européen de Nice. Ce plan constitue une sorte de boite à outils à disposition des Etats membres et de la Commission, afin de lever progressivement, tous les obstacles, encore nombreux, à la mobilité.
Pour que les élèves et les étudiants puissent effectuer une partie de leur cursus scolaire et universitaire à l'étranger et que cela soit pleinement pris en compte à leur retour dans leur pays d'origine. Pour que les obstacles financiers, sociaux et fiscaux soient levés, alors qu'ils empêchent encore en particulier les jeunes issus des milieux les plus modestes de bénéficier de ces possibilités. Pour que l'enseignement des langues étrangères européennes soit renforcé, car l'Europe deviendra d'autant plus une réalité que les Européens pourront se comprendre. Pour que la formation professionnelle puisse acquérir une dimension européenne, afin de renforcer les chances des jeunes sur le marché du travail et de participer à cette grande ambition du retour à l'Europe du plein emploi.
Tout au long de l'histoire, des événements fondateurs ont contribué à créer l'identité de chaque génération. Personne n'échappe à ce passé, où se rejoignent, pêle-mêle, l'heureux et le tragique, la réalité des faits et la manière dont ils sont racontés, année après année. Vous avez la chance extraordinaire de constituer la génération de la chute du mur de Berlin, de l'Europe des nouveaux espoirs.
Le travail qui nous attend n'est pas mince. Je prendrai connaissance avec d'autant plus d'intérêt de votre contribution au débat sur l'avenir de l'Europe. Je suis convaincu qu'avec le concours et l'énergie de tous, nous pourrons franchir au cours des prochaines années des étapes décisives en ce sens, et construire une nouvelle Europe, votre Europe.
Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)